D'un Bonmariage à l'autre
Le dernier film estampillé Manu Bonmariage ("Allo Police", "Les amants d’assises", etc.) ne sera pas signé par Manu Bonmariage mais par sa fille Emmanuelle. Un portrait d’artiste où Alzheimer vient brouiller les pistes…
"Manu"
Note: 4/5
D’Emmanuelle Bonmariage.
Passionnant projet que celui entrepris par Emmanuelle, fille du célèbre réalisateur de documentaires Manu Bonmariage. Le "cinéma direct" préconisé par Bonmariage a toujours questionné son rapport aux personnes filmées. Le réalisateur est d’ailleurs considéré comme un des pères du "style Striptease", où la vérité des protagonistes apparaît dans un montage où peuvent se mêler – en fonction du sujet – ironie, cynisme, tendresse, mais toujours avec des accents d’immersion et d’absolue authenticité.
Aujourd’hui, tel est pris qui croyait prendre: le voici objet d’un film, entrepris par sa fille. Mais que sera prêt à livrer l’homme d’images? Quelles résistances conscientes ou inconscientes opposera-t-il? Ces questions sont brouillées par une nouvelle donne: atteint par un début d’Alzheimer, Bonmariage ne sait plus toujours où il en est, ni avec son passé, ni avec son présent.
Résultat, un triple portrait:
→ celui d’un cinéaste culte
→ celui d’un homme obligé de lâcher sa caméra
→ celui d’une fille comédienne qui empoigne ladite caméra et qui, malgré la bienveillance de son regard, devra se poser des questions freudiennes de l’ordre de "faut-il tuer le père".
"J’ai voulu aller vers le cinéaste, mais aussi vers l’homme, nous dit la réalisatrice. Avec les pertes de mémoire c’était un peu obligatoire d’ailleurs. Je ne voulais pas un portrait d’artiste classique avec des dates et des titres. Je lui ai dit: ‘Si tu t’étais rencontré, tu aurais voulu faire un film sur toi-même’. Avec ses huit enfants de quatre femmes différentes, Manu est un sujet rêvé pour un film de Bonmariage…"
Cinéma direct
À l’aide d’un patchwork d’extraits et de nouvelles images, le documentaire retrace tout le parcours de "Manu", depuis sa petite enfance à Chevron (où il perd un œil en jouant avec un arc à flèche), jusqu’à la consécration des épisodes emblématiques de Striptease (47 en tout), sans oublier ses documentaires de long-métrage. On revient sur le mode opératoire mis en place par Bonmariage, le fameux cinéma direct: équipe super-légère, immersion parmi les protagonistes, non-interventionnisme. Le résultat: des films qui parlent d’eux-mêmes, sans commentaires, sans voix off, au profit d’une impression de vérité brute.
La fille, dont c’est la première expérience, utilise un autre système, qui consiste à dialoguer avec son père pendant les prises, à apparaître éventuellement à l’écran, et à "truquer" les choses en faisant accomplir certaines actions à des moments définis. Comme lorsqu’elle demande à Manu de sortir de son garage – avec la caméra au poing, comme une bouée de sauvetage qu’on ne lâchera plus. Les deux approches s’affrontent via une petite altercation, et Emmanuelle Bonmariage a l’intelligence de nous la montrer à l’écran. Qui a raison? Celui qui reste persuadé que son style est le plus pur – et qui a des dizaines de films pour le prouver? Ou celle qui aujourd’hui saisit la caméra que son père de 77 ans vient de lui léguer car il n’arrive plus à s’en servir suite à un accident de vélo?
L’envers du décor
"Au départ, l’idée était de suivre mon père au travail. Et puis, les pertes de mémoire l’ont obligé à lâcher un sujet après l’autre. Des proches m’ont conseillé d’arrêter moi aussi. Mais j’ai continué, j’ai intégré la maladie au projet, et c’est devenu un film sur sa vie autant que sur son travail. Avec la possibilité d’avoir accès pour le spectateur à l’envers du décor. Comment on approche le réel? Est-il possible d’être réellement objectif? Ou bien y a-t-il toujours un regard? Ce sont des questions qui étaient déjà centrales chez mon père et qui réapparaissent ici…"
Le film passionne en ce qu’il est à la fois un hommage objectif à un immense artiste, d’abord technicien exceptionnel, qui a su dresser au cours des années un portrait incomparable de la Belgique. Mais c’est aussi une mise à plat où un homme amnésique est confronté à sa vie.
"J’ai continué, j’ai intégré la maladie au projet, et c’est devenu un film sur sa vie autant que sur son travail."
Parmi bien d’autres, on retiendra une séquence dans une mine (où Bonmariage revient sur son lieu de tournage) et où sa fille lui rappelle sa double vie de l’époque – et la tentative d’assassinat dont il fut victime via un empoisonnement à l’arsenic. Le documentaire prend alors des tournures shakespeariennes, renforcé par d’autres moments clés, où le cinéaste redécouvre un de ses chefs-d’œuvre oublié (du moins par lui): "Les amants d’assises". Passionnant.
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