Jawad Rhalib: "Mon film tire un signal d’alarme"
"Amal", du réalisateur belgo-marocain Jawad Rhalib, fait écho aux assassinats des professeurs Samuel Paty et Dominique Bernard. Mais tourné à Bruxelles, il nous dévoile le drame d’une enseignante éclairée et d’une élève soupçonnée, elle, d’homosexualité.
Il sait qu’il prend des risques, Jawad Rhalib, mais il est persuadé que "Amal", son nouveau long métrage, est une nécessité. Très documenté, ce drame se joue dans une école bruxelloise, qui n’est pas nommée, et dans une commune, non identifiée non plus, où l’islamisme radical semble bien installé.
"Amal", votre nouveau film, résonne avec le procès, en cours à Paris, de six anciens élèves de Samuel Paty accusés de complicité dans son assassinat.
Complètement. Je rentre du Festival d’Albi où mon film a reçu le Prix du Public. Aujourd’hui, beaucoup de pays sont confrontés aux extrémismes de toutes sortes. Le processus d’écriture de ce film a commencé bien avant l’assassinat du professeur Samuel Paty. On a été rattrapés par l’actualité. Ce film tire un signal d’alarme par rapport à ce qu’il se passe partout.
Vraiment partout?
Partout où on assiste à la montée du communautarisme et de l’islamisme politique. Là, il y a des restrictions à la liberté, qu’elle soit de création artistique, d’expression ou d’enseignement. Les professeurs de gym ou de l’enseignement professionnel ne connaissent pas cela. Les autres professeurs qui abordent des thématiques mal vues par ces jeunes endoctrinés, par contre, sont confrontés à cette réalité.
Amal, le personnage principal de votre film, jouée par Lubna Azabal, est Belge, laïque et d’origine marocaine. Elle cherche à ouvrir l’esprit de ses élèves en leur parlant de Victor Hugo et du Siècle des Lumières. Pourquoi est-ce si compliqué d’aborder ces sujets en classe?
Ce ne sont pas ces sujets qui enflamment le débat, mais le fait qu’une élève soit soupçonnée par ses condisciples d’être lesbienne. Elle est harcelée, agressée et insultée. Et elle est l’objet d’un dessin digne de Daesh où on la voit jetée dans le vide et lapidée. Quand Amal constate ce qu’il se passe dans sa classe, elle fait appel en réunion des professeurs. Et il n’y a pas de réaction, car ils savent qu’aborder l’homosexualité risque d’entraîner des répliques de la communauté musulmane.
Elle cherche à leur faire découvrir un poète, Abu Nawass, qui ne cachait ni son homosexualité, ni son amour d’Allah. À partir de là, la tension va s’accentuer car la plupart des élèves trouvent ces écrits pervers et contraires à leur croyance. Moi qui suis né au Maroc, j’ai pu étudier ce poète du 8e siècle, mais depuis quelques années, ce n’est plus possible. Il a disparu, comme d’autres, des programmes scolaires et des bibliothèques.
"Cette population se sent rejetée, la haine monte. On ne cherche pas à intégrer les gens."
Le film pointe la présence d’enseignants de religion coranique qui sont d’obédience salafiste.
Pour ce film, j’ai choisi comme personnage, pour ce rôle, un professeur de religion coranique et imam du quartier qui est un converti. Les convertis sont encore plus virulents que les musulmans d’origine. Le salafisme est réprimé quand il est déclaré, sinon, ça passe.
Le film se déroule à Bruxelles mais vous ne précisez pas la commune.
Oui, parce que cette école et cette réalité peuvent exister n’importe où.
On sent qu’au sein de cette communauté, les gens ne sont pas à l’aise.
Le message du film, c’est ça. Il y a, dans cette communauté, une majorité silencieuse qui a peur de parler. Parce que s'ils le font, ils sont menacés. La solution passe par l’école qui doit être une forteresse imprenable. Le problème, c’est le regroupement d’une certaine partie de la population dans un même endroit. Certaines communes comme Woluwe-Saint-Lambert ou Uccle acceptent peu d’élèves d’origine maghrébine dans leurs écoles. Ils sont poussés dans les écoles de Molenbeek, Schaerbeek ou Anderlecht. Moi, j’ai vécu cette expérience. Une fois que le regroupement est fixé, cette population se sent rejetée, la haine monte. On ne cherche pas à intégrer les gens.
Le film sera présenté le 5 décembre au Cinemamed avant sa sortie dans les salles en février.
Drame
"Amal"
Par Jawad Rhalib
Avec Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée...
À voir à partir du 7 février 2024
Note de L'Echo:
Rendez-vous annuel des films du sud, le Cinemamed s’ouvre ce 1ᵉʳ décembre avec "Io Capitano" de Matteo Garrone, représentant italien aux Oscars.
Créé en 1989, ce festival se concentre sur les productions de fiction et de documentaires des pays méditerranéens. Cette fois, il ouvre une fenêtre particulière au 7e art espagnol d’aujourd’hui avec, notamment, "Upon Entry", d’Alejandro Rojas et Juan Sebastian Vasquez et "Creatura", d’Elena Martin.
L’un des films sélectionnés, français celui-là, fait actuellement l’objet d’une vague de cyberharcèlement de l’extrême-droite. Il s’agit de "Avant que les flammes ne s’éteignent", de Mehdi Fikri, où une jeune femme, jouée par Camélia Jordana, cherche à faire éclater la vérité sur la mort de son petit frère tué lors d’une interpellation policière. Ce film sera présenté le 2 décembre au Cinéma Aventure.
Parmi les projets très attendus et déjà présentés lors de festivals à l’étranger, notons "Io Capitano" de Matteo Garrone qui retrace l’odyssée en mer de deux jeunes Sénégalais pour rejoindre l’Europe et "Rapito" du grand Marco Bellochio sur l’authentique histoire d’un enfant juif kidnappé par le pape-roi à Bologne en 1858. L’un comme l’autre sont totalement en phase avec la problématique des migrants comme avec la montée actuelle de l’antisémitisme.
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