Critique de "Lee Miller": Kate Winslet de tous les combats
Depuis quelque temps, la vie des femmes reporters de guerre intéresse le cinéma. Après "Private War" et "Civil War", voici "Lee Miller" qui, en quelque sorte, était une pionnière du genre. Et un modèle.
Si l’on suit les nouvelles du monde depuis un moment, on constate que de nombreuses femmes assument avec un immense talent leur rôle de correspondantes de guerre pour de grands médias. Marie Colvin, journaliste américaine dont la vie est racontée dans «Private War», sorti en 2018, est morte à Homs, en Syrie, lors d’un bombardement. Elle n’avait peur de rien. Sa personnalité et son travail ont inspiré Kirsten Dunst lorsqu’elle s’est fondue dans le rôle d’une photographe de guerre pour «Civil War», sorti cette année et qui fut un succès au box-office.
Mais si l’on doit remonter la chaîne des femmes reporters de guerre, on aboutit inévitablement à Lee Miller. Une femme aux mille vies: muse, photographe, artiste, cheffe, égérie de Man-Ray et des surréalistes, grande amoureuse… Dans le biopic que lui consacre Ellen Kuras, c’est essentiellement le chapitre de la Seconde Guerre mondiale et de son engagement comme photographe de guerre qui sont traités.
C'est David E. Sherman, son équipier, qui prit la photo iconique de Lee, allongée dans la baignoire de Hitler, dans l’appartement du Führer, à Munich.
Pratiquement du jour au lendemain, Lee Miller est passée de son cercle de jeunes gens insouciants et talentueux, sur la French Riviera, en 1938, au Blitz à Londres et à ses premiers clichés des décombres dans la capitale anglaise, jusqu’aux préparatifs des troupes anglaises et américaines. Le but de Lee Miller, magnifiquement interprétée par Kate Winslet (qui est aussi productrice du film), était d’aller sur le front. «Je suis née déterminée», disait-elle.
Dans la baignoire de Hitler
La caméra de Kuras montre bien qu’en un rien de temps, la vie peut basculer, les couleurs passer du jaune soleil et du bleu méditerranéen au kaki et au brun noirâtre de la guerre. Comment en un rien de temps, l’insouciance s’évanouit et l’angoisse ou la peur (ou les deux) creusent les visages. Lee Miller, parce qu’elle était de nationalité américaine, a pu se joindre aux troupes américaines lorsqu’elles sont arrivées à Saint-Malo, en août 1944.
"Dans le rôle de Lee Miller, Kate Winslet exprime sans fard toute la puissance et la conviction de cette héroïne.
Comme souvent dans ce métier de correspondant de guerre, elle faisait équipe avec un autre photographe et journaliste, David E. Sherman. C’est lui qui prit, plus tard, la photo ultra iconique de Lee allongée dans la baignoire de Hitler, dans l’appartement de ce dernier à Munich. La scène est habilement restituée. Basée sur les souvenirs de Lee, recueillis par son fils Anthony, elle témoigne de ce moment de génie où, en un instant, une femme osa défier tout ce que le Führer symbolisait. Lee eut l’idée d’ajouter au rebord de la baignoire un portrait de Hitler et choisit d’en briser le cadre.
Lee Miller et David E. Sherman furent les premiers reporters à pénétrer dans les camps de Buchenwald et Dachau une fois les Nazis défaits. Ce sont ses clichés qui furent publiés par Vogue US avec ce titre: «Believe it». Le film réussit à témoigner de ce tour de force journaliste et historique avec beaucoup d’authenticité. On est légèrement moins emballé par la façon académique et sans panache dont la réalisatrice boucle son film sur la fin de vie de Lee Miller et sa relation avec son fils unique.
Biopic
"Lee Miller"
Par Ellen Kuras
Avec Kate Winslet, Noémie Merlant, Marion Cotillard, Alexander Skarsgard et Andy Samberg
À voir à partir du mercredi 9 octobre 2024
Note de L'Echo:
On la suit depuis 1994 et son premier film, «Créatures célestes» de Peter Jackson, c’est-à-dire trois ans avant que n’explose le phénomène «Titanic». Pour l’avoir rencontrée et interviewée à plusieurs reprises, on sait que lorsqu’elle évoque son amitié, qui n’est pas que professionnelle, avec Leonardo DiCaprio, elle parle vrai. Que lorsqu’elle exprime son souhait d’être une bonne personne, ce n’est pas vain.
Kate Winslet éprouve de l’empathie pour ses personnages comme pour les êtres qu’elle croise dans la vie de tous les jours. Dans le rôle de Lee Miller, elle exprime toute la puissance et la conviction de cette héroïne. Elle va chercher tout ce qui peut renforcer son personnage, y compris dans ses failles et ses faiblesses. Lee Miller, comme d’autres reporters de guerre, ne sort pas indemne des horreurs de la guerre. Elle picole, délaisse son fils bien qu’elle l’adore et ça, Winslet le rend bien.
Des rides et des formes
Une autre chose que l’on ne souligne pas assez, sans doute, c’est l’aspect sans fard de la star. Kate Winslet apparaît telle qu’elle est, avec ses rides, ses formes. Elle n’a pas cédé à la chirurgie esthétique. À quarante-neuf ans, c’est rare pour une actrice de cette notoriété. Mais telle qu’elle est, Winslet crève l’écran. Ce film sur Lee Miller, elle le porte sur ses épaules entièrement.
Au point de laisser fort peu d’impact à des actrices comme Marion Cotillard ou Noémie Merlant, il est vrai dans des rôles secondaires, qui auraient pu briller davantage. | J.L.
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