Veerle Baetens: "Pour moi, c'est le jeu qui importe le plus"
Interprète inoubliable dans "The Broken Circle Breakdown", de Félix Van Groeningen, l’actrice Veerle Baetens passe, pour la première fois, à la réalisation. Et ce n’est rien moins que l’adaptation de "Débâcle", le best-seller de Lize Spit, qu’elle nous offre.
Immense star en Flandre, Veerle Baetens est aussi une des rares actrices néerlandophones à être castée dans des productions françaises, comme "Au nom de la terre" ou "La Petite".
Aujourd'hui, elle se lance dans l'aventure de la réalisation, en adaptant "Débâcle", le roman choc de Lize Spit, paru en 2018. Ce succès littéraire, vendu à 160.000 exemplaires à sa sortie en Flandre et aux Pays-Bas, raconte l'histoire d'Eva, jeune femme qui retourne dans son village d'enfance des années après un été caniculaire où tout a basculé. Emmenant avec elle un bloc de glace dans le coffre de sa voiture, elle décide enfin d'affronter son passé, et avec lui, ses agresseurs.
Ayant mené un véritable travail de fond sur le texte original, Veerle Baetens n'a pas loupé son premier essai comme cinéaste.
"A dix-huit ans, j'étais à la RITCS, école des arts de la scène, pour me renseigner sur les études de réalisation. Mais je crois qu’à cette époque, c’était nécessaire pour moi d’être devant la caméra plutôt que derrière."
"Débâcle" est votre premier film en tant que réalisatrice. Caressiez-vous le rêve de réaliser depuis longtemps?
Oui, mais je n’en étais pas consciente. Alors qu’à dix-huit ans, avant de passer mon examen d’entrée au Conservatoire, j'étais à la RITCS, école des arts de la scène, pour me renseigner sur les études de réalisation. Mais je crois qu’à cette époque, c’était nécessaire pour moi d’être devant la caméra plutôt que derrière. Avec mes copains, on faisait des clips et des projets de longs métrages. On bricolait. Et puis, récemment, on m’a proposé d’adapter à l’écran "Débâcle" et j’ai saisi l’occasion. Avant cela, en 2016, j’avais coécrit le scénario de "Tabula rasa", une série télé. J’aime creuser et réfléchir.
Mais sans le projet d’adaptation du roman de Lize Spit, seriez-vous passée à la réalisation?
Tôt ou tard, oui. Cela fait longtemps que j’ai des projets dans mon ordi. J’avais envie d’avoir le contrôle sur tout.
Le travail d’adaptation était-il conséquent?
Oui, c’est un livre de plus de quatre cents pages. Et il s’agit d’un monologue intérieur en trois temps qu’on a dû ramener à deux temps pour rendre le personnage principal plus actif. C'était également nécessaire pour pouvoir comprendre sa complexité.
De prime abord, on peut penser qu’il s’agit d’un film flamand parce qu'il est joué en flamand. Mais en fait, il pourrait être tout aussi bien un film français ou anglais parce qu’il montre des réalités qui se passent partout.
En effet. Et puis, vous savez, ce film a été tourné en Wallonie et à Bruxelles. Pour moi, ce personnage féminin s’est cassé à Bruxelles pour ne plus être en relation avec la Flandre. C’est une fuite pour pouvoir échapper à ce village flamand avec sa vie catholique et ses non-dits.
"Plus on s’approche du passé d’Eva, plus je voulais qu’elle apparaisse comme bloquée dans le cadre."
Vous filmez beaucoup les visages de vos acteurs, pourquoi?
Il y a, bien sûr, un langage visuel que j’ai construit avec mon chef opérateur. Mais je voulais rester proche de mes personnages parce que pour moi, le jeu importe le plus. Et plus on s’approche du passé d’Eva, le personnage principal, plus je voulais qu’elle apparaisse comme bloquée dans le cadre. Comme s’il n’y avait plus de vue hélicoptère. Cela accentue ce sentiment de claustrophobie.
Parce qu’elle n’a pas fait la paix avec la petite fille blessée et violée qu’elle était. Il n’y a pas eu de résilience.
Non, mais ce n’est pas possible non plus. Elle essaie de tenter quelque chose. C’est pour cela que j’ai écrit la scène de la fête, qui n’est pas dans le roman. Elle est capable de se rendre à cette fête, dans son ancien village, mais elle est incapable d’en parler. Ce qu’elle réussit à faire est déjà énorme pour elle. Elle a une solution pour elle-même.
Le film aborde beaucoup de thèmes actuels. L’enfance, le passage à l’adolescence, la famille dysfonctionnelle, le machisme déjà présent chez de petits garçons, la culture du viol.
Ce sont des sujets auxquels je suis confrontée chaque jour. Pas le viol, mais le fait que les garçons ne sont pas éduqués. Eux aussi en souffrent.
Vous avez déjà été à l’affiche de deux films belges nominés aux Oscars, "The Broken Circle Breakdown" et le court-métrage "Une Sœur". C’est pas mal!
Oui, au Dolby Theatre, les places montent très haut. Avec "Une Sœur", je me trouvais tout en haut (car c’est un court métrage) et avec "The Broken Circle Breakdown", j’étais en bas avec les stars. C’est génial de vivre ça, mais il faut le vivre en bonne compagnie parce que cela fait peur. On doit toujours être au top.
De plus en plus de femmes passent à la réalisation avec succès. Qu’en pensez-vous?
Je suis portée par ce mouvement et depuis MeToo, mon regard sur d’anciens films comme "The Departed", "L.A. Confidential" ou "Once Upon a Time in America" a changé. En les revoyant, j’étais choquée par le "male gaze". Les femmes y apparaissent soit comme des putes, soit comme des saintes. On y met toujours la vie des hommes dans la lumière.
Drame
"Débâcle"
Par Veerle Baetens
Avec Charlotte De Bruyne, Olga Leyers, Spencer Bogaert
À voir à partir du 25 octobre 2023
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