Thierry Dubrunfaut immortalise les 125 ans de la FEB
La Fédération des entreprises de Belgique (FEB) a 125 ans en 2020. Le photographe français Thierry Dubrunfaut en affichera 65. À travers "When Business meets Art", ils ont uni leurs regards sur l’univers industriel belge. Un travail de 10 ans qui s’expose, dès mardi, à Bozar, puis à Mons et à Gand.
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«When business meets art»
Par Thierry Dubrunfaut, photographe
Du 3/3 au 1/4/20 à Bozar (Bruxelles), du 23/4 au 1/6/20 aux Ateliers de la FUCaM (Mons) et du 29/8 au 28/9/20 au Musée de l’Industrie (Gand).
Qu’est-ce que l’industrie et la photographie ont en commun? Ce sont l’une et l’autre des activités de transformation. Après les studios et les catwalks de la mode, le Français Thierry Dubrunfaut, né en 1955 à Tournai (il a étudié la photo à Ath), a arpenté plusieurs mois un univers moins glamour: les quais du port d’Anvers. C’était en 2007, des milliers de clichés en petit et moyen format (24x36 et 6x6), entièrement sur film (support argentique). Cette exploration anversoise a engendré un livre chez Lannoo-Racine, "Port d’Anvers".
Son envie de voir et de montrer des lieux qu’on ne photographie pas d’habitude, palpable dans ce livre, a attiré l’œil de Philippe Lambrecht, administrateur-secrétaire général de la FEB. Dès 2012, ce dernier lui a ouvert les portes d’une vingtaine d’entreprises industrielles belges, comme AGC Glass (le verrier), ou de multinationales du pétrole et de la chimie (Total ou BASF). Cette exploration donna lieu à une première exposition en 2014 "Belgium Industries state of the art". "On passe devant ces sites sans les connaître, on les aperçoit de loin depuis une autoroute", raconte Dubrunfaut. "Avec mon regard d’enfant, j’ai eu envie d’aller voir derrière les tuyaux. J’avais intérêt pour tout ce qui relève de la fabrication. Et mon regard de photographe était attiré par l’aspect graphique de cet univers: des lignes, des volumes, des couleurs."
Adopté par la France et les États-Unis, où il travaille depuis vingt-cinq ans, Dubrunfaut a toujours gardé une fibre belge, et l’envie de montrer la puissance de l’industrie du pays. Quand il photographie le fil métallique qui maintient les bouchons de champagne, il montre Bekaert, leader mondial, fabricant de 90% de ce fil.
Il photographie avec une minutie répétitive les poignées et boutons de porte d’un autre leader mondial, Vervloet, les bouchons de Spadel ou les fioles de vaccin de GSK. "Mes images transposent un objet réel, le rendent abstrait, puis le replacent dans un concret modifié", au point que l’objet de la photo existe (il est réel, matériel) mais dans un entre deux mondes, à la lisière de la réalité et du méconnaissable. "J’invite le spectateur à laisser vagabonder son esprit à partir de ce qu’il voit."
Dans le sillage de Soulages, Vasarely et Hartung
Philippe Lambrecht souligne le rôle traditionnel de mécène des entreprises, qui les ont toujours liées à l’art. "Nous souhaitions que Thierry Dubrunfaut puisse visiter différents pans de l’industrie belge et au-delà: il a ensuite pu élargir son regard au commerce et aux services, comme la grande distribution. Avec le soutien de fédérations membres de la FEB, telles que Comeos, porte-parole du commerce et ses services, et la Confédération Construction, Dubrunfaut a ainsi continué d’arpenter le tissu de la fabrication humaine.
"Avec mon regard d’enfant, j’ai eu envie d’aller voir derrière les tuyaux. J’avais intérêt pour tout ce qui relève de la fabrication. Et mon regard de photographe était attiré par l’aspect graphique de cet univers."
Lors de ses visites, il a toujours été cornaqué, pour des raisons de sécurité évidente: "On ne s’aventure pas seul dans un train de laminoir". Seul endroit où il a pu circuler seul: l’usine Audi, à Forest. "Les photographies se composent en couches successives selon le temps réservé à la prise de vue", lit-on. Cette notion de couches de temps puise sa source dans l’inspiration picturale du photographe, qui ne jure que par Soulages, Vasarely et Hartung. "Sur ces sites industriels, il fallait aller vite. J’ai appris à repérer d’emblée ce qui m’inspirait, en me laissant guider par le graphisme et par les couleurs."
Comme un peintre, il compose ses images face à son sujet, et ne retouche rien, sauf quelques courbes de contraste et de luminosité. De même, il n’utilise pas de pied, cadre à la main. "La photo se construit d’abord dans ma tête."
Il tient à ce que l’image soit intimement lié au lieu de sa naissance, à l’endroit où elle lui est venue en tête. Cet endroit ne peut être l’écran, que ce soit celui du boîtier ou celui de l’ordinateur. Formé par l’argentique, où par définition le photographe ne voit pas le résultat, il ne consulte jamais l’écran de son boîtier. "Je compose mentalement chacune des images, et je tiens à ce que le processus technique se passe dans l’objectif, pas à l’écran d’ordinateur. On sait toujours ce qu’il y aura dans la photographie, et si l’image sera exploitable ou non."
Surimpression et abstraction lyrique
En revanche, il ne s’interdit pas de réinventer la réalité, notamment en jouant d’un procédé presque aussi ancien que la photographie – le jeu de la surimpression, de la double (ou de la multiple) exposition, qui s’effectue là encore au stade de la prise de vue. Cette superposition "crée du mouvement, de la profondeur en jouant sur le mouvement et sur le flouté". Elle produit une impression de flux, de courant énergétique, d’échappement. "Parfois, je mélange deux photos sans rapport, mais cela se passe toujours dans le boîtier et sur le moment."
"Mes images transposent un objet réel, le rendent abstrait, puis le replacent dans un concret modifié."
Le choix de la technique est guidé par l’environnement. Les photographies réalisées sur le site d’Alsthom, avec leur lumière et leurs couleurs éclatantes, entièrement naturelles (sans aucun appoint de lumière artificielle), prises à une sensibilité de 2600 ISO, sans aucun bruit (l’équivalent numérique du grain argentique) n’auraient été possible qu’avec un capteur numérique.
Il joue parfois avec des effets de perspectives classiques, bien connues depuis les folies de la Renaissance et "Les Ménines" de Vélazquez, avec une mise en abîme d’un miroir d’AGC, posé sur son chevalet: l’ensemble de l’image est dans des tons rouges du fait de la chaleur qui régnait dans les lieux, sauf le reflet gris et froid de la ruelle extérieure.
Dubrunfaut mêle toujours la volonté de précision technique et une exigence de vérité de l’instant, conjuguée à une volonté de recomposer la réalité de la machine et du site industriel, ce qui génère la tension esthétique de ces grands formats. Sur toutes ces images, l’impression de profondeur, de transparence, de lieux traversés par la lumière, de perspectives spatiales infinies, est toujours liée à une forme d’abstraction lyrique, où le matériau revêt des apparences à la limite de l’identifiable.
Les tubes vides de L’Oréal, les fioles de GSK, les conteneurs d’AB InBev, perdent tout caractère identifiable. À l’inverse, les gaines des cimenteries CBR deviennent des carapaces anthropomorphes, que Dubrunfaut baptise "Man" et "Woman".
Pourtant, du fait du choix du photographe de se porter sur la matière, ses univers qui tous portent la marque de l’homme (rien de naturel dans ces images) brillent aussi par l’absence de toute présence humaine incarnée: pas un corps humain, pas une présence visible de techniciens, d’ouvriers, d’ingénieurs, de conducteurs d’engin. Cependant, tout ce que nous voyons trahit immanquablement les décisions des hommes et leur volonté de prendre le monde et de le transformer, de le transposer et de le transporter.
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