Géraldine David (MRAH): "Le musée doit être un lieu où l'on se retrouve soi, et les autres"
Géraldine David, directrice générale des Musées royaux d'Art et d'Histoire depuis janvier, souhaite refaire du musée un lieu d'émotion et rappelle l'importance de l'objet de collection comme vecteur de lien social.
Comme beaucoup de passionnés du patrimoine et des musées, la nouvelle directrice générale des Musées royaux d'Art et d'Histoire, Géraldine David, cultive l'art d'aimer les objets et les bonnes relations. Cette historienne de l'art, docteure en sciences économiques et de gestion et spécialiste de l'histoire financière du marché de l'art avant 1950, l'a déjà démontré avec succès lorsqu'elle a fait ses premières armes à la tête de la Wittockiana, le musée des Arts du livre et de la reliure.
Une "femme providentielle"?
Mais il s'agit d’abord de mieux cerner l'institution et de la mettre en ordre de bataille sans endosser le costume de "femme providentielle". Une vision pour un musée s'élabore de concert avec tous les services du musée, avec l'ensemble du personnel de celui-ci. Géraldine David soutient par ailleurs la politique de la professionnalisation des pratiques de gestion des collections, des archives et de sa riche bibliothèque qui a été entamée il y a quelques années déjà par les experts du musée. Elle a cependant lancé l'élaboration d'un projet scientifique et culturel sur le modèle des Musées de France afin d'établir une vision stratégique cohérente des politiques à mener sur le long terme, et de prioriser les projets.
"La production scientifique est la base de toute activité destinée aux publics."
Géraldine David considère que les musées dont elle a la charge doivent redevenir des "musées des émotions", des lieux où se racontent des histoires et où l'on se crée des souvenirs. Elle défend ainsi le projet d'un "musée refuge qu'on emporte toujours avec soi". Mais se réfugier de quoi? Des autres? "Le musée doit plutôt être un lieu où l'on se retrouve soi, et les autres", répond-elle. Elle souligne aussi le rôle fondamental des objets dans la fabrique du social: les objets des collections constituent des lieux de rencontre des visiteurs, des espaces où le partage des émotions tissées avec la matérialité du passé permet d'initier le dialogue. "C'est ainsi que nos musées peuvent jouer leur rôle sociétal, sans avoir peur des histoires compliquées et difficiles."
"Les objets constituent des lieux de rencontre des visiteurs."
Géraldine David a aussi conscience que la légitimité scientifique de son institution a été quelque peu écornée ces dernières années. Considérant que "la production scientifique est la base de toute activité destinée aux publics", la directrice entend revaloriser son rôle scientifique cruellement rapiécé. Elle désire soutenir le nouveau service mutualisé dédié à la conservation préventive, mais reconnaît que dans le contexte politique actuel, il faudra faire preuve d'un certain "réalisme budgétaire".
Recentrement sur les collections
Elle augure également un recentrement sur les collections de l'institution en organisant des expositions annuelles dont les thématiques seront dictées par les opportunités offertes par lesdites collections, en réouvrant les salles qui sont actuellement fermées ou par le retour de pièces phares dans les salles. C'est une manière de valoriser la recherche et l'expertise développées en interne, avec une politique éditoriale plus ambitieuse.
Le développement des partenariats et collaborations est aussi fondamental, que ce soit pour des prêts de pièces et des échanges d'expertise, précise-t-elle, comme ce fut le cas avec l'université de Ritsumeikan au Japon pour travailler sur les estampes du musée. Mais aussi pour développer des synergies ou la complémentarité des expertises au niveau fédéral. Les enjeux de provenance en sont un bon exemple: aux MRAH, l'expertise du matériel archéologique, aux Musées royaux des Beaux-Arts celle des biens spoliés pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Un incubateur de création
Si redévelopper un réseau de mécènes reste un défi à relever, Géraldine David souhaite que le musée se concentre sur l'avenir en s'intéressant à la création contemporaine des arts décoratifs et en servant "d'incubateur de la création". Elle évoque ainsi avec beaucoup d'excitation un projet mené au sein de leurs collections avec les ateliers de céramique et de graphisme de l'ENSAV La Cambre. "Ce sont de belles occasions pour enrichir nos collections" et de magnifiques opportunités pour travailler en réseau et de collaborer, pas seulement avec des écoles d'art, mais aussi avec d'autres partenaires. Elle voit aussi plus loin: le musée doit "réintégrer l'imaginaire des créateurs" d'autres métiers d'arts tels que les écrivains, musiciens, modistes, ou chocolatiers, par exemple, qui y trouveraient de quoi s'inspirer ou se réinventer.
"Le musée doit réintégrer l’imaginaire des créateurs."
Le musée est également "une magnifique salle de cours" où les archéologues, historiens de l'art et conservateurs-restaurateurs peuvent acquérir une partie de cette familiarité avec les matériaux qui est indispensable à leurs métiers. Il continuera aussi à accueillir des stagiaires et à participer à la réalisation de mémoires et de thèses. L'important travail d'inventoriage des fonds d'archives du musée, ainsi que la numérisation de certains fonds réalisés ces dernières années ouvre d'ailleurs d'importantes opportunités de recherches. Géraldine David regrette seulement que ses bibliothèques ne soient plus suffisamment connues, malgré leur richesse. Sait-on, par exemple, que les MRAH possèdent dans leurs rayons une très importante collection de catalogues de ventes aux enchères belges des XIXe–XXe siècles qui sont annotés avec les prix atteints? Songe-t-on également à l'importante bibliothèque de l'Institut belge des hautes études chinoises fondé en 1929? Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses richesses que la nouvelle directrice désire faire mieux connaître afin que tout un chacun puisse s'en emparer. Après tout, il s'agit bien là de notre patrimoine culturel commun.
Les établissements scientifiques fédéraux (ESF) ont fait l’objet depuis 2023 d’une importante vague de nominations. Rencontre avec des directrices et directeurs de cinq institutions scientifiques et patrimoniales pour évoquer les enjeux et les ambitions de leur premier mandat.
1 | Sara Lammens de la KBR (Bibliothèque royale)
2 | Bart Ouvry du MRAC (Musée royal de l’Afrique centrale, Tervuren)
3 | Kim Oosterlinck des MRBAB (Musées royaux des Beaux-Arts, rue Royale)
4 | Géraldine David des MRAH (Musées royaux d’Art et d’Histoire)
5 | Michel Van Camp de l'IRSNB (Institut des Sciences naturelles)
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