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interview

Kim Oosterlinck (Musées Royaux): "Le musée doit avoir une résonance sociétale qui dépasse les œuvres exposées"

Les prochains travaux de rénovation du complexe des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique seront l'occasion pour son nouveau directeur, Kim Oosterlinck, de revoir en profondeur son organisation. ©Saskia Vanderstichele

Kim Oosterlinck dirige les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique depuis juillet dernier. Trois mois après sa nomination, quelles ambitions nourrit-il? Entretien.

Le complexe des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique situés rue de la Régence va entamer en 2026 de nouveaux travaux de rénovation de son extension du côté de la place du Musée. Ces travaux qui s’étendront jusqu'en 2030, nécessitent la fermeture du musée Fin-de-Siècle et le déménagement de nombreuses réserves et galeries. Les musées Magritte, Wiertz et Meunier ne seront pas affectés par les travaux.

Avec la fermeture du musée Fin-de-Siècle et du musée d’Art moderne, le musée Oldmasters sera le seul musée non monographique qui restera accessible. Son parcours sera néanmoins remanié pour faire de la place à une partie de ses voisins délogés.

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Activité du service pédagogique dans les salles du musée OldMasters.
Activité du service pédagogique dans les salles du musée OldMasters. ©MRBAB

Un mal pour un bien, certes, mais plus d’un directeur qui prendrait possession de sa nouvelle institution pour la voir partiellement fermer au moment de son arrivée aurait fait la moue.

Pas Kim Oosterlinck, qui voit dans les nécessaires chamboulements à venir l’occasion de revoir en profondeur l’organisation de cette partie des musées royaux. Au grand bonheur des amateurs d’art qui, depuis la fermeture du musée d’Art moderne en 2011 et l’inauguration du musée Fin-de-Siècle en 2013, se désespéraient de jamais revoir les œuvres de quantité d’artistes qui n’avaient plus droit de cité dans le nouveau découpage chronologique — expressionnistes ou fauves tels Jean Brusselmans ou Ferdinand Schirren pour ne citer qu’eux.

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Des répercussions en termes sociétaux

Assis dans la rotonde du musée, parfois interrompu par les coups de marteau sur un échafaudage tout proche, ce chercheur en sciences du management, politique et histoire monétaire et financière, et ex-vice-recteur chargé de la prospective et des financements à l’Université libre de Bruxelles, nous détaille ses projets par le menu.

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"Mes recherches sur le marché de l’art font que j’ai une approche qui n’est pas focalisée sur une seule période", nous explique-t-il. Maîtres flamands des XVe–XVIe siècles, marché de l’art chinois contemporain, statut de l’artiste au XIXe siècle, voilà en effet quelques-uns de ses nombreux sujets de travaux. Et de continuer: "Je n’en ai donc pas a priori une que j’ai envie de privilégier par rapport à une autre."

"Je n’ai pas a priori une période que j’ai envie de privilégier par rapport à une autre."

Kim Oosterlinck
Directeur général des MRBAB

Plus qu’une critique des stratégies passées, il s’agit là d’un véritable programme, par ailleurs en phase avec les prescrits légaux, tant de la politique scientifique de Belspo que de l’ICOM, le Conseil international des Musées. C’est que, à côté de ses fonctions de collecte, de conservation, de recherche et de délectation, le musée "doit avoir une répercussion en termes sociétaux, quelque chose qui dépasse l’œuvre d’art en tant que telle", explique-t-il. Les travaux sont donc l’occasion de repenser le parcours global et y intégrer des valeurs sur lesquelles le musée devrait être plus assertif: "la diversité, l’inclusivité et la durabilité".

Pour les amateurs d’art belges et bruxellois "qui ont l’impression d’avoir déjà tout vu parce qu’ils sont venus il y a dix ans", Kim Oosterlinck envisage une rotation thématique de 10% des œuvres du parcours tous les deux ans
Pour les amateurs d’art belges et bruxellois "qui ont l’impression d’avoir déjà tout vu parce qu’ils sont venus il y a dix ans", Kim Oosterlinck envisage une rotation thématique de 10% des œuvres du parcours tous les deux ans ©Saskia Vanderstichele
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Diversité des publics et des collections

La question du genre n’en est qu’une des dimensions, mais Kim Oosterlinck entend bien ne pas laisser ses musées rester en retrait sur ces questions et d’avoir autant un rôle "moteur "pour la recherche que d’expliquer aux publics les raisons de "l’absence et de l’invisibilisation des artistes femmes" dans ses collections et ses parcours d’exposition. Il rappelle que ces réflexions ne doivent pas être que statistiques, mais doivent également intégrer des enjeux symboliques.

"Accueillir, réellement, tout un chacun, et l’inviter à plonger dans le musée."

Le "Forum", lieu d’accueil du musée, par exemple, "lieu de transition entre la ville et le musée", rappelle-t-il, "doit être beaucoup plus inclusif et diversifié dans les œuvres présentées, pour accueillir, réellement, tout un chacun, et l’inviter à plonger dans le musée".

Le Forum, lieu de transition entre la ville et le musée.
Le Forum, lieu de transition entre la ville et le musée. ©MRBAB

Il n’oublie pas non plus les amateurs d’art belges et bruxellois "qui ont l’impression d’avoir déjà tout vu parce qu’ils sont venus il y a dix ans". C’est pourquoi il envisage une rotation thématique de 10% des œuvres du parcours tous les deux ans. La diversité doit aussi s’exprimer dans les formes d’œuvres présentées. Les œuvres sur papier, par exemple, "très délicates, et donc souvent délaissées, doivent faire l’objet d’une plus grande attention".

Favoriser les échos entre le présent et les réflexions menées par des artistes passés, ou belges contemporains

De manière générale, Kim Oosterlinck voudrait sortir d’un parcours régi par une chronologie de périodes historiques mutuellement exclusives. Il désire à l’inverse favoriser les échos entre le présent et les réflexions menées par différents artistes passés, ou belges contemporains (lire: d’après les années 1950). Conscient que la présence de ces derniers dans ses collections constitue d’ailleurs l’un de leurs points faibles et bien que ce soit prévu pour un second temps, le directeur entend bien leur redonner toute leur place dans ses murs, au gré d’expositions annuelles ou biannuelles. Le musée orientera aussi sa politique d’acquisition vers les artistes ou les œuvres en lien ou en dialogue avec l’espace culturel belge.

Les financements, la recherche et les politiques

La question de l’accroissement des collections est l’occasion d’évoquer les financements du musée.

"Il faut continuer de développer le mécénat et les partenariats avec le privé."

Le nouveau directeur, pragmatique, se montre volontaire: avec des ressources fort réduites, il faut continuer de développer le mécénat et les partenariats avec le privé. Il ne cache cependant pas, ni ses craintes ni ses critiques. Il regrette que les financements des établissements scientifiques fédéraux (ESF) ne soient ni à la hauteur de leurs ambitions ni même à la hauteur de leurs besoins de gestion quotidienne. "Quand on voit des notes politiques qui proposent de nous définancer encore plus, on se rend bien compte qu’il y a un problème", lâche-t-il.

Et d’évoquer un "déficit général de notoriété" de la recherche scientifique, mais aussi, et surtout, une "méconnaissance", chez les politiques, de ce qu’est "un musée, son fonctionnement et ses enjeux". Il discute alors les défis techniques de la conservation des œuvres dans des bâtiments classés et explique combien "les questions environnementales sont cruciales pour nous et pourtant, restent le plus souvent ignorées"». 

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"Les financements des ESF ne sont pas à la hauteur de leurs besoins de gestion quotidienne."

Quand nous lui demandons ce qu’il réserve à la recherche dans ces conditions, il nous explique son souhait d’aller chercher des financements européens en plus de ceux de Belspo qui, à ce niveau, se font essentiellement sur projets. Tout en défendant la qualité de la recherche menée sur le Mont des Arts, il reconnaît qu’il s’agit d’un pôle à renforcer et qu’un effort serait nécessaire pour mieux la valoriser et en présenter les rouages et les résultats au grand public. Il remarque la diversité de leurs travaux qui vont de la découverte des œuvres cachées sous les œuvres grâce à de nouvelles techniques d’analyse non-invasives, aux recherches de provenance, en passant par les études plus classiques sur tel ou tel mouvement artistique ou les humanités numériques et les outils d’analyse basés sur l’IA. "Cette diversité est susceptible de titiller la curiosité de publics très différents, nous devons nous en saisir pour mieux faire nous faire connaître."

"La diversité de nos projets de recherche est susceptible de titiller la curiosité de publics très différents."

Les musées Meunier et Wiertz méconnus

Enfin, le directeur présente ses projets de partenariats avec d’autres institutions, tel KBR (la Bibliothèque royale de Belgique), pour redynamiser la vie culturelle du Mont des Arts après 18 heures en organisant, par exemple, des nocturnes en commun.

Pour les autres musées dont il a la charge, si le Musée Magritte est très dynamique, le Musée Constantin Meunier et le Musée Wiertz gagneraient à être plus connus des Belges et des Bruxellois.

Au Musée Constantin Meunier
Au Musée Constantin Meunier ©MRBAB
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Paradoxalement, le peintre et sculpteur Constantin Meunier (1831–1905) est un artiste très (re)connu à l’international. Et son œuvre permet toujours de lancer de fructueuses réflexions sur des enjeux socio-culturels liés au travail, aux classes sociales et leurs liens aux arts.

Le Musée Wiertz.
Le Musée Wiertz. ©MRBAB, photo Odile Keromnes

Quant au Musée Wiertz, dédié et installé dans l’atelier du sulfureux et truculent artiste humaniste et romantique qu’était Antoine Wiertz (1806–1865), il pourrait nouer d’intéressants partenariats avec l’Institut royal des Sciences naturelles, le Parlement européen et le Musée de l’histoire européenne, qui se situent tous trois à un jet de pierre de ses verrières dessinées par le jeune Victor Horta. Il pourrait ainsi traiter des rapports entre sciences et arts ou arts et démocratie, deux thèmes qui traversent toute l’œuvre de cet artiste fort engagé.

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