Le Holzmarkt à Berlin est-il encore ce lieu alternatif idéal, mêlant culture, gastronomie et social?
Au fil des années, le Holzmarkt, situé sur les rives de la Spree à Berlin, a tour à tour été un lieu dédié au commerce du bois, une usine à gaz, une décharge et un club techno légendaire, le Bar25, symbole de l’état d’esprit berlinois. L’endroit a longtemps incarné la possibilité d’un développement urbain alternatif. Qu’en reste-t-il aujourd’hui?
À la frontière entre l’Ouest et l’Est de la ville, sur les rives de la Spree, se dresse le quartier coopératif "Holzmarkt 25". Les guides touristiques le présentent comme "l’incarnation du Berlin alternatif", "un village créatif" ou encore "une parenthèse culturelle au milieu de la ville".
Passé le grand panneau en bois aux lettres colorées "Holzmarkt" et une immense boule disco, on peut voir la place centrale du marché: on pénètre dans un univers rempli d’installations en bois, de lumières et de couleurs. Sur les bâtiments, du street art à foison. En déambulant dans les allées, on découvre un café, différents stands, un carrousel pour les enfants et également un restaurant en contrebas, où il est possible de déguster une cuisine internationale avec vue sur la Spree.
Le Holzmarkt n’est pas un banal marché. C’est aussi un lieu de culture, de création et de diffusion des arts: l’endroit accueille notamment un studio d’enregistrement, une école de musique, un club et un espace de coworking, qui ont permis la création d’un réseau d’artistes...
À l’approche des fêtes de fin d’année, le lieu accueille un marché de Noël. C’est en après-midi ou en soirée que l'endroit s’anime véritablement. Le Holzmarkt n’est cependant pas un banal "marché". C’est aussi un lieu de culture, de création et de diffusion des arts: l’endroit accueille différentes installations, dont un studio d’enregistrement, une école de musique, un club et un espace de coworking, qui ont permis la création d’un réseau d’artistes et la mise en place d’une série d’expérimentations en tout genre.
Plus étonnant: on trouve même une crèche pouvant accueillir une trentaine d’enfants... Ce qui montre bien que le Holzmarkt est conçu sur une base communautaire et citoyenne. Pour mieux comprendre l’aspect bigarré de l’endroit, il faut revenir à ses origines.
L’histoire d’un combat
Le Holzmarkt est l’histoire d’une résistance citoyenne et d’une volonté de création collective. À la fin des années 90 et au début des années 2000, la Ville de Berlin se lance dans de vastes projets de constructions immobilières avec pour objectif un grand réaménagement urbain. Un intérêt particulier se porte sur les rives de la Spree, très convoitées par le marché de l’immobilier. Un conflit surgit rapidement entre les intérêts privés et les besoins publics. La Ville prévoit la réalisation d’un programme de grande ampleur: "Mediaspree". L’idée est de construire une série de bureaux et d’espaces commerciaux en bordure de la Spree pour dynamiser le territoire et stimuler l’activité économique. Il s’agit bien de privatiser les rives du fleuve. C'est donc la question de la gestion des espaces publics qui se pose.
La Ville prend la décision de vendre une large bande de 18.000 m², située le long de l’eau, où se situait un bar mythique, connu pour ses soirées technos: le Bar25. Le projet est vivement critiqué. Plus qu’un club, le lieu représente l’esprit de la ville. En 2004, les gérants du Bar25 décident de prendre possession des lieux pour une utilisation "temporaire". En 2010, ils doivent cependant s’incliner face au projet "Mediaspree". Mais ce n’est pas la fin de l’histoire.
On assiste rapidement à une mobilisation des habitants du quartier qui s’opposent au projet immobilier. Une mobilisation telle qu’elle débouche sur un référendum d’initiative citoyenne: les citoyens réclament de gérer les terrains concernés. La protestation est rythmée par le slogan "Spreeufer für Alle" (Les rives de la Spree pour tous). Les négociations avec la Ville sont à l’arrêt, jusqu’à l’arrivée d’un fonds d’investissement suisse qui décide d’acheter le terrain afin de le louer. Créé par les anciens gérants du Bar25, le "Holzmarkt 25" voit le jour.
Si le quartier a bien une vocation communautaire et collective, il n’en reste pas moins que le projet repose sur un fonds d'investissement privé. Il s’agit donc bien ici d’attirer des touristes et de générer du profit.
Une étrange impression
Sur le papier, le Holzmartkt a donc tout pour constituer un espace alternatif idéal. Et pourtant, si tout concourt à faire de l’endroit un véritable tiers lieu mêlant culture, gastronomie et social, le jour de notre visite, il faut bien reconnaitre que l'endroit laisse une impression assez étrange: les graffitis, les cabanes, les stands, l’ambiance bohème, tout est là et pourtant…
La gérante du café, qui arbore une publicité pour les bitcoins, est peu prolixe. Elle se contente de nous lancer que "les chiffres sont bons et qu’il y a beaucoup de touristes"… Si le quartier a bien une vocation communautaire et collective, il n’en reste pas moins que le projet repose sur un fonds d'investissement privé: il n'est donc pas, à proprement parler, un espace public. Sa vocation sociale et culturelle repose sur les décisions des investisseurs. Même s’il ne faut pas limiter l’endroit à ces objectifs, il faut le reconnaitre: il s’agit bien ici d’attirer des touristes et de générer du profit.
En arpentant les allées, en croisant deux touristes japonaises qui prennent des selfies, l’impression se confirme: entre des enseignes commerciales, quelques sculptures et des messages du type "apprenez à vos enfants à respecter les plantes", nous avons la sensation d’être confronté à un étrange tourisme de l’alternatif. Nous décidons de nous éloigner un peu. À l’entrée, nous croisons une jeune fille, qui se rend manifestement à son travail en pressant le pas. Nous lui demandons si elle fréquente le lieu: "Non", nous répond-elle rapidement, "car Holzmarkt est devenu trop touristique."
Où est l’alternatif?
Les lieux alternatifs emblématiques de la ville sont-ils encore vraiment alternatifs? Berlin est-elle encore, comme on le lit parfois, la capitale des tiers lieux, en sachant que ce sont des espaces urbains comme celui-ci qui ont donné à la ville cette image de liberté et de créativité?
"L’alternatif est devenu une marque, une image. Aujourd'hui, à Berlin on vend l’alternatif. Les enjeux financiers ont fini par l’emporter."
Un peu plus loin, nous rencontrons un groupe de jeunes. Nous échangeons quelques mots. "De l'extérieur, on a toujours cette image de Berlin. Mais en réalité, ça a changé malheureusement", résument-ils. Ils sont artistes: poètes, éditeurs, musiciens et vidéastes. La plupart sont italiens: "Les artistes ont de plus en plus de mal à trouver des espaces. Ils commencent à partir. La force de Berlin, c'était aussi son attrait pour les étrangers. Il y a quelques années, beaucoup de choses étaient possibles. Il y avait vraiment des choses à faire, à créer, à expérimenter. La ville offrait cette possibilité."
Ils évoquent notamment la période du covid, mais aussi la spéculation immobilière et la hausse des prix: "C'est difficile de se loger, par exemple. L'augmentation des loyers n'est pas proportionnelle à l’augmentation des salaires ou du niveau de vie." Ils se rendent au vernissage d’une installation sonore dans un autre quartier, le district d'Alt Treptow.
Le lieu est un building qui date de la RDA où il y a une série d’ateliers d’artistes: des architectes, des photographes et des vidéastes y ont élu domicile. Seulement, ils nous expliquent que les locataires sont dans une situation précaire: ils risquent une expulsion. "L'aspect alternatif est en train de quitter Berlin. Il existe encore, mais vraiment dans les marges. Certains lieux et espaces sont aujourd’hui récupérés par des start-ups ou et des coworkings. Ces lieux ont en quelque sorte perdu leur authenticité. L'exemple le plus éclatant, c'est le Tacheles (haut-lieu de l’alternative culturelle à Berlin), qui a fermé ses portes. L'alternatif n’a plus pignon sur rue: ce n’est pas dans les galeries ou les lieux dits alternatifs qu’il faut le chercher. Les grandes agences immobilières utilisent par exemple les grafs de certains street artists comme argument de vente. L’alternatif est devenu une marque, une image. Aujourd'hui, à Berlin, on vend l’alternatif. Les enjeux financiers ont fini par l’emporter: la ville a tenu plus longtemps que d’autres villes européennes, mais elle a fini par être phagocytée également."
Nous concluons notre échange: Berlin est-elle encore la ville représentant une certaine liberté artistique et sociale? "À l'époque, c'était une réalité. Aujourd’hui, ce sentiment de liberté est plus une impression qu’une réalité." Tout ceci pose une immense question: l’alternatif n’a-t-il pas toujours vocation à être, au bout du compte, récupéré et institutionnalisé, d’une manière ou d’une autre? Ce qui amène une seconde grande question: comment institutionnaliser l’alternatif sans le vider de sa substance et de sa richesse?
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