Brenda est une héroïne
Le dessinateur et scénariste Halim signe un roman graphique d’une puissance inouïe sur la maltraitance des femmes et des enfants. Violent comme un coup-de-poing, sensible comme une larme.
C’est l’histoire d’une mère enfant qui ne sait pas comment aimer ni élever sa fille. C’est l’histoire d’une enfant qui doit prendre soin de sa mère. C’est l’histoire d’une mère et de sa fille maltraitées… C’est l’histoire de Brenda. Et c’est déchirant. "Petite Maman" est l’album de l’année et l’un des albums les plus forts depuis longtemps.
Par ce roman graphique de près de 200 pages, Halim touche l’indicible, la souffrance ultime mais aussi l’amour le plus fort. Brenda naît d’une mère adolescente et l’instinct maternel, dans son cas, est absent ou maladroit. Son amour pour sa fille, elle lui montre en la pinçant si fort qu’elle en a des bleus sur tout le corps, en la forçant à manger dans la gamelle du chien pour éviter de prendre plus de coups encore… Mais pourtant elle l’aime.
Comme Brenda aime sa mère, et fait tout ce qu’elle peut pour la protéger, elle et son petit frère, de l’homme qui les bât… Laissée à elle-même, battue, brimée, cassée, Brenda mûrit plus vite qu’elle ne devrait et s’estime responsable de sa mère et de son petit frère. Elle devient pour eux leur "petite maman".
Enfant de banlieues, Halim a parfois été le témoin de cette souffrance des adultes qui se répercute sur les enfants. Parent de 3 enfants, il a été particulièrement touché par des affaires de maltraitance: le petit Bastien enfermé vivant dans une machine à laver et dont le père assassin sera dénoncé par sa sœur de 5 ans; la petite Marina qui finit par succomber aux coups de ses parents; d’autres encore… "Comment peut-on en arriver là?" s’interroge Halim. "En me documentant, j’en ai vu plus que je ne pouvais imaginer. Mais ce qui m’a le plus choqué, c’est la misère des travailleurs sociaux qui devraient détecter ces maltraitances sur enfant et qui sont complètement abandonnés, désemparés…"
La lettre aux Européens de l’ancien président équatorien Rafael Correa sur la crise qui frappait son pays, a achevé sa prise de conscience. "Il dit très justement que la destruction du lien familial est la ligne rouge que franchit une société en crise profonde. Cette limite, on la franchit de plus en plus chez nous, sans rien pouvoir ou vouloir faire…" Une chape de plomb s’installe trop vite ou trop facilement sur des situations dont on sent bien qu’elles dérapent, qu’elles ne peuvent qu’empirer. "Bien sûr, il y a une part d’accusation dans mon livre. Mais pas seulement contre les parents bourreaux, bien plus contre un système de moins en moins humain dans lequel chacun se rejette la faute."
Et Halim de pointer ce que l’on appelle l’aléa moral, l’angle mort de la responsabilité, qui "autorise" chacun à se décharger de toute responsabilité. "Pourquoi dans certaines affaires de maltraitance d’enfants en vient-on à condamner les assistantes sociales plutôt que les parents?" s’insurge Halim.
Halim organise son récit comme des poupées russes. À chaque fois que l’on en ouvre une, on plonge davantage dans l’horreur de la maltraitance. Cela commence par de la négligence parentale. Puis cela continue par un claque, un coup, une brimade. La violence se banalise, devient quotidienne, renforcée, du côté du bourreau, ou soulagée pour la victime, n’eut-elle que 13 ans, par l’alcool. "J’essaye de montrer la justification que l’on peut trouver à de tels actes: la mauvaise éducation que l’on a reçue, le manque d’éducation, le chômage, les difficultés économiques, la misère sociale ou relationnelle… Il y en a plein!" constate Halim.
"La pauvreté, pas qu’économique, la pauvreté sociale aussi est très dure à porter. On fuit ses responsabilités, étouffé par le poids de l’administration, des dettes et des règles. On finit par perdre toute forme de repère", estime encore l’auteur.
Le récit est d’autant plus poignant qu’il est raconté à la première personne. Devenue maman, très jeune elle aussi, Brenda éprouve le besoin de parler et se livre à Michel, un psy-gâteau. Et, artifice graphique, Halim donne à Brenda, la patiente, l’âge de la petite fille martyrisée tout au long de son calvaire. "La BD permet de travailler davantage sur l’émotion qu’un reportage", précise Halim.
À aucun moment, Brenda ne hait sa mère, qui pourtant, laisse faire son mec et ne fait rien pour la protéger. "Elle ne la rejette pas parce qu’elle prend des coups elle aussi. Même si la mère est à la limite entre la victime et le bourreau", poursuit Halim.
Mais bien plus qu’à son "beau-père", qu’à sa mère ou à l’assistante sociale (dont la visite a été minutieusement préparée par les parents) qui n’a rien pu faire, c’est à elle-même que Brenda en veut. Elle-même qui est arrivée trop tôt dans la vie de sa mère qui n’était pas prête, elle qui aurait dû être sous les crocs du chien à la place de son petit frère.
"Je suis mon premier lecteur. J’avais besoin de sortir respirer après avoir écrit certaines séquences."
Halim ne se contente pas d’un récit manichéen avec des bons et des méchants et une fin heureuse. Il plonge très loin dans la psychologie des personnages, parfois pour en faire sortir une violence inouïe, mais qui n’est jamais gratuite. "Je suis mon premier lecteur forcément. Et souvent j’en ai eu les larmes aux yeux. J’avais besoin de sortir pour respirer après certaines séquences." Parce que, au-delà de cette violence, Halim traite ce sujet difficile de la souffrance physique et surtout morale avec une sensibilité à fleur de peau.
La violence du propos est par ailleurs soutenue par une mise en page très dynamique qui alterne les scènes de calme et de tempête. La planche se déstructure alors comme ébranlée par les cris et les coups qui sortent du cadre. "Les cases enferment un tel récit. Le plus difficile était finalement de montrer la tension plutôt que l’action qui éclate véritablement", précise-t-il.
L’histoire de Brenda est celle de milliers de femmes, de filles, d’enfants, battus, brimés. C’est terriblement dur mais c’est une prise de conscience indispensable de la dérive de notre société. Et c’est trop souvent le résultat d’un laisser-faire et de la transmission d’une (absence d’)éducation et de valeurs perdues. Halim fait de Brenda une héroïne de cette guerre familiale. Parce qu’elle y survit, mais surtout parce qu’un moment elle dit "ça suffit". Et c’est héroïque!
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