"Le capital sexuel": quand la sexualité devient un atout professionnel
Dans "Le capital sexuel", les sociologues Eva Illouz et Dana Kaplan montrent comment la sexualité est devenue un capital influençant non seulement la réussite sociale, mais aussi l’employabilité.
Le sexe fait vendre, on le sait, la nudité envahit les publicités, les films et les clips musicaux. Le lien entre sexualité et capitalisme semble donc évident. L’idée que la vie sexuelle ait un impact sur les performances au travail est plus étonnante, et c’est pourtant bien ce qu’analysent Eva Illouz et Dana Kaplan dans "Le capital sexuel". L’essai, accueilli dans la collection Traverse du Seuil, dirigée par Ivan Jablonka, offre une perspective provocante et inédite, mêlant culture populaire, références savantes et enjeux socio-économiques.
Les sociologues israéliennes démontrent que la sexualité, autrefois privatisée par la religion, est désormais régulée par l’économie. Elle devient une ressource en vue de gains futurs dépassant largement les limites de la sphère intime. L’investissement financier dans l’amélioration physique vise à accroître la valeur de l’individu en société.
La sexualité ne serait ni une force transgressive ni un moyen d’émancipation, mais bel et bien une extension de la liberté des marchés.
"La sphère sexuelle s’est marchandisée au point que les plaisirs, identifications et expériences sexuelles personnelles participent à l’autopromotion de l’individu ouvert, libéré et émancipé. (…) Nous comprenons l’automarchandisation extrême de certaines de ces identités comme une force de travail néolibérale et comme un avantage essentiel sur le plan professionnel."
Le sex-appeal au travail
Concrètement, le capital sexuel englobe la capacité à tirer une appréciation de soi des aventures sexuelles et à exploiter cette valeur personnelle pour améliorer son employabilité. D’une part, avoir une libido satisfaite donnerait de l’assurance, mais la séduction mettrait aussi à profit des compétences sociales pouvant s’appliquer dans la sphère du travail, comme être force d’initiative, oser prendre la parole et s’affirmer.
Les dynamiques des milieux professionnels ont évolué avec l’émergence de métiers où maintenir une image attractive est essentiel, comme celui de présentatrice de télévision ou d’hôtesse de l’air. L’accumulation de capital sexuel offre un avantage notable non seulement dans le domaine professionnel, mais aussi sur les marchés matrimoniaux, car le mariage est une stratégie visant à amasser des ressources.
"La sexualité est au rapport homme-femme ce que le contrat de travail est à la relation capitaliste-ouvrier."
Le constat est sans appel: "notre sexualité contribue à la reproduction du capitalisme néolibéral". Le capital sexuel est un facteur de reproduction de classe. Dans un monde où TikTok et Instagram font de l’attractivité physique une source de revenus, de nouvelles formes de capitaux émergent, court-circuitant parfois les structures traditionnelles.
Cependant, les autrices soulignent la complexité de cette dynamique, indiquant que le capital sexuel peut être parallèle à d’autres formes de capital et ne garantit pas automatiquement la réussite sociale.
Une liberté sexuelle sous emprise capitaliste
Pour Michel Foucault, la liberté sexuelle apportait de nouvelles formes de connaissance de soi. Selon les autrices, le capitalisme vient bouleverser cette analyse. Elles remettent en question la prétendue "liberté sexuelle" des sociétés néolibérales. La sexualité ne serait ni une force transgressive ni un moyen d’émancipation, mais bel et bien une extension de la liberté des marchés. "Si la sexualité est une forme de capital, c’est parce qu’elle repose sur la domination masculine." Les femmes ne peuvent donc pas espérer atteindre l’égalité si leur identité est toujours liée à leur sexualisation. "La sexualité est au rapport homme-femme ce que le contrat de travail est à la relation capitaliste-ouvrier. Il y a la domination sexuelle dans la pratique, dans les représentations et dans le regard", affirmait Eva Illouz dans un entretien à Marianne.
Comme pour les autres capitaux – culturel, économique, social et symbolique –, il est inégalement réparti.
Si le concept de capital sexuel a émergé dans les années 2000, en particulier grâce aux travaux de Catherine Hakim, Dana Kaplan et Eva Illouz le remettent au goût du jour et contredisent certaines théories de la sociologue britannique. Envisager la sexualité comme un capital met en lumière la reprise de la sexualisation des femmes par l’économie, un processus souvent aliénant. Comme pour les autres capitaux – culturel, économique, social et symbolique –, il est inégalement réparti. Il peut être bénéfique pour certains, mais son effet est à double tranchant.
Essai
"Le capital sexuel"
Par Dana Kaplan et Eva Illouz
Traduit de l'anglais par Charlotte Matoussowsky
Édité par Seuil, (coll. Traverse)
168 p. - 17,90 €
Note de L'Echo:
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