Reine Elisabeth: un concours de résistance
Comment se préparer à cette session 100% digitale du Concours Reine Elisabeth qui débute ce lundi? Réponse avec trois candidats pianistes de la Chapelle musicale.
2021 a failli être une seconde «annus horribilis» pour le Concours Reine Elisabeth. D’abord reporté puis annulé en 2020, les incertitudes ont plané jusqu’au début de cette semaine quand Bozar a heureusement annoncé la réouverture de sa grande salle, inondée en janvier suite à l’incendie de sa toiture. In extremis pour accueillir la finale, fin mai... Il a fallu aussi arpenter les couloirs du ministère des Affaires étrangères pour savoir comment faire venir 60 jeunes d’une vingtaine de pays, puis trouver des familles d’accueil pour les loger le temps du concours.
Quand on télétravaille, et que les enfants sont confinés à la maison, difficile d’héberger pendant un mois un broyeur d’ivoire qui va vous servir des gammes au kilomètre toute la sainte journée. «Pour les familles d’accueil plus âgées, il y avait aussi l’angoisse du virus», rapporte Patricia Breeus, Production manager du Concours, soulagée d’avoir malgré tout réussi à caser 55 candidats (sur les 76 qui s’étaient annoncés en 2020). «Ils sont en effet tous arrivés le 22 avril, avec un test covid à leur arrivée à Bruxelles, et une quarantaine de 7 jours avant un deuxième test. À partir de lundi, on pourra leur trouver un bon piano pour ceux qui manquent d’un instrument de qualité et ils pourront travailler leur étude de Ligeti», dit-elle avec un brin de malice.
"Comparés aux musiciens que je connais à Londres, on a de la chance d’être ici."
À côté de toutes ces équipées, les quatre candidats que la Chapelle musicale Reine Elisabeth présente cette année font figure de coqs en pâte dans leur studio équipé d’un piano et avec tout un staff chargé de les mettre en condition. «Comparés aux musiciens que je connais à Londres, on a de la chance d’être ici. Nous avons régulièrement de petites prestations et des concerts en streaming pour nous préparer, même sans public», explique le jeune pianiste turc Salih Can Gevrek, qui suit ici l’enseignement de Louis Lortie depuis 2017.
Davantage que les prouesses techniques ou musicales dont ils seront capables, c’est en effet sur le flanc de l’endurance qu’ils seront d’abord jugés, alors que la fermeture des salles en a contraint beaucoup à se tourner les pouces, au risque, comme le souligne le candidat letton Daumans Liepins, de perdre «la capacité de concentration sur scène qui nous permet de tenir le coup du début à la fin d’une prestation».
C’est tout l’enjeu de leur préparation, explique d’ailleurs Bernard de Launoit, le CEO de la Chapelle musicale: «Il va y avoir un concours dans le concours: un concours de résistance inhabituel pour des jeunes qui n’ont pas eu une activité normale pour la plupart d’entre eux, d’autant qu’au deuxième tour, chaque candidat devra enchaîner, le même jour, son concerto de Mozart et son récital. À ce jeu, les candidats asiatiques seront peut-être avantagés, car le covid a moins touché l’activité artistique en Asie qu’en Europe ou en Amérique du Nord, où toute l’activité est à l’arrêt.»
"Il va y avoir un concours dans le concours: un concours de résistance inhabituel pour des jeunes qui n’ont pas eu une activité normale pour la plupart d’entre eux."
Lorsque nous les avons rencontrés à la Chapelle, il y a trois semaines, les quatre candidats pianistes avaient déjà eu l’occasion de jouer en streaming leur concerto de Mozart et la moitié d’entre eux, leur concerto de finale. «Notre mission, c’est de les faire jouer autant que possible, dans toutes les configurations, et de les placer dans le meilleur contexte», reprend Bernard de Launoit. «Il faut qu’ils ne soient ni trop fatigués ni pas assez, dans une tension ni trop forte ni trop faible.»
Il leur faudra aussi savoir appréhender les conditions propres du streaming, dont l’œil froid de la caméra, qui seront la règle cette année: pas de public, à part quelques journalistes et producteurs de la RTBF, des techniciens et le jury en rang d’oignons, où sont annoncés Jean-Philippe Collard, Nelson Goerner, François-Frédéric Guy, Paul Lewis, Elisso Virsaladze ou Jean-Claude Vanden Eynden.
Contre toute attente, c’est la présence de ces maîtres qui rassure le candidat sibérien Sergeï Redkin: «En un sens, jouer pour ces grands professionnels, ce sera peut-être mieux parce qu’ils comprendront ce que vous faites, bien davantage que n’importe quel spectateur lambda. Mais d’un autre côté, il sera plus compliqué de défendre une pièce difficile sans l’énergie du public et sans saturer les micros. Je ne sais pas quel aspect va l’emporter.»
Salih Can Gevrek se demande, lui, pour qui il va jouer: «Mon problème, quand on est dans une salle et qu’on est supposé jouer en streaming, c’est que j’ai envie de projeter le son dans l’espace alors que les micros sont presque dans le piano. Je ne sais pas si je dois me produire pour les micros ou pour un public imaginaire. Je travaille ces questions pour trouver le bon équilibre, mais je vais sans doute jouer pour la salle, ce qui est plus confortable pour moi.»
Daumans Liepins n’y va pas par quatre chemins: il n’a jamais aimé les studios d’enregistrement. «C’est gérable, mais on ne peut jamais tout transmettre dans un enregistrement ou une captation. J’ai un peu de mal à me faire plaisir en me disant que des gens vont écouter ça plus tard ou ailleurs, parce que cela ne se passe pas ici et maintenant. Il est plus facile d’atteindre un bon degré d’attention quand quelqu’un vous écoute, parce qu’il y a un but».
Est-ce un hasard si, en ce moment même, il est à Madrid pour jouer un concerto de Liszt? «Ce sera devant un public: c’est un tel luxe que je ne pouvais pas refuser ça».
Du 3 au 8/5, depuis Flagey
(du lundi au jeudi, à 12h, 16h et 20h. Les vendredi et samedi, à 16h et 20h).
Les 60 candidats en lice joueront un récital.
Du 10 au 15/5, depuis Flagey (à 16h et 20h).
12 demi-finalistes joueront, chacun le même jour,
un concerto de Mozart et un récital.
Du 24 au 29/5, depuis Bozar (à 20h).
6 finalistes joueront un concerto
de leur choix et l’œuvre imposée de l’excellent Bruno Mantovani.
Les streamings
Toutes les épreuves seront diffusées en direct sur La Trois, Musiq’3, Auvio et
les réseaux sociaux de la RTBF, et, pour la première fois, sur la plateforme Twitch, au compte «queenelisabethcompetition».
Infos: concoursreineelisabeth.be
Le Reine Elisabeth va offrir une fois de plus aux mélomanes l’occasion de se réjouir du niveau de cette compétition, et de son image valorisante hors frontières pour notre modeste royaume. Cela tombe d’autant mieux que, cette année, c’est l’Orchestre national de Belgique qui est sur la scène. Une vitrine. Mais une publicité mensongère. Car l’ONB – rebaptisé Belgian National Orchestra, ce qui ne séduit que le Nord du pays – va mal.
Certes, comme pour les deux autres institutions culturelles fédérales (La Monnaie et Bozar), la ministre Sophie Wilmès a lancé une procédure publique – une première! – de renouvellement des conseils d’administration. Juré, on cherche enfin de vrais gestionnaires culturels. La fin du gâteau politique? On veut y croire. Parce que c’est bien de nouvelle cuisine qu’a besoin l’ONB pour retrouver la saveur perdue depuis l’époque du chef Walter Weller.
La liste des problèmes
La liste des problèmes? Un cadre de 96 musiciens qui n’en compte plus que 80. L’engagement de contractuels et non plus de statutaires, avec distorsions de contrats. Un conseil d’administration déserté. Un chef principal, Hugh Wolff, plus souvent à Boston qu’à Bruxelles. Une visibilité inexistante en raison du lien ténu avec Bozar, «sa» salle. Mais, surtout, des relations sociales tendues, cristallisées autour de l’intendant Hans Waege.
Une partie de l’orchestre, syndiquée, lui reproche une gestion «autoritaire», une autre regrette au contraire «l’agressivité» syndicale. Nouvel épisode récent, celui des droits voisins, censés accorder un complément de rémunération pour les captations en streaming, comme à la Monnaie. Victoire syndicale en justice à ce propos, mais appel en cours et promesse d’un arrêté de Sophie Wilmès pour solder le problème. Voire… On arrête la litanie.
Parce que, sans prendre parti, l’évidence s’impose: le pourrissement actuel de la situation doit beaucoup à l’indifférence crasse du politique à l’égard de la musique classique. À défaut d’une fusion avec l’orchestre de la Monnaie, comme le suggéra (en vain) le rapport Blanchard en 2015, c’est l’avenir même de l’ONB qui se jouera avec le nouveau CA. À condition que le politique, qui finance, lui en donne les moyens. Mais a-t-il jamais regardé le Reine Elisabeth? - Stéphane Renard
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