Avec "Strano", du cirque Trottola, l'envol triomphe de la pesanteur
Cinquième spectacle du Cirque Trottola, "Strano" est une petite perle d'acrobatie et de poésie pour renouer avec l'enfance. À voir absolument, jusqu'au 5 avril, à Latitude 50.
La nouvelle perle du Cirque Trottola s'appelle "Strano", étrange en italien. Et c'est bien l'étrangeté qui nous saisit lorsqu'on abandonne l'autoroute pour rejoindre Marchin, où Olivier Minet a planté, en 2004, Latitude 50, pôle des arts du cirque et de la rue de la Fédération Wallonie-Bruxelles. On suit la route sinueuse qui nous mène vers ce plateau du Condroz, laissant sur notre droite une sorte de ranch où s'ébroue un cheptel de chevaux. En arrivant, on est déjà ailleurs, en dehors de la fureur du monde, prêt à rouvrir les portes de l'imaginaire.
Et c'est précisément ce que cherchent Titoune et Bonaventure Gacon en baladant, depuis 20 ans, leur roulotte de circassiens et en préférant leur propre cirque aux structures établies, si idéales soient-elles, comme la salle moderne et tout en bois naturel de Latitude 50. Le nouveau chapiteau des Gacon, tout rond et de rouge vêtu, qui lui fait face, nous ramène tout doit à l'âge d'or du cirque.
L'orgue de Samuel Legal procure un tout autre sentiment qu'une musique de bastringue enregistrée si typique du cirque: une forme de gravité.
Effroi et hilarité
Tous agglutinés sur les gradins pentus, on voit s'ébrouer le géant Bonaventure, comme s'il sortait d'un mauvais rêve dont nous parviennent les réminiscences au loin – fanfare militaire d'une campagne de la guerre de 1870 ou de 14, comme le laissent à penser sa vareuse élimée et son futal de hussard. Bref, il est là, tombant du lit, suscitant immédiatement l'hilarité par ses vociférations, la mine blafarde, le cheveu et la barbe hirsutes du poilu qui ne s'est jamais remis des combats au front.
La plateforme où il dormait, au-dessus de l'accès aux coulisses, pivote et laisse apparaître un orgue imposant, tenu par Samuel Legal, qui ne cessera, durant tout le spectacle, d'égrener son répertoire, allant de Jean-Sébastien Bach à ses propres improvisations tirant vers le jazz, et nous procurant d'emblée un tout autre sentiment qu'une musique de bastringue enregistrée, si typique du cirque. Une forme de gravité, qui répond aux bruits de bottes dont se rappelle notre bruyant colosse.
Complices sur scène, Titoune et Bonaventure Gacon le sont bien sûr, mais ce qui touche, c'est l'infinie tendresse et la prévenance dont ils font preuve l'un envers l'autre.
L'émotion plus que la performance
Sur la piste, deux complices l'on rejoint. Il y a Rififi – alias Titoune, la trapéziste – grimé en petit oiseau s'exprimant en zozotant à travers sa musette, et Pierre Le Gouallec en alternance avec Sébastien Brun, qui enchaînement à présent les portés, échelles humaines et autres jeux de trapèze double. Il s'agit moins de tours que de tableaux qui s'écrivent en filigrane et nous transportent dans le rêve musical de Bonaventure. Et c'est moins la performance acrobatique qui est ici recherchée que l'émotion pure, tour à tour drôle et tragique.
Bonaventure avait rencontré Titoune en 1999, dans le cirque fondé par cette dernière, avant qu'ils ne créent à deux le Cirque Trottola en 2002, livrant, depuis, un spectacle original environ tous les cinq ans, ce qui fait de "Strano", le cinquième opus de nos deux circassiens. Tous les deux ont dépassé la cinquantaine, mais ils ne s'économisent pas, livrant leur corps aux acrobaties sans masquer parfois une fragilité qui ajoute encore à l'humanité de l'ensemble qu'ils forment. Complices sur la piste, ils le sont bien sûr, mais ce qui touche, c'est l'infinie tendresse et la prévenance dont ils font preuve l'un envers l'autre.
En apesanteur
Certaines scènes nous reviennent instantanément à l'esprit comme lorsque Bonaventure, simplement équipé de longes en métal terminées d'un cale-pied et, à l'autre bout, d'un crochet, passe d'un montant à l'autre de la structure hexagonale qui ceint la piste. En apesanteur.
On rit à gorge déployée lorsqu'il oppose au mini piano droit de Samuel Legal, enfin descendu de sa tribune, la carcasse d'un gros piano à queue qui va devenir un personnage à part entière et l'objet d'une série de tours désopilants. Et quel final, où Titoune et Bovaventure sont maintenant en équilibre, de part et d'autre d'une échelle qui commence à tourner de plus en plus vite sur elle-même. Le triomphe de l'envol, de la fantaisie et de l'imagination.
Cirque
"Strano"
De et par Titoune et Bonaventure Gacon
En piste: Titoune et Bonaventure Gacon, Pierre Le Gouallec en alternance avec Sébastien Brun. Musique: Samuel Legal
À voir à Latitude 50 - pôle des arts du cirque et de la rue - Marchin
Il reste des places le samedi 5 avril 2025 (20h30)
Ensuite au Prato de Lille, du 25 au 30 avril 2025 > En savoir plus
Note de L'Echo:
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