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"L'Avenir" de Magrit Coulon: pourquoi n'arrive-t-on plus à se parler?

La scénographie, comme le propos, est tout en subtilité et minimalisme. ©compagnie Nature II

Jusqu'au 23 novembre au Théâtre National, Magrit Coulon met en scène les maladresses qu'on aimerait cacher. "L'Avenir" offre un moment suspendu, drôle et triste, qui tente de comprendre nos solitudes.

Trois jeunes sont assis dans un réfectoire aseptisé, chacun à l'autre bout de la pièce, le plus loin possible les uns des autres. Que font-ils? Rien. Ils attendent jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à attendre.

Cette attente ne ressemble pas à celle de Godot, car l'espoir semble ici n'avoir jamais existé. Les craintes et les peurs restent muettes, noyées dans une solitude qui broie les corps et pousse à la léthargie.

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Le silence règne. Il se suspend momentanément par le grincement des roues du charriot de l'intendante. Son corps vouté s'anime comme un pilote automatique. Appuyer sur le pousse-pousse du thermos de café, mettre une petite cuillère, poser la soucoupe, continuer son tour. Elle passe et repasse à rythme régulier. On se rend vite compte que ses gestes mécaniques ont peu de sens. Les chaises restent vides face aux tasses fumantes.

Magrit Coulon montre que nous ne sommes jamais seuls. Nos solitudes ont des complices. Encore faut-il qu'elles se prennent la main les unes des autres.
Magrit Coulon montre que nous ne sommes jamais seuls. Nos solitudes ont des complices. Encore faut-il qu'elles se prennent la main les unes des autres. ©Margot Brian

"Coucou les pensées perdues"

Un garçon entre, il est grand, recroquevillé sur lui-même et traîne des pieds. Il s'assoit, se tortille sur sa chaise, puis repart aussitôt, trop mal à l'aise. Une bouche finit par s'ouvrir: "Eh, salut, ça va?". La démarche manque de naturel et sonne dans le vide. Personne ne réagit. Comme un boomerang, ce néant sonore lui revient en pleine face, et s'en prend aussi à celle du spectateur.

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La scénographie, comme le propos, est tout en subtilité et minimalisme. L'horloge est arrêtée. Mais les fleurs, que l'intendante change à chaque passage, flétrissent à vitesse grand V. Par moments, quelques fulgurances se produisent. Les personnages bravent leur timidité et tentent de se faire remarquer en enfilant des accoutrements extravagants. Comme si c'était la seule manière de communiquer, de créer du lien.

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Magrit Coulon offre l'expérience du vide. Mais un vide beau, touchant, et nécessaire.

Petit à petit, le public se crispe face à tant de malaise. La tension monte dans les corps et exulte lors d'une acmé pleine de drôleries. L'un des personnages s'est emparé d'un micro. Il débute son speech par des trivialités, qui prennent ensuite un sens plus profond. "Est-ce que qu’il y a quelqu’un pour m’entendre?", demande-t-il. "C’est formidable de bien s’entendre." Le silence ne désemplit pas, mais le comédien souligne que tout le monde est perdu dans ses pensées. Ou plutôt, que ce sont les pensées qui sont perdues et flottent un peu partout. "Coucou les pensées perdues."

Gros plans sur le désespoir

Ce réfectoire, un lieu nommé "l'Avenir", est sujet à diverses interprétations. La précédente pièce de Magrit Coulon, "Home", se voulait frontalement être une maison de retraite. Ici, les personnages semblent entre les murs d'un hôpital psychiatrique. Un mal les ronge. Une fille retire sa casquette rose, se recoiffe puis s'essaye à des explications. Elle parle de la jeune génération qui n'arrive plus à se lever le matin. Qui n'arrive plus à ressentir de désir et de bien-être. "Tu découvres que tu ne sais pas vivre, que tu ne sauras jamais", dit-elle. Souffler les bougies de son vingt-huitième anniversaire est une épreuve trop rude qui pose la terrifiante question de l'Avenir.

L'audience est forcée à l'introspection. À se questionner sur sa propre solitude. Et ce temps étiré ne plait pas à tout le monde.

La metteuse en scène de 28 ans prend le désespoir à bras-le-corps. Si un problème semble aussi effrayant qu'un tigre, détourner son attention en mangeant une fraise soulage temporairement. Une cerise peut aussi faire l'affaire. Une cerise peut même guérir une envie suicidaire.

La pièce met l'accent sur les micro-gestes. Elle zoome sur ce qu'on essaye habituellement de cacher. Les petits moments de malaises. Les tentatives vaines pour prendre la parole. Les étourderies et les maladresses. La metteuse en scène montre que nous ne sommes jamais seuls. Nos solitudes ont des complices. Encore faut-il qu'elles se prennent la main les unes des autres. Pourquoi n'arrive-t-on plus à se parler?

Dans la tête des introvertis

L'audience est forcée à l'introspection. À se questionner sur sa propre solitude. Ce temps étiré ne plait pas à tout le monde, et peut carrément créer une expérience désagréable. Magrit Coulon offre l'expérience du vide. Mais un vide beau, touchant, et nécessaire. Dans une société ultra-rapide, ce vide vous demande comment vous allez. Si vous connaissez déjà la réponse, et qu'elle est négative, alors peut-être arriverez-vous, dans ce moment suspendu, à mettre le doigt dessus. Et si ce vide ne résonne pas en vous, alors, ayez un peu d'altruisme, et soyez les bienvenues dans la tête des introvertis.

Théâtre

"L'Avenir"

Écrit par Bogdan Kikena

Mis en scène par Magrit Coulon

Avec Raphaëlle Corbisier, Emmanuelle Gilles-Rousseau, Romain Pigneul, Jules Puibaraud, Claire Rappin

Note de L'Echo:

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