Séverine de Sadeleer: "Cette idée est née de mon expérience de l'Afrique, où la résilience et la joie de vivre des enfants est incroyable"
Séverine de Sadeleer, qui a passé des années en Afrique, a mis au point une girafe, AMA, qui connecte les enfants francophones entre eux, pour encourager leur éducation et créer du lien.
Place Flagey, un mardi à 16h. Sur la terrasse du Belga nous attendons la sociale-entrepreneuse Séverine de Sadeleer. Pour l'heure, le ciel s'est gorgé d'eau. Tombera, tombera pas, va-t'en savoir. En tous cas, après 10 jours de soleil, beaucoup semblent jouer la prudence tant il est impossible de trouver une table à l'intérieur de l'établissement. "Pas grave, j’ai remarqué un café un peu pourri mais sympa, tout près d'ici", lance gaiement Séverine de Sadeleer en traversant la place. Face à l'église, elle se ravise devant son restaurant préféré, "Les Variétés" et lâche "on va tenter", en poussant avec sympathie la porte de l'établissement encore fermé. Surpris en train d'aligner les couverts sur les tables, le serveur téléphone au patron pour lui demander l'autorisation de nous laisser entrer. Bonne âme, Vladimir Litvine accepte "avec plaisir!", alors que Séverine de Sadeleer s'était déjà posée sur la banquette. "Oui je sais, lance-t-elle dans un gentil sourire, je n'ai pas froid aux yeux." De notre côté de la table, on se dit surtout que Séverine de Sadeleer est une femme à qui on ne doit pas souvent dire non. D'emblée aussi, on sent les 6 ans passés en Afrique. Entendez: il y a toujours moyen de s'arranger.
Parcours en Afrique
"Finalement, qu'est-ce qui compte le plus, l’éducation ou la préservation de la culture?"
Elle commande un coca zéro "avec un citron". Poursuivant sur l'Afrique, elle confie avoir sans doute été Africaine dans une autre vie. Dans celle-ci, en tout cas, c'est dans le cadre de son mémoire en anthropologie qu'elle y a mis les pieds pour la première fois, en 2005. Le pitch? Les enjeux de la scolarisation des enfants des populations nomades. Plus précisément pour elle, un séjour chez les Touaregs au nord du Mali pendant 6 mois. Une question complexe qui l'amenait à interroger toutes les strates de ladite société autochtone.
"Peu importe le continent ou la culture, tous les parents veulent la même chose pour leurs enfants, exercer une profession pour s'en sortir."
"S'ils se sédentarisent complètement, quid de l'attachement à la culture nomade, quid des racines et du mode de vie? Finalement, qu'est-ce qui compte le plus, l’éducation ou la préservation de la culture? Parmi les notables que j'ai interrogés, beaucoup me confiaient qu'ils n'avaient pas envie qu'en 2020, leurs enfants soient forcés de continuer à courir en pagne derrière quatre biquettes et trois chamelles." Un premier enseignement pour elle, qui se confirmera par la suite. "Peu importe le continent ou la culture, tous les parents veulent la même chose pour leurs enfants, exercer une profession pour s'en sortir."
"Les enquêtes de terrain sont indispensables. On a beau penser au mieux des solutions avec des spécialistes du développement, dans la pratique, la coopération est complexe."
Après le Mali, direction le Niger (3 ans) dans le cadre de l'ancien "service aux volontaires" initié par la coopération technique belge (aujourd'hui Enabel, NDLR) avant, pour elle, de se poser au Burundi (2 ans). Pour ces deux missions, elle explique qu'il s'agissait de projets "santé", mais en lien avec leur dimension sociale. Ici encore, une grande question: "Comment adapter l'offre des soins à la réalité des populations locales?". Elle explique: "Souvent, le médecin apparaît en tout dernier recours, car les populations préfèrent s'adresser en premier lieu au sorcier du village. D'abord pour des raisons géographiques, ensuite pour des raisons pécuniaires ou linguistiques, enfin – et c'est ce que je découvrais sur place – parce que le personnel soignant local avait tendance à mépriser ou discriminer ceux qu'il considère comme 'inférieures', car non instruites. C'est en cela que les enquêtes de terrain sont indispensables. On a beau penser au mieux des solutions avec des spécialistes du développement, dans la pratique, la coopération est complexe. Il se produit souvent des effets qu'il était impossible de prévoir."
Séverine de Saedeleer nous explique tout ça sans interruption, sans hésitation, mais avec beaucoup de passion. Poursuivant sur sa lancée, nous atterrissons ensuite sur son MBA à la Hult Business School de Londres, "très portée sur l'entrepreneuriat social". C'est là que germera l'idée d'AMA éducation, un projet d'étude en groupe qui se concrétisera par la création d'une plateforme de contenus audiovisuels pour sensibiliser les parents du monde entier à l'éducation de leurs enfants. Ou "comment les éduquer et les stimuler, mais apporter aussi des 'tips' en nutrition ou les sensibiliser aux besoins spécifiques", complète-t-elle encore. Tout ça, donc, pour arriver à AMA la girafe, une peluche que Séverine de Saedeleer sort à présent fièrement de son sac.
AMA la girafe
"J'ai pensé que ce serait une bonne idée que des enfants du monde entier s'apportent mutuellement ce que le monde des adultes ne leur donne pas, qu'ensemble ils puissent créer du lien."
Concrètement, AMA est une girafe magique qui a le pouvoir de connecter des enfants du monde entier (à ce jour, uniquement des pays francophones) en leur donnant accès à une plateforme où ils échangent leurs aventures (vidéos) avec un ou plusieurs autres enfants. "Cette idée est née de mon expérience de l'Afrique, où la résilience et la joie de vivre des enfants est incroyable. J'avais envie qu'elle puisse être communiquée à nos enfants ici. Cela rejoignait également un autre de mes constats, celui que toute personne qui n'a pas reçu une dose d'amour inconditionnel dans son enfance souffrira d'une brèche qu'il cherchera toute sa vie à combler. J'ai alors pensé que ce serait une bonne idée que des enfants du monde entier puissent s'apporter mutuellement ce que le monde des adultes ne leur donne pas nécessairement, qu'ensemble ils puissent créer du lien."
"From scratch", donc, et après avoir consulté plusieurs psychologues, Séverine de Saedeleer lançait son kit à 59 euros, une peluche accompagnée d'une BD avec code d'accès à la plateforme. Un succès déjà, puisqu'en plus des familles, le projet réunit aussi des écoles, des associations et des hôpitaux pour, au-delà de la volonté d'agrandir leur univers, permettre aux enfants de sortir de leur isolement. Ce qui semble rejoindre les recommandations de certains spécialistes quant au fait qu'une des priorités à l'avenir serait de "sortir les écoles de leurs murs" et d'enrayer leur fonctionnement actuel "en vase clos" pour favoriser un maximum l'ouverture à l’autre.
C'est pour ça que Séverine de Saedeleer avait choisi la place Flagey pour prendre l'apéritif car "c'est carrefour entre différents quartiers". Surtout parce qu'elle est à Bruxelles, mais si nous l'avions rencontrée en Suisse où elle vit une partie de l'année, c'est un apéro "peau de phoque" qu'elle nous aurait proposé, à savoir du ski de randonnée avec ses copines en fin de journée. En tout cas, qu'il s'agisse de Bruxelles ou de Verbier, elle l'assure, "l'important, c'est de se rencontrer et de papoter".
*
Apéro préféré: "Un Moscow mule."
À table: "Du vin rouge. Personnellement, je préfère les vins fruités, mais je me suis mise aux vins corsés pour être sympa avec mon mari."
Dernière cuite: "Presque tous les samedis (rire), car nous recevons toujours des amis à la maison. En Suisse, on a même une boule à facettes pour danser dans une ambiance bon enfant. Souvent aussi, c'est moi qui mixe."
À qui payer un verre: "À Boris Cyrulnik, pour le remercier d'avoir si bien vulgarisé le concept de résilience. Dire qu'on peut rebondir comme une balle magique et ce, peu importe les malheurs que l'on a connus dans sa vie, je trouve ça fantastique!"
2005: "Mon arrivée à Bamako. Le lendemain, j'ouvre mes volets et je découvre un condensé d'Afrique sous mes fenêtres. Je souhaite à tout le monde de vivre ça."
2009: "Le décès de ma mère qui avait la maladie de Parkinson +. Le médecin ne nous avait pas dit qu'elle souffrait d'une forme grave de la maladie, c'est moi qui l'ai trouvée le matin de sa mort."
2012: "La naissance de ma fille Ambre – un miroir de moi-même, les mêmes atouts, les mêmes défauts – et celle de mon fils, Georges (3 ans)."
2014: "Ma 1ʳᵉ participation à la patrouille des glaciers, une épreuve sportive très intense et difficile. J'ai réitéré l'expérience en 2016."
2021: "Le lancement d'AMA la Girafe."
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