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Les Belges qui font le Festival d'Avignon

Le Théâtre Des Doms, propriété de la Communauté française de Belgique en Avignon. ©BELGAIMAGE

Samedi dernier, le festival Off d'Avignon a fermé les portes de sa 50e édition, mettant un terme aux festivités théâtrales qui ont animé le mois de juillet dans la Cité des Papes. Petit retour sous forme de bilan avec la rencontre des responsables – belges – de deux institutions phares du festival: Pascal Keiser pour La Manufacture, structure indépendante, privée, qui se positionne comme plateforme de diffusion contemporaine à l’échelle nationale et internationale, et Alain Cofino Gomez, directeur du Théâtre des Doms, l’antenne de la Communauté française en Avignon.

Pascal Keiser: "Il y a de plus en plus de propositions artistiques engagées"

La Manufacture Collectif contemporain, c’est le lieu de la création contemporaine très attentive aux nouvelles écritures. Qu’est-ce qui a guidé vos choix pour l’édition 2016 ?

Pascal Keiser
Pascal Keiser ©doc

Notre choix s’opère en fonction des propositions que nous recevons, soit plus de deux cents par an. En 2009, nous avons créé un comité de programmation qui se réunit une fois par mois à Paris et qui fait le repérage en France et ailleurs. À mon sens, la qualité de notre programmation vient du fait qu’elle  d’une ou deux personnes mais de plusieurs. Notre manière de fonctionner est assez unique au sein du Festival Off d’Avignon. Je suis fier d’avoir su développer une gouvernance de ce type-là, déléguée et partagée.

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La Manufacture est très attentive à la Francophonie. Ainsi, depuis quatre ans, nous discutons avec Corodis et Pro Helvetia. Après s’être demandé s’il ne serait pas judicieux d’acheter un lieu comme l’avait fait la Fédération Wallonie-Bruxelles (ndlr Les Doms), ils ont préféré développer un partenariat avec plusieurs lieux avignonnais dont La Manufacture. Leur approche nous a intéressés et nous avons concrétisé notre collaboration en 2016. Nous avons choisi de programmer ensemble " Traumboy " de Daniel Hellmann et " Conférence de choses " de François Gremaud et Pierre Mifsud. Cette année, la qualité était particulièrement au rendez-vous. Le choix était très ardu.

Quelles évolutions esthétiques voyez-vous sur le plateau?

Beaucoup de jeunes metteures en scène âgées entre vingt-cinq et trente ans sont venues pour la première fois au Festival Off d’Avignon et à la Manufacture en particulier : Adèle Zouane, Lorraine de Sagazan, Pauline Bayle, etc. Elles ont eu une couverture presse et une reconnaissance professionnelle exceptionnelles au festival.

Après, du point de vue formel, il faut souligner, depuis quelques années, la prépondérance des " Écritures du réel " auxquelles La Manufacture accorde beaucoup d’importance. Les artistes s’emparent de plus en plus de sujets documentaires pour créer des fictions théâtrales, à travers des formes transversales.

Si on observe la scénographie, elle est de plus en plus épurée. Le plateau respire. On remarque un recentrage sur le propos, le plateau et la transversalité. Par exemple, les metteurs en scène préfèrent les musiciens live aux décors imposants, sans doute pour des raisons esthétiques mais aussi pour des raisons économiques. Il ne faut pas oublier l’impact que peut avoir un décor lourd sur le montant du prix de cession des droits d’exploitation d’un spectacle. Il y a peut-être, là, une forme d’autocensure.

Enfin, La Manufacture reçoit de plus en plus de propositions artistiques engagées sur des sujets politiques et de société. Est-ce parce que c’est la ligne artistique de La Manufacture ? Oui. En tout cas, on observe une recrudescence, surtout chez les 25-30 ans. C’est une génération plus politisée, plus engagée que celle des 35-45 ans qui n’a pas eu besoin de s’engager autant politiquement.

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Olivier Py, le directeur du festival, dit que ce sont les Belges, le Théâtre des Doms et La Manufacture, qui font le lien entre le In et le Off, le festival alternatif. Qu'en pensez-vous?

Au cours des trois dernières années écoulées, certains artistes que nous avions programmés, l’ont été au Festival In : Anne-Cécile Vandalem, Raoul Collectif, Fabrice Murgia, Mathieu Roy, Stereoptik, etc. Des circularités existent. Beaucoup de comédiens qui ont joué dans le In reviennent dans le Off, aussi. Cette année, nous avons programmé, par exemple, le seul en scène " Toute ma vie j’ai fait des choses que je savais pas faire "  mis en scène par Christophe Rauck avec Juliette Plumecocq-Mech qui a fait partie de la troupe du Théâtre du Soleil.

À mon sens, la question est moins celle du " In versus Off " que celle du Théâtre public. Le plus important, c’est la diffusion. À un instant " t ", le Festival In peut être crucial pour la diffusion d’une œuvre ou la reconnaissance d’un artiste. Alors qu’à un autre instant " t ", il peut être plus pertinent de présenter une œuvre dans le Festival Off d’Avignon. L’important, c’est de trouver les bons canaux de diffusion. Après, bien évidemment, il y a la question de certains lieux " privés " du Off qui mènent certaines politiques de programmation critiquables.

Depuis l’arrivée d’Olivier Py à la direction du Festival d’Avignon, il n’y a plus d'omertà. D’emblée, il a dit : " j’ai joué dans le Festival Off d’Avignon " (ndlr, en 2013, il a présenté son spectacle " Miss Knife " à la Manufacture). Que ce soit dans son programme qui présente des lieux du Off ou lors des conférences de presse, le Festival d’Avignon manifeste une réelle ouverture. Aujourd’hui, nous en parlons librement, mais il y a trois ans, ce n’était pas le cas. Nous vivions presqu’une situation d’apartheid : il y avait LE Festival d’Avignon et le Off.  Alors que cela ne correspondait pas du tout à la réalité économique, ni à la réalité du financement public en France.

Quels sont les principaux défis de La Manufacture?

Depuis 2015, le principal enjeu est la situation des lieux de diffusion en France. Un certain nombre de municipalités fraichement élues ont tenté d’influer sur les programmations et sont parvenues à licencier certains directeurs de structures. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la diffusion des spectacles présentés à La Manufacture. Par exemple, le Théâtre de la Mauvaise Tête (TMT) à Marjevols en Lozères qui programmait souvent des spectacles présentés à La Manufacture, a fermé ses portes pour des raisons économiques mais aussi sous la pression politique.  Le Festival Off d’Avignon, c’est justement la granulométrie de la diffusion.

Aujourd’hui, un pan de la décentralisation culturelle est en danger. Inutile de se voiler la face, nous savons combien la situation est devenue difficile pour les lieux " politiques " qui veulent programmer des spectacles engagés. Toute la mécanique positive du Festival Off d’Avignon risque de s’affaiblir.

Et la question se pose de la même manière partout. Ainsi la direction du Carré Sainte-Maxime à Saint Raphaël qui a programmé le spectacle " Braises " de la Compagnie Artefact a été convoquée par le maire et a dû expliquer son choix.  Pourquoi programmer " Braises " qui traite d’une famille attachée au respect des traditions et des bouleversements nés de l’éveil amoureux chez deux sœurs, Leila et Neïma ?

Certes, il y a une droitisation des idées mais beaucoup de tutelles se disent simplement qu’elles doivent influer sur la gouvernance et la programmation des lieux artistiques. On franchit une limite dangereuse pour la société. C’est un enjeu très important face auquel nous sommes assez  démunis car il y a peu de leviers.

Au regard des attaques terroristes, plane aussi le danger de l’autocensure - sujet que nous avons abordé lors des " Laboratoires d’été " à La Chartreuse. Cette année, par exemple, nous avons programmé les spectacle "  We love Arabs " qui réunit les artistes israélien et palestinien, Adi Boutrous et Hillel Kogan, et " Traumboy " de Daniel Hellmann qui est artiste et travailleur du sexe. En dépit de leur succès, public, critique et professionnel, nous étions " exposés ". Nous avons dû mettre en place des conditions de sécurité particulières : la fouille des sacs à l’entrée, etc. Et je me suis alors demandé : " ai-je eu raison de faire ce choix-là ? ". Comment résister sans s’autocensurer ? Et si nous ne nous autocensurons pas, sommes-nous pour autant egocentriques ?

Le contexte politique actuel pèse lourdement sur les lieux indépendants tel que la Manufacture. Notre métier change. Et nous n’y sommes pas préparés. Nous devrions peut-être suivre une formation spécifique en la matière.

Le 15 juillet dernier, le lendemain de l’attentat de Nice, le public a répondu massivement présent. Ce jour-là, avant chaque spectacle, nous avons lu un texte qui reprenait, entre autres, une phrase de Julos Beaucarne : " Je prends la liberté de vous écrire pour vous dire ce à quoi je pense aujourd'hui : je pense de toutes mes forces qu'il faut s'aimer à tort et à travers ". Aujourd’hui, les principaux enjeux sont moins " esthétiques " que " pragmatiques ".

Alain Cofino Gomez: "L'artiste belge demeure libre et léger"

C’est votre première programmation. Qu’est-ce qui a guidé vos choix ?

Alain Cofino Gomez
Alain Cofino Gomez ©Fabienne Cresens

Seul le bouleversement guide mes choix. Il n’y a pas un fil, ni une approche ou même une esthétique. Après, il m’importe que les spectacles présentés soient représentatifs des scènes de Wallonie-Bruxelles à l’instant " t ". Il n’est pas question d’être exhaustif, ni de répondre à toutes les attentes. Je souhaite donner à voir ce qu’il y a de plus " aigu ", de plus " novateur " et de plus " questionnant ", même si cela nous demande d’aller vers des propositions encore " fragiles ", encore " dans la recherche. " C’est ça aussi, la Fédération Wallonie-Bruxelles ! Elle produit beaucoup de spectacles. Et certains ne sont pas nécessairement aboutis dans le sens de " produits " diffusables, exportables, etc. Je porte un regard volontiers généraliste sur le geste artistique.

Je ne pense pas que le fait d’être " auteur " conditionne mon regard de programmateur. Car je ne vais pas d’emblée vers le texte. Je suis très sensible à la danse, à la performance et aux écritures de plateau. En tant qu’artiste, j’aime les fragilités et les questionnements, tant sur la forme que sur le fond. Je ne vais pas voir un spectacle, je vais voir le travail d’un-e artiste. J’aime qu’il s’inscrive dans une trajectoire. Je n’aime pas l’idée du " One shot ".

Wallonie-Bruxelles International (WBI) met au cœur de sa politique : Les Doms. Depuis 2002, le Théâtre des Doms assume une mission de promotion et de diffusion  des productions des arts de la scène créées en Fédération Wallonie - Bruxelles. Quelles sont vos stratégies ?

Nous sommes moins un paquebot qu’une flotte qui emprunte plusieurs directions. Et il ne faut en négliger aucune. Parfois, il s’agit de retourner en arrière, de tirer des lignes, de consolider des collaborations ou de bâtir des ponts. Il ne faut pas hésiter à aller partout, en France. Il est important aussi de rencontrer d’autres opérateurs francophones tels que les Africains.

La Francophonie m’intéresse pour sa richesse des différences. Il s’agit d’imaginer le territoire francophone, moins comme un espace de langues que comme un espace qui nous rassemble. Par exemple, à la rentrée prochaine, dans le cadre de l’évènement Francophonirique n°2, Aurélie Vauthrin-Ledent et Aminata Abdoulaye travailleront avec des écoles, à partir du provençal, du bruxellois et de plusieurs langues africaines, sur le projet d’atelier artistique " Nos langues françaises " en partenariat avec le Théâtre 140 à Bruxelles. Peut-être inventerons-nous une langue commune aux francophones de Belgique et aux francophones de la région PACA ?

Nous travaillons beaucoup tout le long de l’année. Le Théâtre des Doms joue un rôle très actif au sein des différents réseaux nationaux et associations locales telle que l’association Rêves qui vise à mieux comprendre le parcours artistiques des jeunes en région PACA et à en combler les vides. C’est pour cette raison que le Théâtre des Doms est vu comme un partenaire régional important. Cela relève moins d’une stratégie que d’une logique. Faire un travail sur les publics à Avignon a toujours été important pour le Théâtre des Doms, même si cela ne fait pas partie de ses missions.

Puisque WBI a envie de faire rayonner davantage le Théâtre des Doms, puisque le Ministre-Président Rudy Demotte lui adresse des signes chaleureux et que c’est mon projet, j’ai envie que le Théâtre des Doms soit un véritable pôle de rencontres et d’échanges artistiques. Je ne veux pas qu’il soit le lieu où les artistes s’enferment pour travailler. Je souhaite qu’ils apportent leur supplément d’âme au territoire et qu’ils interagissent. Cela pourra prendre différentes formes et jeter, en amont, les bases d’une diffusion de répertoires et d’artistes.

Olivier Py, le directeur du festival d’Avignon, dit que ce sont les Belges qui font le lien entre le In et le Off, le festival alternatif. Qu'en pensez-vous?

Oui. La Manufacture, autrement. Le Théâtre des Doms, à sa façon. Nous sommes subventionnés, nous avons des missions. Forts de cela, nous pouvons amener dans nos salles des expressions " novatrices " qui ne résisteraient pas aux attentes du Off. Et qui peuvent être proches de celles qui sont présentées au In. Le Off est fait de tout et de rien et a tendance à être phagocytée par des productions privées avec des vedettes du petit et du grand écran.

Nous avons signé la Charte du Off. Par conséquent, nous faisons partie du Off mais nous faisons notre festival. Notre mission est de faire venir les programmateurs et de les amener aussi à s’intéresser à des formes auxquelles ils ne s’intéressent pas habituellement. Je pense notamment à " Happy hour ", qui est une forme intelligente et pointue sur ce qu’elle dit de la danse contemporaine et qui peut entrer en résonnance populaire.

Les artistes belges ont connu un grand succès au Festival d’Avignon. Pourquoi?

Le In a sélectionné beaucoup de projets belges, en majorité francophones. Pourquoi ? C’est difficile à analyser. Était-ce le bon moment ? Olivier Py, était-il la bonne personne pour déceler et révéler notre singularité ? Il y a une vague " belge ". C’est certain. Et le Théâtre des Doms en profite.

L’artiste belge qui marche sur le plateau, connaît l’histoire du théâtre mais elle n’alourdit pas son pas. Il demeure libre et léger. Vu de France, cela peut être déconcertant. Cela peut sembler " drôle " car on voit toutes les frontières franchies ou " bouleversant " car on relève toutes les questions posées au médium. Mais, c’est toujours brillant car il y a toujours la même générosité du geste posé en toute liberté.

Rudy Demotte

Le ministre-président de la Communauté française parle de la pièce "Liebman Renégat": "Chaque détail semble reconfigurer ma jeunesse et l’ensemble de ma vie. Marcel Liebman est sans doute l’homme qui m’a le plus influencé. Il m’a ouvert les portes de la pensée critique à l’Université libre de Bruxelles. Il y enseignait l’histoire des doctrines politiques et la sociologie politique. Aimé ou non, Marcel Liebman a marqué nos esprits car il parvenait toujours à les déstabiliser. Il prenait un argument et l’épuisait jusqu’à ce qu’il soit convaincu d’avoir ébranlé nos certitudes. Et lorsqu’enfin, nous reconnaissions la pertinence de son argumentaire, sans que cela emporte forcément notre accord, il nous disait:’tout ce je viens de dire ne signifie pas pour autant que je le crois’. Je nourrissais une très grande admiration pour l’intellectuel juif, pro-palestinien et progressiste. Sa vision, nuancée et critique, ne pouvait qu’emporter l’adhésion du jeune homme que j’étais. Pour moi, c’était un mentor."

Pascale Delcomminette

L’administratrice générale de l’Awex et WBI (Wallonie-Bruxelles International) nous parle de ses coups de cœur au Festival d’Avignon: "J’ai été très sensible à la pièce de danse‘Happy Hour’ de Mauro Paccagnella et Alessandro Bernardeschi. C’est un spectacle bouleversant et rafraîchissant, extrêmement vital. Il donne à voir le corps qui change, mais sans acrimonie, ni regret. ‘Happy Hour’offre une vision très décalée de la danse contemporaine et ne laisse pas indemne. On prend le temps de se perdre dans les méandres de ses souvenirs. C’est le défi de deux danseurs qui ne sont plus jeunes mais qui occupent l’espace intensément. Soudain, lorsqu’ils laissent le plateau aux plus jeunes, ils sont dans l’acceptation de leurs peurs. Ils prennent la distance juste par rapport à leur pratique. La pièce se pare du vacillement de l’humain et de son euphorie."


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