Publicité

Joseph Stiglitz: "L'ignorance crasse de Trump face au coronavirus"

Les mesures édictées tardivement par le Président américain masquent mal son "ignorance crasse" de la question, estime Joseph Stiglitz. ©REUTERS

Le prix Nobel Joseph Stiglitz déplore le manque de prévoyance de l'Amérique de Trump. Les Etats-Unis, souligne-t-il, ne disposent ni des procédures ni des protocoles adaptés pour les voyageurs en provenance de l'étranger et potentiellement exposés au virus.

Joseph Stiglitz est titulaire du prix Nobel d'économie, professeur à l'université de Columbia à New-York et économiste en chef de l'Institut Roosevelt. Son dernier livre s'intitule "People, Power, and Profits: Progressive Capitalism for an Age of Discontent".

En tant que pédagogue, je suis toujours en recherche d'exemples dans l'actualité qui illustrent ou renforcent la validité des principes que j'enseigne - or une pandémie focalise l'attention sur ce qui compte vraiment.

Publicité

La crise du Covid-19 est riche d'enseignements, notamment pour les USA. Voici l'un d'eux: les virus ignorent les passeports, sont indifférents aux frontières nationales et à la rhétorique nationaliste. Dans notre monde extrêmement intégré, une maladie contagieuse qui apparaît dans un pays est appelée à se répandre partout sur la planète. 

La propagation des maladies est un effet secondaire de la mondialisation. Chaque fois qu'une telle crise transfrontalière émerge, il y faut une réponse internationale basée sur la coopération, comme dans le cas du réchauffement climatique. De même que les virus, les gaz à effet de serre sèment le chaos et impactent fortement tous les pays du fait des ravages causés par le réchauffement climatique et les événements météorologiques extrêmes qui lui sont associés.

> Suivez l'évolution de la situation en Belgique et dans le monde en direct sur notre Live

Contempteur de l'Etat

"Depuis le Président Reagan, on nous serine que 'l'Etat n'est pas la solution à nos problèmes, mais qu'il constitue le problème'. Croire cela conduit dans une impasse."

Aucun président américain n'a fait autant que Donald Trump pour ébranler la coopération internationale et affaiblir le rôle de l'Etat. Pourtant, face à un événement tel qu'une épidémie ou une inondation, nous nous tournons vers l'Etat, parce que nous savons qu'il y faut une réponse collective. La réponse individuelle est insuffisante et nous ne pouvons pas compter sur le secteur privé. Trop souvent, cherchant à augmenter leurs profits, les entreprises voient les crises comme une occasion pour augmenter les prix, comme on le constate avec les masques de protection.

Malheureusement, depuis le Président Reagan, on nous serine que "l'Etat n'est pas la solution à nos problèmes, mais qu'il constitue le problème". Croire cela conduit dans une impasse, mais Trump va plus loin dans cette direction que tout autre dirigeant américain.

Publicité

Aux USA c'est une institution scientifique des plus vénérables, le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC, Center for Disease Control and Prevention) qui orchestre la réaction face au Covid-19. Ses membres sont des professionnels hautement compétents et très engagés dans leur mission, mais ils représentent un danger pour Trump, le summum du politicien ignare, car ces spécialistes sont susceptibles de le contredire chaque fois qu'il essaye de tordre la réalité à son propre profit.

Pensée magique et prières

La foi peut nous aider à faire face aux morts causés par une épidémie, mais elle ne peut se substituer au savoir médical et scientifique. La pensée magique et les prières ont été inefficaces face aux épidémies de peste noire au Moyen-âge. Heureusement, depuis cette époque, l'humanité a accompli des progrès scientifiques remarquables. Lors de l'apparition du Covid-19, les scientifiques ont pu rapidement l'identifier, repérer ses mutations et se mettre à la recherche d'un vaccin. Il nous reste beaucoup à apprendre sur ce virus et ses effets sur les êtres humains, mais sans la science, nous serions entièrement à sa merci, et il y aurait une énorme panique. 

Tout savoir sur le coronavirus Covid-19

Voyages à l'étranger suspendus, événements annulés, activité ralentie: la propagation du nouveau coronavirus affecte de plus en plus la vie quotidienne des Belges, inquiets, mais aussi l'économie dans son ensemble.

> Toutes les infos dans notre dossier

Il faut des moyens à la recherche scientifique. Mais le prix de revient des plus grands progrès scientifiques de ces dernières années est dérisoire par rapport aux largesses de Trump en faveur des firmes les plus riches et des réductions d'impôt décidées par les républicains du Congrès en 2017. Le budget consacré à la science est ridicule comparé au coût probable pour l'économie de l'épidémie en cours - sans parler de la dégringolade des Bourses.

Néanmoins, ainsi que le souligne Linda Bilmes, de la Harvard Kennedy School (une école d'administration publique), le gouvernement de Trump a proposé plusieurs fois de diminuer le budget consacré au CDC (une réduction de 10% in 2018 et de 19% en 2019). Au plus mauvais moment que l'on puisse imaginer, au début de cette année, Trump a réclamé une baisse de 20% des programmes destinés à combattre les maladies contagieuses émergentes et les zoonoses (maladies transmissibles des animaux vertébrés aux êtres humains). Et en 2018, il a décapité la tête du département Sécurité sanitaire et Biodéfense du Conseil de sécurité nationale (NSC, National Security Council).

Moyens insuffisants

Il n'est donc pas étonnant que le gouvernement se montre inefficace face au Covid-19. Bien que depuis des semaines il soit à l'origine d'une épidémie, les USA n'ont pas les moyens suffisants pour tester les personnes susceptibles d'être atteintes (même comparé à des pays bien moins riches comme la Corée du Sud) et ils ne disposent pas des procédures et des protocoles adaptés pour les voyageurs en provenance de l'étranger et potentiellement exposés au virus. Cette insuffisance de moyens rappelle qu'il vaut mieux prévenir que guérir.

Beaucoup d'entreprises américaines ayant des problèmes d'approvisionnement, il est difficile d'imaginer qu'elles vont procéder tout d'un coup à des investissements d'importance du seul fait d'une baisse des taux d'intérêt de 50 points de base (en supposant que les banques commerciales répercutent cette baisse sur leurs clients).

"En l'absence de congés maladie indemnisés, beaucoup de salariés touchés par le virus ne s'arrêteront pas de travailler."

Pire encore, la facture à régler pour l'épidémie pourrait gonfler, notamment si l'on ne parvient pas à contenir le virus. En l'absence de congés maladie indemnisés, beaucoup de salariés touchés par le virus ne s'arrêteront pas de travailler. En l'absence d'assurance-maladie adéquate, ils vont être réticents à se faire tester pour le virus et à devoir verser une somme colossale pour se faire soigner. Il ne faut pas sous-estimer le nombre d'Américains vulnérables. Sous la présidence de Trump, quelques 37 millions d'entre eux ne mangent pas toujours à leur faim, tandis que la morbidité et la mortalité augmentent dans le pays.

Les graines de la méfiance

Ces risques vont augmenter en cas de panique. Les prévenir suppose de la confiance, notamment envers ceux qui ont la responsabilité d'informer la population et de répondre à la crise. Mais depuis des années, Trump et le parti républicain ont soigneusement semé les graines de la méfiance à l'égard de l'Etat, de la science et des journalistes, tout en lâchant la bride aux médias sociaux avides de profit comme Facebook qui, en toute connaissance de cause, laisse sa plateforme être utilisée pour répandre de fausses informations.

Cela fait des années que les USA auraient dû se préparer aux risques liés aux pandémies et au réchauffement climatique. Seule une gouvernance basée sur la science peut nous épargner ce genre de crise. Maintenant que nous sommes confrontés à ces deux menaces en même temps, espérons qu'il existe encore suffisamment de fonctionnaires et de scientifiques consciencieux au sein du gouvernement pour nous protéger de Trump et de ses affidés incompétents. 

Copyright: Project Syndicate, 2020



 

Publicité
Le particulier repart à l'achat de véhicules neufs en Belgique
Le marché de la vente aux particuliers est en hausse de près de 15% en Belgique en 2024. C'est notamment ce qui explique que les marques aient réinvesti dans le salon de l'auto.
Messages sponsorisés