Catherine Moureaux: "La population, et en particulier celle d'origine maghrébine, vit une stigmatisation accrue. C'est terrible"
Catherine Moureaux se donne pour objectif, lors des prochaines élections, de renouveler les scores du PS pour qu’il demeure "le premier parti de Molenbeek".
Catherine Moureaux part "combative et sereine" à l’assaut du pouvoir à Molenbeek-Saint-Jean, commune que son père a longtemps dirigée avant d’être renversé en 2012 par une alliance MR, cdH, Ecolo. Sa fille, qui n’habite la commune que depuis deux ans et demi, assure y avoir trouvé un "bel accueil" et se donne pour objectif de renouveler les scores du PS pour qu’il demeure "le premier parti de Molenbeek". Malgré les sorties d’Ecolo et du cdH appelant à reconduire la majorité sortante et la frilosité du MR à s’associer à elle, la tête de liste estime que "rien n’est écrit" avant les élections d’octobre et compte bien briser une majorité "créée pour faire de l’anti-Moureaux et de l’anti-PS". L’Echo a voulu la sonder sur quelques enjeux sociétaux rencontrés dans sa commune meurtrie par les attentats de Paris et de Bruxelles.
CV express
- 1978 Naissance à Uccle
- 2004 Diplômée en médecine générale
- 2005 Cofonde une maison médicale et adhère au Parti socialiste à Schaerbeek.
- 2010 Siège comme députée bruxelloise PS depuis la suppléance.
- 2014 Réélue députée bruxelloise.
- 2015 Emménage à Molenbeek.
- 2018 Se présente comme tête de liste pour l’élection communale de Molenbeek.
Molenbeek a-t-elle changé depuis 2012?
La commune était déjà stigmatisée, elle se relevait petit à petit et les attentats l’ont mise à genoux. La population, et en particulier celle d’origine maghrébine, vit une stigmatisation accrue. C’est terrible. À mon sens, le pouvoir en place ne s’est pas suffisamment élevé contre l’idée qu’il s’agissait d’un problème communal. Ce n’est pas un problème communal. Nous avons été désignés comme bouc émissaire, comme Bruxelles et la Belgique par la suite. Tout le monde s’est défoulé sur Molenbeek. Cela a été possible grâce à la grande faiblesse du pouvoir en place.
Qu’auriez-vous fait?
J’avais proposé une union citoyenne et communale, avec tous les partis politiques pour faire front avec la population dans son ensemble. Il a fallu une semaine à la bourgmestre (la MR Françoise Schepmans, NDLR) pour décliner. Elle a voulu rester dans une logique majorité contre opposition.
Qu’est-ce qui vous différencierait de votre père en termes de gestion publique?
Nous avons 40 ans d’écart. Cela veut dire que nous n’avons pas vécu dans le même monde. Dans les pratiques, nous sommes différents. Je viens de l’autogestion dans une maison médicale où j’ai travaillé dix ans. C’est un mode de travail sans hiérarchie, j’ai un bagage plus proche de la participation citoyenne que d’une hiérarchie à la soviétique ou à l’ancienne. Nous partageons le même ADN politique, des valeurs, des idées force, mais la manière de pratiquer la politique n’est plus la même. Je ne suis pas mon père.
Depuis les attentats, votre regard a-t-il changé sur l’islam à Bruxelles?
Non. Parler de l’islam et des musulmans comme d’un bloc n’a aucun sens et c’est très dangereux. Si on parle de quelque chose de manière insensée, les solutions qui en ressortent ne seront forcément pas adaptées. Nous venons d’une tradition judéo-chrétienne avec une religion très structurée. L’islam ne fonctionne pas comme cela. Il y a autant d’islams que de musulmans. Il y a plusieurs communautés, plusieurs islams.
Je m’inquiète pour certains jeunes qui trouvent du réconfort dans une pratique rigoriste de l’islam.
Constatez-vous le développement d’un conservatisme dans la communauté musulmane de Bruxelles?
Je m’inquiète pour certains jeunes. J’ai quelques témoignages selon lesquels certains trouvent dans des pratiques rigoristes, ce qui ne signifie pas radicalisme violent, un réconfort. C’est peut-être un signal de conservatisme. Mais à l’inverse, il y a une très grande volonté de la communauté d’origine maghrébine et de culture musulmane de s’ouvrir, de montrer ce que sont les islams, les musulmans. Je ressens davantage ce mouvement-là qu’un mouvement de conservatisme amplifié.
Un rapport de l’Ocam pointe la diffusion de manuels appelant au meurtre, à l’homophobie et à l’antisémitisme, ce qui fait craindre que ces idées traversent la communauté musulmane.
C’est profondément choquant. Ces manuels, cela ne peut pas exister, des mesures ont été prises. C’est un travail pour nos services de sûreté comme celui de contrôler ce qui se passe dans les mosquées. Sur le terrain communal, la question du rôle des mosquées est importante. Il y a beaucoup de mosquées à Molenbeek, parfois reconnues, parfois pas, c’est un tissu qui n’est pas homogène. Ce sont des lieux de socialisation dont les gestionnaires doivent être respectés, ce qui implique un dialogue. On a pu reprocher à mon père d’être proche des mosquées mais on reprochera à Madame Schepmans de ne rien avoir su de ce qui s’est passé. Il faut du dialogue, mais le rôle de fliquer les mosquées n’est pas celui de la commune.
Mais si vous décelez des problèmes vous devez bien les signaler…
Bien sûr. C’est évident.
Un certain nombre de jeunes sont attirés par le radicalisme. Comment l’empêcher?
Les événements de Liège ont montré que la prison joue un rôle dramatique dans le parcours de certains qui glissent du banditisme, du rejet de la société vers ce radicalisme violent. Nous avons un devoir d’éviter à nos jeunes d’aller en prison et lorsqu’ils y vont, de leur fournir un avenir. Abaoud, qui a inspiré les frères Abdeslam, a été radicalisé en prison. Abrini, Merah, Nemmouche et les frères El Bakraoui sont passés par la case prison. On retombe sur la question de savoir pourquoi il y a plus de personnes des quartiers plus sensibles en prison.
Il y a aussi des influences étrangères…
D’où la nécessité d’avoir un bon dialogue, du respect et de pouvoir travailler sur la question du financement des cultes. Quand on fait face à une puissance financière comme l’Arabie ou le Qatar, il ne faut pas vous faire un dessin… nous n’avons pas de puits de pétrole. Lorsqu’on n’est pas respecté, on ne dit pas non à une manne financière qui vient de l’étranger.
Le voile est compatible avec l'égalité homme-femme.
Constatez-vous une augmentation du port du voile à Molenbeek et ailleurs?
À nouveau, on ne parle pas d’un bloc mais de personnes différentes. À parler sans nuance, on enferme les gens dans le repli sur soi et c’est dangereux. Les chiffres, je ne les connais pas et ce n’est pas la question qui me préoccupe. Ce qui me préoccupe, c’est que chacun puisse s’émanciper, grâce à des fondamentaux comme le travail, le logement, la sécurité des enfants. Chacun ses modes d’émancipation. Voile ou pas voile, nous devons former une société ensemble. Ce n’est pas le renvoi brutal à une partie de votre personnalité, votre religion, qui va permettre cela. Ça n’a pas de sens.
Le port du voile est-il compatible avec l’égalité homme-femme?
Sincèrement oui. On ne va pas imposer l’égalité homme-femme comme nous on la voit en disant "on enlève le voile". Cela ne va pas marcher. Chez les Belges de souche, il y a aussi des gros problèmes d’égalité homme-femme. C’est dangereux de dire que le voile est un étendard de l’inégalité homme-femme. Je connais des femmes voilées qui sont plus émancipées que des non-voilées, des femmes voilées qui mènent leur mari à la baguette et des non-voilées qui sont brutalisées, dominées. Cette corrélation n’est donc pas correcte.
Jamal Ikazban, un de vos colistiers, a fait un signe de ralliement des Frères musulmans en public. Qu’en dites-vous?
Pas grand-chose. Il s’est expliqué, s’est excusé et s’est distancié. Je le connais pour son engagement pour l’égalité réelle. Il a toute sa place dans notre parti.
Parler de l’islam et des musulmans comme d’un bloc n’a aucun sens et c’est très dangereux.
À droite, on reproche au PS une complaisance, voire un clientélisme, à l’égard des communautés maghrébines et musulmanes. Que répondez-vous à cette crititique?
Dans chaque famille politique, il y a des élus d’origine maghrébine qui montrent leur engagement citoyen. Se poser ces questions de qui a le droit de représenter qui et comment, c’est souvent une instrumentalisation de la droite extrême. Derrière, il y a l’idée qu’il n’y a qu’un seul modèle. Ce sont des idées très proches des idées de race aryenne de nos amis de l’Allemagne nazie. Se dire qu’on ne peut pas être représentant de ces communautés ni que quelqu’un qui n’est pas issu d’une communauté ne peut pas la représenter revient à la nier. L’adoption d’enfants par les couples homosexuels, Charles Michel ne la vote pas, nous on la vote! Dans les faits, le PS tout entier est derrière ces lois progressistes. Nous sommes le parti des avancées éthiques. Ce débat est biaisé par des gens qui ont un intérêt et dont l’idéal est celui d’une société toute blanche qui n’existe nulle part dans le monde.
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