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La victoire de Giorgia Meloni, un message à la droite radicale européenne

Le parti Fratelli d'Italia, mené par Giorgia Meloni, a conquis un quart des suffrages lors des élections législatives de dimanche. ©Photo News

La victoire de Fratelli d'Italia, mené par Giorgia Meloni, est un message fort envoyé aux autres partis d'extrême droite qui percent en Europe, y compris au Vlaams Belang.

Le parti Fratelli d'Italia, mené par Giorgia Meloni, a conquis un quart des suffrages lors des élections législatives de dimanche en Italie, tandis que le bloc des droites devrait empocher la majorité absolue des sièges. La coalition qu'il forme avec l'autre parti eurosceptique d'extrême droite, la Ligue de Matteo Salvini, et Forza Italia, le parti conservateur de Silvio Berlusconi, récolterait environ 43% des suffrages, ce qui lui assure la majorité absolue des sièges aussi bien à la Chambre des députés qu'au Sénat.

Si ces résultats se confirment, Fratelli d’Italia et la Ligue remporteraient ensemble "le pourcentage le plus élevé de votes jamais enregistré par des partis d’extrême droite dans l’histoire de l’Europe occidentale de 1945 à aujourd’hui", a relevé le Centre italien d’études électorales. Même pas deux semaines après la percée historique des Démocrates de Suède, cette victoire d'un parti post-fasciste en Italie témoigne d'une progression générale des droites radicales un peu partout en Europe.

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On observerait "une forme de victoire culturelle et politique de propos qui auraient choqué il y a 20 ans, mais plus aujourd'hui."

Pascal Delwit
Politologue à l'ULB

Franchir les plafonds de verre

"On a le cas italien, le cas suédois, la bonne performance de Marine Le Pen aux élections présidentielles françaises et du Rassemblement National aux législatives, le score du Vlaams Belang aux élections de mai 2019, des résultats probants pour Vox en Espagne et le FPÖ en Autriche... De manière générale, les partis de l'extrême droite ont acquis la capacité à franchir les plafonds de verre, en parallèle à l'estompement de la droite classique", explique Pascal Delwit, professeur de sciences politiques à l'Université libre de Bruxelles (ULB).

Plus largement, on observerait "une forme de victoire culturelle et politique de propos qui auraient choqué il y a 20 ans, mais plus aujourd'hui", explique-t-il. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles les partis de droite classique sont à la traîne aujourd'hui, selon Pascal Delwit. "Ces derniers ont souvent emprunté le discours de la droite radicale, ce qui a contribué à pousser plus à droite le balancier de ce qui est acceptable."

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L'Italie délaissée par la vague de migrants

Afin d'expliquer cette popularité de la droite radicale, Pascal Delwit avance deux raisons principales. La première, d'ordre socio-économique, révèle un sentiment d'abandon de tranches importantes de citoyens par les autorités publiques, d'autant plus dans le contexte actuel d'inflation.

"Beaucoup d'États européens ont laissé l'Italie un peu seule gérer une crise humanitaire, sans faire preuve de trop de solidarité. Tout cela a produit des effets anti-européens dans l'imaginaire des Italiens."

Pascal Delwit

"Ensuite, à partir du moment où les questions économiques et sociales sont moins présentes dans les politiques publiques, d'autres préoccupations prennent le dessus. On a un agenda ethnique, identitaire et nationaliste dans beaucoup d'États. Articulées par l'extrême-droite, ces thématiques forment un discours du 'on ne sait plus vous aider, car on donne trop d'argent aux émigrés et aux étrangers'. On observe donc une forme d'affirmation pour la question sociale que l'on ne trouvait pas dans les partis d'extrêmedroite auparavant, avec l'idée qu'il faut prioriser les 'pauvres' de chez nous."

À ce sujet, l'Italie a été en première ligne dans l'accueil des migrants en provenance de Libye, de Tunisie et des pays du Maghreb, qui traversent la Méditerranée. "Beaucoup d'États européens ont laissé l'Italie un peu seule gérer une crise humanitaire, sans faire preuve de trop de solidarité. Tout cela a produit des effets anti-européens dans l'imaginaire des Italiens", explique le politologue.

Une séquence anxiogène

Ajoutez à cela une séquence très anxiogène en Europe autour de la question sociale, de la géopolitique et des prix de l'inflation, et vous obtenez un terreau très fertile pour la droite radicale. "Les électeurs anxieux ne votent pas de la même façon que les électeurs rassurés ou optimistes. C'est un escalator pour la droite radicale", ajoute Pascal Delwit.

Giulia Sandri, maîtresse de conférences en science politique à l’Espol Lille, ajoute que la victoire de Fratelli d'Italia est aussi due à des facteurs spécifiques, tel que le charisme de Giorgia Meloni et le remaniement interne de partis italiens, notamment le déclin de Forza Italia.

"Une victoire du Vlaams Belang en 2024 ne serait pas une surprise."

Pascal Delwit

Un message très fort pour l'extrême droite en Europe

La victoire de Giorgia Meloni n'a pas tardé à être saluée par l'extrême droite française. "Comment ne pas regarder cette victoire comme la preuve que oui, arriver au pouvoir est possible?", a tweeté Eric Zemmour, chef de fil de Reconquête! Pour Giulia Sandri, c'est un message symbolique très fort de la réorganisation des droites européennes. "Ce n'est plus une coalition de centre-droite, mais une coalition de droite, et ça, c'est un message très clair envoyé aux autres partis de droite de l'Europe."

Parmi eux, le Vlaams Belang, qui fait également de très bons scores dans les intentions de vote. Dans le dernier Grand baromètre publié mi-septembre, le parti d'extrême droite est crédité de 21,6% des intentions de vote au nord du pays, en première position à un cheveu de la N-VA (21,5%). Dans cette dynamique favorable, "une victoire du Vlaams Belang en 2024 ne serait pas une surprise, d'autant plus face à l'échec des partis au pouvoir en 2019", indique Pascal Delwit.

"On pourrait voir le même scénario dans deux ans, surtout avec la crise du covid, la guerre en Ukraine, l'anxiété, l'inflation... J'ai le sentiment que les sortants risquent d'être sur la sellette."

Quel impact sur la politique nationale italienne?

Se pose enfin la question de l'impact de cette victoire de l'extrême droite sur la politique nationale italienne. La cheffe du parti Fratelli d'Italia présente des valeurs très distantes des gouvernements précédents de ces dix dernières années, avec une politique sociale très conservatrice, anti-avortement et anti-LGTB.

"L'impact le plus important de cette victoire se fera dans les rapports de force dans les institutions européennes et la normalisation de l'extrême droite au pouvoir."

Giulia Sandri
Politologue à l'Espol Lille

Si Giorgia Meloni devenait effectivement Première ministre, quelle serait sa marge de manœuvre, face notamment à une dette publique qui fait 150% du PIB? Pour Giulia Sandri, les politiques publiques de Meloni seront limitées par la force du marché et les structures européennes.

"Il y aura sans doute un virage sur le protectionnisme du marché, mais une continuité en termes de rapport aux sanctions pour l'invasion russe en Ukraine, et le côté plus eurosceptique sera sûrement limité par la volonté de rassurer les partenaires internationaux et européens. Elle intensifiera sûrement les politiques anti-migratoires", prédit encore la politologue à l'Espol Lille.

De nouvelles relations avec l'Union européenne

Les grands changements sont plutôt attendus au niveau des relations avec l'Union européenne, en rupture avec un Mario Draghi très europhile. "On peut imaginer que l'accession de Giorgia Meloni au poste de Première ministre changera les rapports de force à l'intérieur du Conseil européen", explique Giulia Sandri. "L'impact le plus important se fera dans les rapports de force dans les institutions, mais aussi dans la normalisation de l'extrême droite au pouvoir. Meloni est la leader des conservateurs européens, qui deviennent la deuxième force dans le conseil des ministres de l'Union."

Reste également à voir si la cheffe des Fratelli d'Italia se lancera ou non dans une critique du plan de relance européen et des réformes qui sont attachées, alors que l'Italie dépend fortement de l'aide de l'Union...

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