Les années Trump: bilan d'un mandat hors norme
Cela fait plus de 15 ans que seule une minorité d’Américains pense que le pays va dans la bonne direction. La présidence de Trump n'y aura rien changé. Bilan d'un mandat hors norme, à un mois de la présidentielle.
Le 20 janvier 2017, c’est avec un discours aux accents apocalyptiques que Donald Trump entamait son mandat de 45e président des États-Unis. "Le bain de sang américain s’arrête ici et maintenant", déclarait le républicain, magnat de l’immobilier, qui se présentait comme le défenseur des "hommes et femmes oubliés".
Trump fut donc surtout un républicain classique, même s’il fut indéniablement un républicain boosté aux stéroïdes.
Dans la droite ligne de sa campagne comme outsider de la droite populiste, Trump promettait de s’attaquer aux flux migratoires, au libre-échange mondial et à l’élite politique et lobbyiste de Washington, et de rendre ainsi à l’homme de la rue américain ses emplois, son identité et sa dignité. "On se souviendra de cette journée comme de celle où le peuple est redevenu le maître de la nation."
Près de quatre ans plus tard – avec en jeu la réélection de Trump le 3 novembre – il ne reste pratiquement que le flux ininterrompu de tweets, de scandales et une polarisation politique extrême. Cet écran de fumée de controverses masque de nombreuses promesses non tenues, mais aussi toute une série de réalisations.
Chaque président américain joue d’abord pour son propre camp, certes, mais Trump s’est plus qu’aucun autre replié sur sa base de fidèles. Le "peuple maître" était surtout conservateur, blanc et – encore et toujours – plutôt riche que pauvre. Trump fut donc surtout un républicain classique, même s’il fut indéniablement un républicain boosté aux stéroïdes.
Révolution de droite
Après avoir placé Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh , Trump souhaite faire nommer, avant les élections, un troisième juge à la Cour suprême, qui en compte neuf. Sa candidate est la très conservatrice Amy Coney Barrett. Depuis Richard Nixon, aucun autre président américain n’a autant marqué de son empreinte la plus haute juridiction du pays lors de son premier mandat.
Les juges nommés pendant le mandat de Trump pourront défendre le programme républicain pendant des décennies, ce qui pourrait au final être le plus important héritage du Président.
Ce possible "game changer", dans la dernière ligne droite avant la présidentielle du 3 novembre, place tout d’un coup sous les projecteurs la révolution judiciaire que les républicains mènent discrètement depuis quatre ans. Trump et sa majorité au Sénat ont déjà nommé 218 juges fédéraux, soit plus de 25% du total. À l’exception de Jimmy Carter, aucun autre président n’a fait mieux pendant son premier mandat depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Tous les juges ont été soigneusement sélectionnés par des groupes de pression conservateurs aux plans social, économique et religieux, représentant l’épine dorsale du parti. Ils sont pour la plupart des hommes (75%), blancs (85%), et surtout relativement jeunes. Ils pourront ainsi défendre le programme républicain pendant des décennies, ce qui pourrait être , au final, le plus important héritage de Trump.
Législation sur les armes
Le lobby des armes – un autre pilier traditionnel républicain – a réussi à maintenir son pouvoir d’influence. Le 1er octobre 2017, les États-Unis ont connu la tuerie de masse la plus meurtrière de toute l’histoire américaine lorsque Stephen Paddock a ouvert le feu pendant de longues minutes, à partir d’une chambre d’hôtel, sur des spectateurs d’un festival de musique à Las Vegas. Bilan: 60 morts et plus de 800 blessés.
Quelques mois plus tard, dans la Stoneman Douglas High School à Parkland, en Floride, 17 personnes ont perdu la vie dans l’attaque la plus sanglante jamais perpétrée dans une école secondaire aux États-Unis.
Des millions de citoyens ont participé au mouvement "March for our Lives", mais rien n’a changé ou presque au niveau de la loi sur les armes. Seul le "bump stock", cet accessoire pouvant équiper une arme à feu semi-automatique pour lui donner un fonctionnement proche d'une arme automatique, a été interdit.
Vague de dérégulation
Le monde des entreprises a accueilli les bras grands ouverts la vague de dérégulation typiquement républicaine: le pays a connu la plus forte baisse d’impôts depuis des décennies, les banques ont vu les règles s’assouplir, 68 lois environnementales ont été supprimées en toute discrétion et 32 autres devraient suivre.
Les normes strictes d’émissions des voitures ont été assouplies, les centrales électriques peuvent émettre davantage de gaz à effet de serre, les sites d’extraction de pétrole et de gaz peuvent à nouveau libérer du méthane (nocif) et les forages pétroliers sont désormais autorisés dans une réserve naturelle en Alaska.
Ces mesures ont permis à Trump de créer de nombreux emplois pour son électorat, entre autres pour les habitants de la "Rust Belt", même si cet effet semble temporaire.
Les incendies de forêt destructeurs sur la Côte Ouest, les ouragans d’une violence rare dans le sud et les records de pluie dans le Midwest illustrent surtout la nature des changements climatiques, même si Trump rejette en bloc toute responsabilité humaine dans ces phénomènes. Et ce, tandis que sa propre administration met en garde contre la hausse du coût économique de ces catastrophes et le danger qu’elles représentent pour la stabilité financière du pays.
Migration
Même si la tolérance zéro envers les immigrants illégaux – lisez: la main-d’œuvre bon marché – n’est pas une obsession typiquement républicaine, Trump en a fait la pierre angulaire de sa campagne. Le résultat reste cependant mitigé.
Le nombre d’expulsions a augmenté chaque année, mais il est encore loin des chiffres du prédécesseur démocrate de Trump, Barack Obama.
Le nombre d’arrestations à la frontière mexicaine a grimpé en flèche – en 2019, on en comptabilisait près de 900.000, soit le nombre le plus élevé depuis 2007. Mais cette hausse en dit autant sur le désespoir face à la criminalité liée à la drogue et sur la pauvreté en Amérique latine que sur le renforcement des contrôles aux frontières. Il n’en reste pas moins que le discours radical de Trump a découragé bon nombre de candidats à la migration et fait baisser drastiquement le nombre de migrants illégaux.
En 2018, Trump a même envoyé l’armée à la frontière mexicaine et séparé de leurs parents des enfants mineurs entrés illégalement dans le pays. Des images choquantes d’enfants en pleurs derrière des barreaux ont provoqué d’énormes protestations et fait reculer Trump. Le nombre d’expulsions a augmenté chaque année, mais il est encore loin des chiffres de son prédécesseur démocrate Barack Obama.
La tentative de Trump de supprimer la protection mise en place par Obama en faveur de centaines de milliers de "dreamers" – des jeunes arrivés illégalement avec leurs parents, voire même nés aux États-Unis – a échoué devant la Cour suprême.
Et quid de sa promesse très médiatisée "build the wall"? Le long de la frontière avec le Mexique, longue de 3.145 km, 549 kilomètres de nouveaux murs ont été construits. En réalité, il s’agit surtout de renforcement ou de rénovation de l’infrastructure existante. Seuls environ 50 km de nouveaux murs ont été construits.
Et le Mexique n’a pas déboursé le moindre peso. Du moins pas directement. Car Trump a exigé de plusieurs pays d’Amérique centrale qu’ils retiennent les migrants à l’intérieur de leurs frontières en les menaçant de pressions économiques.
Les migrations légales ont également été resserrées. Par exemple, Trump a interdit en 2017 l’entrée aux États-Unis de résidents de plusieurs pays musulmans, même s’il a fallu trois jugements pour autoriser cette mesure. Il est aujourd’hui beaucoup plus difficile d’obtenir un visa américain ou un permis de séjour, y compris pour les personnes très diplômées. Et l’accueil de réfugiés a baissé de près de 90%.
Tensions raciales
Sa politique migratoire illustre aussi comment Trump s’est mis en marge du débat identitaire. Parmi les manifestants néonazis de Charlottesville, il a vu "de nombreuses bonnes personnes". Il a qualifié les pays africains de "shithole countries" et a subtilement légitimé des millions de partisans de la théorie du complot de l’extrême droite QAnon.
Au début de l’année, plus de 80% des Afro-Américains qualifiaient Trump de raciste. Et au moment de la mort de Breonna Taylor et de George Floyd, quand Jacob Blake a été gravement blessé, et lorsque le mouvement de protestation "Black Lives Matter" a explosé contre la violence policière, Trump n’a montré aucune compréhension. Il a choisi de soutenir les forces de maintien de l’ordre.
En prétendant traduire la voix de la "majorité silencieuse" en se focalisant sur "la loi et l’ordre", aiguillonne-t-il inutilement les tensions raciales et la violence entre les groupements d’extrême droite et d’extrême gauche? Il y a peu de questions qui illustrent aussi bien cette polarisation profonde du pays.
Le "First Step Act" doit mettre fin à la surpopulation dans les prisons, et surtout profiter aux minorités.
Droit pénal
Cas rare, Trump a réussi à obtenir un consensus politique, fin 2018, sur son "First Step Act", la plus grande réforme du droit pénal en 25 ans. Elle doit mettre fin à la surpopulation dans les prisons, et surtout profiter aux minorités. Les peines de prison minimales obligatoires ont été supprimées, les libérations anticipées promues et le récidivisme combattu grâce à un meilleur accompagnement des anciens détenus.
Mais de nombreuses étapes doivent encore suivre. Avec plus de 2,3 millions de détenus – soit plus de 700 par 100.000 habitants – les États-Unis sont en tête du classement mondial. Et 40% des prisonniers sont des Afro-Américains, alors qu’ils ne représentent que 12% de la population.
Soins de santé
Le coronavirus a déjà coûté la vie à 205.000 citoyens américains, soit le nombre le plus élevé au monde. Il s'agit de la plus grande crise de la présidence de Trump. Il y a foison d'écrits sur la manière dont Trump a minimisé cette maladie, contredit ses conseillers scientifiques et accouché d’une stratégie fédérale chaotique.
Les républicains de Trump ont en partie démantelé l’Obamacare, la réforme des soins de santé introduite par son prédécesseur, sans offrir la moindre solution de rechange digne de ce nom.
Beaucoup d’encre a également coulé sur l’accent mis sur la résistance économique plutôt que sur la promotion de l’importance du port du masque et de la distanciation physique. Et sur son rejet de la responsabilité de la crise sur la Chine et les politiciens démocrates locaux.
C’est un fait que la crise du coronavirus est la plus grande crise sanitaire ayant frappé les États-Unis depuis la grippe espagnole de 1918. Et que les pauvres, les personnes âgées et les minorités – entendez: les hommes et les femmes oubliés de l’Amérique – ont été touchés de manière disproportionnée.
Facteurs aggravants: les républicains de Trump ont en partie démantelé l’Obamacare, la réforme des soins de santé introduite par son prédécesseur, sans offrir la moindre solution de rechange digne de ce nom. Ils ont aussi réduit les programmes alimentaires et de lutte contre la pauvreté. Des millions d’Américains ont vu leur filet social – déjà mince – s’effilocher encore davantage.
Pessimisme
Qu’est-ce que cela signifie pour le 3 novembre? Plus de 90% des républicains continuent à soutenir Trump. Et il aurait pu obtenir le soutien d’un pourcentage encore plus important, en particulier durant les deux premières années de son mandat, lorsqu’il disposait d’une "trifecta", c'est-à-dire d'un contrôle républicain sur la Maison-Blanche et les deux chambres du Congrès, ainsi qu’une majorité conservatrice à la Cour suprême.
Sa versatilité, le manque d’expérience de nombreux conseillers et les changements de têtes incessants dans son cabinet – il a licencié, entre autres, quatre chefs d’état-major et cinq conseillers nationaux à la sécurité – ont sapé sa popularité.
Par conséquent, Trump a été le premier président de l’après-Guerre à ne jamais dépasser les 50% d'Américains le soutenant. Son score de popularité se situe aujourd’hui à 42%. Seuls George Bush senior et Jimmy Carter ont fait moins bien que lui à quelques encablures des élections, et n’ont d’ailleurs pas obtenu un second mandat.
Dans les sondages, Trump affiche depuis des mois un retard par rapport au démocrate Joe Biden. Lors des élections de mi-mandat, les républicains avaient déjà perdu le contrôle de la Chambre des représentants, six sièges de gouverneurs et autant de parlements au niveau des États.
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Aujourd’hui, le pessimisme règne en maître aux États-Unis. À cause de la crise du coronavirus, de la récession et des profondes tensions sociales, mais aussi de la "scandalite". Il y a eu l’enquête russe contre Trump, ses ex-collaborateurs Paul Manafort et Michael Cohen se sont retrouvés en prison, et Trump fut le troisième président – après Andrew Johnson et Bill Clinton – pour lequel une procédure d'impeachment a été enclenchée.
Depuis plus de 15 ans déjà, seule une minorité d’Américains pense que le pays va dans la bonne direction. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 14%. Jamais le malaise n’aura été aussi grand aux États-Unis, si ce n'est lors de la crise énergétique des années 70, de la récession sous Bush senior et de la crise des crédits pendant le premier mandat d’Obama. Le bain de sang américain n’est pas nouveau, mais Trump ne l’a pas arrêté. Au contraire.
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