Arabelle Meirlaen: "On a toujours le choix entre ne rien faire et réussir"
Pendant six semaines, L’Echo part à la rencontre des entrepreneurs stars de la Wallonie. Aujourd’hui, c’est au tour d’Arabelle Meirlaen, cheffe étoilée. Nous l’avons suivie dans sa cuisine. Elle y laisse libre cours à son imagination au point d’avoir inventé le concept de cuisine intuitive. 75% des produits qu’elle met en musique proviennent de son potager. "Je transforme tout, je ne jette rien", insiste-t-elle.
Selon le guide Michelin, un restaurant "une étoile" vaut l’étape. Un "deux étoiles" vaut le détour. Les "trois étoiles" valent le voyage. Michelin ou pas, L’Echo a décidé de faire le voyage jusqu’au restaurant d’Arabelle Meirlaen à Marchin pour y goûter sa cuisine intuitive et surtout pour connaître la recette de sa réussite. Arabelle Meirlaen est restée fidèle à la région hutoise où elle est née. L’immeuble contemporain perché sur les hauteurs fait à la fois office de maison et de restaurant. Ça sent bon le Condroz et les sangliers ne sont pas loin. Mais point de gibier dans l’assiette d’Arabelle. Sa touche à elle, sa marque de fabrique, ce qui l’a fait connaître, c’est l’utilisation intuitive des herbes, des légumes et autres fleurs.
Arabelle Meirlaen cuisine comme elle vit. Sa cuisine ne repose pas sur des savoirs enseignés à l’école ou dans des manuels mais sur l’écoute de son corps, des saisons et de la vie, en liaison directe avec la terre. "J’imagine ma cuisine comme la vie: belle, goûteuse, croustillante, pleine d’amour et d’émotions. Quand on met cela en pratique, on est heureux tous les jours."
Rôle central du potager
Passer la porte du bâtiment, c’est un peu entrer dans son intimité. C’est ce qu’on fait un matin de fin septembre. Il est 10 heures. Une fois entrés, nous sommes impressionnés par le côté épuré de l’endroit et les énormes baies vitrées qui donnent sur un immense jardin qui termine par une vue plongeante sur l’horizon.
Le potager, c’est le secret d’Arabelle Meirlaen. Il inspire toutes ses créations. Il s’étend sur 3.000 mètres carrés. Elle y cultive et récolte plantes, fleurs et aromates. Ce sont ses sources d’imagination.
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Une assiette composée par Arabelle et son équipe, c’est au minimum 75% de son contenant qui proviennent du jardin. "Je transforme tout, je ne jette rien" pourrait aussi être le leitmotiv de sa création culinaire.
"J’ai longtemps eu peur de reproduire ce que mes parents ont vécu."
Année après année, la liste des plantes cultivées s’allonge. Elle est le fruit d’échanges entre amis et de trouvailles sur internet ou lors d’innombrables voyages (Inde, Thaïlande, Japon). À tout moment, le personnel de la cuisine peut s’y rendre à la recherche d’un aromate, un légume, un fruit qui sera directement mis en œuvre.
La cuisine domine l’espace de gauche. Devant nous, c’est vide. Pas une table, pas une chaise. "Chaque matin, on recommence la mise en place de zéro", indique fièrement Pierre Thirifays, tout à la fois, maître sommelier, chef de salle et mari d’Arabelle.
CV Express
1971: Naissance le 20 novembre à Huy.
1999: Elle fait l’acquisition de son premier restaurant, Li Cwerneu.
2010: Décroche une étoile au Guide Michelin.
2013: Son mari, Pierre Thirifays, est élu Meilleur sommelier par Gault & Millau. Par ailleurs, ils quittent le centre hutois pour établir son restaurant dans sa maison familiale de Marchin.
2014: Est élue Chef de l’année par Gault & Millau (18/20) et reçoit la distinction de chevalier du Mérite wallon.
Un couple à la ville et en cuisine qui a construit de ses mains le bâtiment de pierres blondes dont le rez-de-chaussée abrite son restaurant et le premier son habitation. À table quelques minutes avec eux, on peut avoir l’impression qu’ils se chamaillent comme un vieux couple mais on sent que cet échange constant et franc fait partie de leur dynamique et de leur réussite. Derrière chaque grand homme, il y a une femme selon l’adage. Ici, derrière la cheffe (tout le monde l’appelle ainsi), il y a un homme. Et ensemble, ils ne manquent pas de projets.
Leur rencontre remonte au Li Cwerneu. Le restaurant précédent que la cheffe Meirlaen occupait sur la grand-place de Huy. Ils ne se quitteront plus. Pierre Thirifays décide de mettre en pause sa carrière d’électromécanicien pour s’occuper de la salle du restaurant et s’initier aux vins. Jusqu’ici, il ne buvait que de la bière. En 2013, il s’est pourtant vu décerner le titre de sommelier de l’année par le Gault & Millau. Comme quoi avec du travail, tout est possible.
Quand on parle avec Arabelle Meirlaen, la terre n’est jamais loin. "Pierre et moi, nous sommes fils et fille d’agriculteurs. Cela nous a construits et nous construit encore", insiste-t-elle. Revenons aux racines donc.
Arabelle Meirlaen voit le jour à Huy en 1971. Elle est la petite dernière. Elle a quatre frères et sœurs. Ses parents y gèrent une petite exploitation d’une cinquantaine de vaches, des Holsteins. "Lorsque j’avais une dizaine d’années, nous avons quitté le Condroz pour nous installer à Ave-et-Auffe, près de Han-sur-Lesse, où mes parents avaient trouvé une exploitation de plus de 50 hectares", se souvient-elle.
Mais le malheur s’abat sur la ferme familiale. Les maladies déciment le bétail: paratuberculose, brucellose, leucose bovine, vache folle. La fin de vie de ses parents sera difficile. Elle, malgré tout l’amour qu’elle leur porte, elle ne rêve que de partir. Elle fera l’école hôtelière de Libramont en internat.
20.000 euros pour le restaurant
Au départ, elle préfère le stylisme et la décoration d’intérieur à la cuisine mais une phrase dont les parents ont le secret fera basculer son orientation professionnelle. "On aura toujours besoin de manger", lui dit sans l’ombre d’un procès sa mère. Il y a des phrases qui changent une vie.
À ses débuts, Arabelle Meirlaen n’opère pas en cuisine mais bien en salle. Ses premières expériences ont pour cadre les loges du Standard et le Val Saint-Lambert. À 22 ans, après plusieurs péripéties, elle propose au propriétaire du Val Saint-Lambert de la nommer gérante. Ce qu’il fait. Après cinq ans, Arabelle Meirlaen a envie de voler de ses propres ailes. Elle jette alors son dévolu sur un restaurant à remettre sur la grand-place de Huy, Li Cwerneu. On est fin 1998. En décembre de cette année, Arabelle Meirlaen fêtera ses vingt ans dans la restauration.
"Des investisseurs sont déjà venus nous proposer de nous installer à Bruxelles, à Cannes et ailleurs dans le monde, mais on a toujours refusé."
Il y a vingt ans, elle achète le restaurant pour 20.000 euros. "Un jour, mon cuisinier a décidé de partir. Pour ne pas être contrainte de fermer, j’ai renoncé au service en salle pour officier derrière les fourneaux. Je me suis retrouvée face à moi-même. Je me sentais enfermée et j’ai voulu comprendre pourquoi la vie m’avait placée là. Je suis passée par une phase de fatigue intense", raconte-elle aujourd’hui.
Les journées denses et stressantes se succèdent à un rythme infernal. Le restaurant marche du tonnerre. C’est une mine d’or. Mais tout n’est pas rose pour autant.
À l’époque, la jeune femme se nourrit essentiellement de pâtes. "Une alimentation déséquilibrée à laquelle mon corps a fini par dire stop. Victime d’un excès de gluten, je perdais le sens du goût, de la vue et de l’odorat. J’avais aussi enfoui au fond de moi une pensée obsédante: j’avais peur de reproduire ce que mes parents ont vécu, se remémore-t-elle émue. La vie est plein de messages mais il faut les comprendre."
Le déclic
Désireuse de se reprendre en main, elle consulte tous azimuts. "Je me suis alors concentrée sur la recherche d’une alimentation plus saine, plus vive, à base de davantage de légumes et de végétaux. J’ai éliminé le gluten et le lactose, et je me suis sentie mieux. On peut trouver du calcium dans de nombreux autres aliments et remplacer le gluten par d’autres céréales, comme le petit épeautre. Pareil régime apporte énormément. Tout est aussi question d’équilibre, il faut aussi varier son alimentation, éviter les excès. J’ai ainsi développé une nouvelle vision de la cuisine basée sur ma philosophie de vie pour être différente. Une réflexion centrée avec le soi profond, après l’avoir moi-même adoptée, j’ai décidé de la partager avec ma clientèle." Ainsi est née la cuisine d’Arabelle Meirlaen. Une cuisine couronnée de succès. Elle est la première femme nommée "chef de l’année" par Gault & Millau.
La recette: un jus qui donne du peps
L’hiver approche doucement, donc voici mon petit clin d’œil de jus santé et bien-être pour garder le peps de la vie et ainsi prévenir l’arthrose.
- Prenez 3 carottes, 2 betteraves avec les fanes, 25 g de gingembre, 1 grenade, 4 cm de curcuma frais.
- Centrifugez tous les ingrédients et filtrez, réservez au frais.
- Votre jus est prêt.
"Déguster ce jus permet d’avoir une vie non acidifiante et de protéger notre corps en lui donnant une alimentation équilibrée, vitaminée avec moins de protéines animales pour nous protéger de l’excès d’acidité dans l’organisme", explique Arabelle Meirlaen, l’auteure de la recette.
Comment explique-t-elle son succès? "J’ai toujours été très positive et déterminée. On a toujours le choix, dans la vie, entre ne rien faire ou réussir. J’ai choisi de réussir, d’être curieuse, de croquer la vie à pleines dents. Il faut aussi apprendre à se connaître et à connaître son corps. Et puis, je m’inspire de tout ce qui m’entoure que ce soit positif ou négatif. Aujourd’hui, je ne me pose plus de questions, je suis juste avec moi, avec ma cuisine, avec mes clients. Et à ceux-ci je veux donner du goût, du plaisir et de la vertu", sourit-elle. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, aujourd’hui la cuisine d’Arabelle Meirlaen est étudiée à l’université, notamment du côté de Liège et de Gembloux.
Dix personnes temps plein
Chez Arabelle Meirlaen, tout est aussi une question d’équilibre. Equilibre dans l’assiette. Equilibre entre la cuisine et la salle. Equilibre entre son mari et elle. Equilibre entre vie professionnelle et vie familiale. "La meilleure décision que nous n’avons jamais prise alors qu’au début nous étions très réticents, c’est d’installer le restaurant dans notre maison familiale. Car au départ, nous comptions rester implantés dans le centre de Huy et d’avoir le jardin et notre maison sur Marchin, explique la cheffe. Mais aujourd’hui, le fait que les deux lieux soient au même endroit nous permet d’être en permanence avec nos deux filles, Mia et Ella. Lorsque nous travaillons le soir, nos filles savent que nous sommes juste à l’étage en dessous. Nous avons parallèlement fait le choix de réduire le nombre de jours d’ouverture."
Aujourd’hui, le restaurant fonctionne avec six services par semaine: deux le jeudi, deux le vendredi, le samedi soir et le dimanche midi. Ce qui donne environ 150 couverts par semaine. Et disons environ 125 euros par couvert. "En Wallonie, nous sommes très bon marché. Le même service en Flandre coûtera deux fois plus cher", intervient la patronne.
Le restaurant emploie 10 personnes à temps plein (sans compter le couple qui est à la manette), plus des extras le week-end. L’ensemble génère un chiffre d’affaires de près d’un million d’euros. "La moitié du chiffre d’affaires sert à couvrir les charges en personnel", précise Pierre Thirifays, qui s’occupe de la gestion financière et administrative de la petite entreprise. Ce dernier trouve les charges administratives de plus en plus lourdes. "Avant cela me prenait une heure par jour, aujourd’hui je suis à deux", relève-t-il.
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À noter qu'Arabelle Meirlaen et son mari sont propriétaires-restaurateurs ce qui n’est pas toujours le cas dans le domaine de la restauration gastronomique. Derrière certains grands noms, ce sont des investisseurs qui sont actifs.
Selon nos deux entrepreneurs du jour, dans l’horeca, les principales difficultés résident dans le poids des charges sociales et dans le recrutement du personnel. "Sans cela, on pourrait employer trois ou quatre personnes de plus", soulignent-ils en chœur.
Bientôt une deuxième étoile?
Ils estiment qu’en Wallonie, on a tous les éléments pour réussir. "On a toutes les cartes en main, le problème, c’est qu’elles sont mal mélangées et mal distribuées", soulève Pierre Thirifays. "Il faut y croire et ne pas s’y croire, enchaîne la cheffe. Je pense qu’en Wallonie parfois on n’ose pas assez. On a un énorme savoir-faire mais on n’ose pas trop l’exprimer."
Arabelle Meirlaen a décidé de partager sa passion via un livre intitulé simplement "Ma cuisine intuitive" (écrit en collaboration avec Jean-Pierre Gabriel). "Une gestation de 18 mois" qui lui a fait du bien. En novembre, c’est le moment tant attendu dans le milieu de la restauration gastronomique, celui de la sortie des guides. On souhaite à Arabelle Meirlaen une deuxième étoile. "On ne peut jamais dire que c’est un objectif mais il est clair que si cela arrive, cela sera très positif", dévoile le mari de la cheffe. "Nous avons toujours envie d’aller de l’avant, le fait de se remettre en question quotidiennement nous renforce et nous booste à de nouveaux projets", enchaîne Arabelle.
Vu le contexte de la peste porcine, on ne peut prendre congé sans demander son point de vue sur l’épineuse question des crises alimentaires. "Je pense qu’un jour, une crise alimentaire pourrait mettre à terre tout un secteur d’activité dont je fais partie. Ce qui m’interpelle le plus, ce qui est étonnant selon moi, c’est que ce genre de phénomène resurgit tous les trois ou quatre ans, s’énerve la cheffe. D’ailleurs, si je pouvais remplacer la viande, je m’en passerais. À partir d’un certain âge, il est préférable de diminuer sa consommation personnelle, de mieux choisir l’origine des races et la nourriture de celles-ci."
Par contre, elle ne pourra jamais se passer de sa Wallonie, de sa terre. "Des investisseurs sont déjà venus nous proposer de nous installer à Bruxelles, à Cannes et ailleurs dans le monde, mais on a toujours refusé. Pour l’instant, notre équilibre est ici."
Tout est toujours question d’équilibre et de partage. À oui, on allait oublier, Arabelle Meirlaen croit beaucoup dans les énergies. Et chez elle, aucun risque de black-out.
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