"Il y a quatre mois, je ne savais pas ce qu'était une licorne" (François Fornieri)
François Fornieri nous a donné rendez-vous à Liège pour nous parler de Mithra. "J’ai un rêve", assène l’homme qui pèse un milliard. Mais l’invitation dépasse l’avenir de la contraception et le boom belge des biotechs. "J’aimerais que nous, francophones, soyons plus fiers." Il veut nous démontrer qu’en Wallonie aussi on sait innover. Trois, deux, un, partez.
François Fornieri est une pile électrique. Dans ses bureaux de la rue Saint-Georges en plein cœur de Liège, flanqué de deux fidèles acolytes, il enfile les Cocas Zéro. Le téléphone n’est jamais loin. François Fornieri attend un coup de fil important.
*LICORNE : Surnom donné à une startup qui atteint une valorisation d’un milliard de dollars ou plus. Le terme est néanmoins un rien usurpé dans le cas de Mithra puisqu’il était utilisé à l’origine juste pour les sociétés non cotées.
Mais, réputé bavard, le Liégeois n’en dira pas plus. Depuis que Mithra vaut un milliard d’euros en Bourse et qu’il a déclaré en mai dernier à L’Echo que son bébé pouvait être le prochain Bayer, Mithra est au cœur de toutes les attentions.
"Bayer s’est construit sur une molécule: l’aspirine. Comme Pfizer s’est construit sur les antidépresseurs. Mithra pourrait se construire sur l’Estétrol dans la santé féminine", appuie François Fornieri toujours aussi convaincu.
La Wallonie entreprend
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L’Estétrol, c’est cet œstrogène naturel à la base du contraceptif oral – la pilule – Estelle et du traitement contre les effets néfastes de la ménopause Donesta. Deux produits sur lesquels le CEO fonde de gros espoirs. À la question: "Pourrait-il vendre?", François Fornieri avait, en mai, aussi répondu: "Comme je l’ai déjà dit: non. Sauf si…" Rapidement, certains interprètent cela comme "François Fornieri est prêt à vendre". Ce qui n’est tout de même pas la même chose. En Bourse, le cours, qui grimpait depuis des mois, a poursuivi sur sa lancée, au point d’attirer le regard du gendarme des marchés, la FSMA.
Selfie à 1 milliard
C’est l’attention accrue, le poids de la simple petite phrase qui pourrait être mal interprétée, cela aussi la rançon de la gloire, en somme. "Il y a quatre mois, je ne savais même pas ce qu’était une licorne*", s’amuse François Fornieri. Est-ce que cela change une vie de peser un milliard? Il élude. "Je suis très fier pour Mithra. C’est Mithra qui vaut un milliard. Mithra, ce n’est pas un homme. C’est toute une équipe. Je ne suis que le chef d’orchestre."
CV
- Né à Ougrée en 1962.
- Ingénieur industriel chimiste (ISIL); ULg, HEC – école de gestion.
- Début de carrière comme commercial chez Labaz-Sanofi. (1986).
- Responsable commercial / marketing-vente chez Schering.
- Fondation de Mithra en 1999 avec le professeur Jean-Michel Foidart.
On insiste. "On me demande si on peut me prendre en photo. Certains m’appellent l’homme qui vaut un milliard", poursuit Fornieri en laissant entendre que la réussite n’est pas toujours bien vue en Wallonie ou à Bruxelles. "En Flandre, ils me disent qu’ils sont très fiers et très contents de m’avoir fait confiance."
Le jalouse-t-on? Question tranchante. Il hésite… mais on ne se refait pas. "Certains qui se pensent puissants – et je ne citerai pas de noms – ont été jusqu’à appeler Meusinvest (actionnaire historique de Mithra, qui en détient encore 14%, NDLR) pour dire qu’il était temps de vendre. Que c’était trop beau".
Cela le fait enrager.
"J’ai un rêve fabuleux"
Mettez une pièce dans le jukebox, François Fornieri vous parlera de Mithra pendant cinq jours. À l’échelle mondiale, il estime qu’une femme sur dix prendra, à terme, des produits de la société wallonne. En Belgique, c’est déjà une sur deux. "Avec l’Estétrol, on va révolutionner le monde de la contraception et de la ménopause. Et j’espère ensuite dans d’autres indications car on a d’autres possibilités."
" J’ai plusieurs rêves. Je suis en passe de réaliser le plus important: mettre au point et commercialiser un médicament qui va aider la population pendant des générations. C’est fabuleux, cela", relance François Fornieri.
Récente, l’histoire de son entreprise n’est toutefois pas toujours aisée à comprendre. Mithra désarçonne souvent. Mais le Liégeois, derrière sa fausse candeur et son célèbre franc-parler qui lui vaut quelques inimitiés, sait où il va.
"Les 6 ou 7 premières années, c’est la galère. On gagne moins qu’un employé ou un téléphoniste."
Dernier épisode frappant: la vente de BeLux, son activité historique de génériques, à Ceres Pharma, détenue par Marc Coucke, par ailleurs actionnaire de Mithra (vous suivez?). "Certains n’ont pas compris l’importance de ce deal. On s’est trop focalisé sur Marc Coucke en se disant qu’il faisait encore une bonne affaire au détriment de Mithra. Pour le dire autrement: Coucke m’aurait b…" Toujours cette franchise désarçonnante.
"En fait, poursuit-il, nous avions une gamme de produits depuis 19 ans qui, pour la plupart, ne nous appartenaient pas, des produits pour lesquels on a déjà perdu pas mal de licences. Pour les plus gros, les licences tombent dans deux ans. Or, dans deux ans, on devrait avoir Estelle sur le marché. On sera en plein dans la phase 3 de Donesta. J’ai donc besoin de toutes les ressources de l’entreprise pour assumer pleinement les deux prochaines années. Cela n’avait donc pas de sens de continuer dans une voie qui n’est plus stratégique pour Mithra." Avec les 40 millions d’euros de cette vente, "on développe Donesta nous-même, sans partenaire".
Déclic wallon
Mais ce n’est pas uniquement pour parler de contraception et de révolution pharmaceutique que FFO (son nom sur la plaque) a sorti sa Ferrari Dino ce mardi matin. Il compte nous emmener visiter d’autres entreprises liégeoises qui montent, "dans des domaines totalement différents. C’est cela qui est intéressant."
Il aimerait faire passer un message. Il aimerait aussi qu’on soit plus fiers, "nous, francophones", de nos succès économiques. Car il y a de plus en plus de succès marquants. "Vous savez ce que me demande le Wallon quand on évoque Mithra? ‘François, est-ce que cela vaut encore la peine d’acheter?’ Vous savez ce que me demandent les Flamands? ‘François, quand faudra-t-il vendre?’" Cela résume, selon lui, les mentalités.
"Heureusement, les choses sont en train de changer. Ce n’est plus une mentalité générale. On a eu un ministre de l’Économie PS qui avait des idées, qui a bien développé l’économie. Interrogez les patrons, ils diront que Marcourt a été un excellent ministre", souligne notre chauffeur du jour. Le successeur de Marcourt, Pierre-Yves Jeholet? "Je le connais depuis longtemps. C’est un homme intelligent et j’admire son parcours professionnel. Il y a eu un petit malentendu, mais on a réglé cela."
Sur le plan Marshall, l’un des tours de force des pôles de compétitivité fut de remettre le secteur de la pharmacie au cœur de l’échiquier. "Nous avons dix ans de retard par rapport à la Flandre, assène Fornieri. Mais nous revenons et très vite, sourit-il. Nous avons tout ici pour faire éclore des biotechs mondiales: l’histoire, le savoir, les universités."
Il cite Jean Stephenne qui a "tout fait pour conserver et faire grandir GSK et ici". "Il fait partie de ceux qui m’inspirent." Comme Eric Domb (Pairi Daiza), Yves Prete (Safran) ou Bernard Serin de CMI. "Lui, c’est un cas d’école. Une pointure. On devrait l’enseigner dans toutes les écoles." CMI, une entreprise qui lui tient à cœur: le père de François Fornieri y a fait sa carrière comme ouvrier.
"Nous avons tout ici pour faire éclore des biotechs mondiales: l’histoire, le savoir, les universités."
On se lance: quelle biotech wallonne pourrait exploser après Univercells qui a obtenu le soutien de Bill Gates dans son combat contre la polio? Ogeda, rachetée 800 millions l’an dernier par les Japonais d’Astellas (et concurrent de Mithra) ou encore Iteos, qui vient de lever 64 millions d’euros? Il cite le nom d’OncoDNA. "Ils ont un bon filon et je crois au management. Pour moi, l’humain fait beaucoup." Pause. "Mais attention: une entreprise, ce n’est jamais l’affaire d’une seule personne."
Les chocottes
Pour François Fornieri, on naît entrepreneur. C’est "dans les gênes". Il prend l’exemple de l’historien de l’art liégeois Jean-Christophe Hubert, devenu chocolatier sur le tard. "Il faut être passionné… et complètement naïf", rigole-t-il. Manager? "Cela s’apprend dans les écoles."
Franchement, "les entrepreneurs qui ne cherchent qu’à s’en mettre plein les poches, ils ne durent pas longtemps. D’abord ils revendent. Très vite. Parce qu’ils ont très peur de perdre après. En réalité, il vaut mieux qu’ils ne démarrent pas. Parce que les 6 ou 7 premières années, c’est la galère. On gagne moins qu’un employé ou un téléphoniste. Au début, chez Mithra, j’avais les chocottes chaque fois que j’engageais quelqu’un. Ces gens ont une famille. Vais-je pouvoir les payer?"
Pote et boss. C’est comme cela que les gens le définissent. "Mais jamais dans le même endroit. Chez Mithra, je suis le boss." Il a instauré quelques habitudes. "On fête tous les événements positifs. Deux heures en fin de journée. Mais pas plus.. Les événements négatifs, on se lamente une heure maximum. On se dit que c’était le plan A qui n’a pas réussi. Le plan B non plus? Maintenant, il y a le plan C. Et parfois, les plans B et C sont meilleurs que le plan A. Je dirais même: toujours. Mon meilleur plan C? Uteron." La firme qui, au terme d’une longue saga, lui aura procuré l’Estétrol.
Donne-moi ta couleur
C’est le moment d’évoquer Nethys… dont Fornieri est devenu administrateur aux côtés de Stéphane Moreau et Pierre Meyers suite à l’affaire Publifin. La première réaction est presque épidermique.
"On s’est acharné contre Liège car c’est la seule province qui parvient à dégager des profits avec ses intercommunales. Grâce à Publifin-Nethys, les villes ont des moyens puissants pour se développer. On le voit à Seraing, à Herstal. D’ailleurs, la plupart des politiques enviaient cette situation et envisageaient de créer des Nethys ailleurs." Marche arrière. "Mais je ne porte pas de jugement. Je ne sais pas ce qui se passe chez Publifin. Je ne peux donc pas me prononcer. Par contre, je peux dire que Nethys est une entreprise extrêmement bien gérée qui a été bloquée dans un élan extraordinaire. Je l’ai dit à Stéphane Moreau, leur vrai problème c’est la com’: engage un journaliste, ouvre tes livres de comptes."
Les comités de secteur? Les jetons exorbitants? Les conflits d’intérêts? "Pas chez Nethys. Ne confondez pas. Publifin, c’est autre chose."
Et la politique dans tout ça, il s’y voit, François? "No way!" Tous l’ont sollicité. En vain. "D’abord, je n’adhère pas à un parti. Je vote pour des personnes, moi. Ce sont les personnes qui m’intéressent. Mais je n’ai pas de couleur politique. Je suis un homme d’affaires."
Mélanger les genres: gênant et dangereux. "Cela tourne toujours mal." Ce n’est pas Stéphane Moreau, à nouveau, qui contredira. "Tous ceux qui font des affaires et qui rentrent en politique ont des problèmes tôt ou tard. Et les politiques qui se lancent dans les affaires sont vite en conflit d’intérêt."
* Une licorne est une startup qui atteint une valorisation d’un milliard de dollars ou plus. Le terme était utilisé, à l’origine, juste pour les sociétés non cotées.
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