Les robots tondeuses "made in Wavre" à l'assaut des Etats-Unis
L’Echo part à la rencontre des champions wallons. Pendant six semaines, votre quotidien vous emmène à la découverte de pépites wallonnes et des produits qui font leur renommée. Ce samedi, visite chez Belrobotics dont les robots tondeuses s’apprêtent à conquérir les pelouses et les terrains de sport de l’oncle Sam.
Les grandes histoires se jouent souvent sur un détail. Ici en l’occurrence, le détail pèse un bon cinquante kilos et s’occupe d’une pelouse au sein de la propriété de l’entrepreneur Pierre Rion située à Thorembais-les-Béguines. Le détail est un robot tondeuse estampillé Belrobotics et fabriqué en Wallonie, à Wavre précisément.
Par contre, l’histoire ne dit pas si Pierre Rion est tellement content de son robot qu’il en parle à tout le monde ou bien si c’est lors d’une visite chez ce dernier qu’Eric Domb a été charmé par le va-et-vient de la machine. Toujours est-il qu’Eric Domb savait que Pierre Rion avait une "Belrobotics" quand Michel Coenraets, le cofondateur de Belrobotics, l’a appelé pour lui indiquer qu’il était à la recherche d’un repreneur pour sa société en difficulté.
On est fin 2007. Eric Domb est président de l’Union wallonne des entreprises. Michel Coenraets est toujours à la tête de Belrobotics dont les finances ne se portent pas bien. Et à l’époque, Pierre Rion n’est pas encore baron (il sera anobli en 2016) mais fait partie, avec ses compères Eric Mestdagh et Laurent Minguet, des "trois chevaliers blancs wallons" comme les surnomme notamment le journal L’Echo. Ensemble, ils forment le consortium des "3C" et tentent notamment de racheter à Belgacom le réseau Win.
Eric Domb conseille donc à Michel Coenraets de contacter Pierre Rion. On l’a vu ci-dessus, ce dernier connaît le produit et décide d’investir dans la société avec ses deux acolytes. Ils n’auront pas Win. Mais ils rentrent de plain-pied dans Belrobotics.
Dix ans plus tard, en cette fin d’année 2018, on peut déjà écrire que Belrobotics va terminer cet exercice avec un chiffre d’affaires aux alentours de 8 millions d’euros et qu’elle aura produit quelque 800 robots. Ces derniers se déclinent sous trois formes: la Parcmow jusqu’à 12.000 mètres carrés pour un prix public avoisinant les 7.000 euros; la Bigmow jusqu’à 24.000 mètres carrés pour un peu moins de 12.000 euros et enfin la Ball Picker (ramasseur de balles de golf) pour un peu plus de 13.000 euros.
L’entreprise emploie 40 personnes. Son capital est toujours détenu à 35% par les 3C, la SRIW et Eurefi (holding lux), à 52% par les Japonais de Yamabiko (on y reviendra), à 3% par le management et à 10% encore par ses fondateurs. Pour parler des fondateurs, il est temps de faire quelques rétroactes.
Au départ, un inventeur wallon
Le personnage central est André Colens, un ingénieur du Brabant wallon. L’homme est un inventeur hors pair puisqu’il a inventé la tondeuse robot mais aussi les robots aspirateurs domestiques. Il dépose ses principaux brevets en 1991. Jusqu’en 2002, il affine son produit.
En 2003, avec Michel Coenraets, le fondateur d’Automatic Systems, il crée la société Belrobotics (pour Belgium Robotic Systems). Le capital constitué à l’époque est de 1,5 million d’euros, avec l’appui d’actionnaires tels que Jean Peterbroeck, Michel Peterbroeck, Messieurs Putman et Haelterman, le comte Edouard Le Grelle, Roch Pirmez, ainsi que Nivelinvest, la société d’investissement régionale du Brabant wallon.
Le chiffre
1 tonne de CO2
par an et par hectare d’économisée
Aujourd’hui encore, la majorité des machines utilisées pour l’entretien des jardins fonctionnent à l’essence. "Ici aussi, nous avons un avantage concurrentiel avec l’utilisation de nos robots, c’est une tonne de C02 par hectare et par an d’économisée", insiste Pierre Rion.
"Nos machines ne produisent pas non plus de poussières et nous sommes donc très prisés pour les parcs de panneaux photovoltaïques", réagit de son côté Emmanuel Bois d’Enghien. "Et comme avec nos robots, il faut moins utiliser d’engrais puisque le sol s’auto fertilise, et que l’herbe est tondue non-stop, les oiseaux vont ailleurs et cela, par exemple, pour le marché des aéroports, c’est très important, sans troubler le biotope", poursuit notre duo.
Le plan d’affaires est optimiste et ambitieux. Mais voilà, inventer un produit est une chose, le produire et le commercialiser en est une autre. Et puis, il faut aussi indiquer que le produit est tellement innovant que le marché n’était pas très réceptif à ce moment-là. Aujourd’hui, vu que les principaux brevets sont entrés dans le domaine public, tout le monde fabrique des robots tondeuses. Mais Belrobotics a toujours visé principalement les pelouses de minimum un hectare, toujours protégé par des brevets spécifiques.
Entre 2002 et 2008, les actionnaires et les fondateurs remettent plusieurs fois la main au portefeuille mais la société décolle lentement. Pour éviter de la céder aux Suédois de Husqvarna , en 2008, Pierre Rion et ses partenaires rentrent dans la danse. Une bataille juridique s’engage entre l’ex-repreneur potentiel et les Wallons.
Finalement, le fondateur cède l’un ou l’autre brevet au leader du marché du robot tondeuse, le même Husqvarna. "Les premières années ont été difficiles, se souvient Pierre Rion, l’actuel président du conseil d’administration. Au total, les actionnaires auront injecté environ 13 millions d’euros soutenus par la SRIW et la Région pour ses développements. Et puis, cela commençait à bien tourner."
En 2011, c’est la rencontre avec Emmanuel Bois d’Enghien, l’actuel administrateur délégué. Ce dernier a un background industriel important via ses passages chez Van Cleemput et ACV. Et puis surtout, il a une très bonne connaissance du marché américain et des canaux de distribution de l’autre côté de l’Atlantique.
Merci Donald Trump
Les dirigeants de l’entreprise wallonne disent merci à Donald Trump. La politique du Président américain vis-à-vis de l’immigration mexicaine est une opportunité pour Belrobotics. "Qu’on soit d’accord ou pas avec sa politique, c’est un fait, Donald Trump incite les Mexicains à retourner au Mexique. Or beaucoup de Mexicains exercent le métier de jardinier. Aujourd’hui, aux États-Unis, il y a clairement un déficit de main-d’œuvre. De nombreuses pelouses ne sont plus tondues par manque de personnel", expose froidement Emmanuel Bois d’Enghien.
Et quand on sait que l’herbe peut pousser de huit centimètres par semaine là-bas, cela peut vite devenir un problème. C’est donc un marché à conquérir pour la petite wallonne.
Cap sur l’Amérique
La pépite wallonne veut écrire la suite de son histoire en anglais avec l’accent US. Il faut dire que c’est un marché incroyable. D’entrée de jeu, l’Amérique, c’est deux fois plus de pelouses qu’en Europe. Ensuite, l’Amérique, ce n’est peut-être pas le pays du golf mais le golf y est très populaire au point que des complexes axés juste sur le swing mais sans parcours sortent de terre comme des champignons avec des petites terrasses où chacun frappe ses balles. Enfin, les dirigeants de l’entreprise wallonne disent un peu merci à Donald Trump. La politique du Président américain vis-à-vis de l’immigration mexicaine est une opportunité pour eux. (lire l'encadré).
Aujourd’hui, Belrobotics ne vend plus que des robots tondeuses pour des pelouses d’au moins un hectare (ce qui représente environ 3% des jardins). Le marché se divise désormais en deux: les fabricants de robots domestiques et les professionnels de l’entretien et de la création des grands espaces verts.
Champions dans un marché de niche
"Nous sommes finalement des champions du monde dans un marché de niche, enchaîne Pierre Rion. Depuis quelques années, nous sommes par exemple très présents sur les terrains de sport."
Les Diables Rouges sont clients
Ce sont des tondeuses Belrobotics qui s’occupent des terrains de foot du centre d’entraînement officiel de l’équipe nationale situé à Tubize. Sur une vidéo promotionnelle de l’entreprise basée à Wavre, Frédéric Veraghaenne, le manager du centre de l’Union Belge, n’hésite pas à dire tout le bien qu’il pense des robots tondeuses et de leur impact sur la performance des joueurs.
Il est vrai que la pelouse, c’est l’outil de travail des joueurs. Il paraît aussi que les joueurs de football professionnels préfèrent jouer sur une pelouse tondue par un robot car l’herbe est plus drue, plus dense et ils se font moins mal lorsqu’ils chutent. Les excellentes performances des Diables Rouges en Russie se doivent peut-être en partie aux robots tondeuses de Belrobotics.
Quand on voit que dans le football moderne, une équipe comme celle de nos Diables part avec ses propres matelas, peut-être que lors de la prochaine Coupe du monde, ils embarqueront avec eux leurs robots tondeuses, qui sait? On est professionnel ou on ne l’est pas.
Les premiers robots tondeuses pour le marché américain seront acheminés en décembre par bateau. 64 machines sont prévues dans un premier temps. Ce sera le début d’une nouvelle aventure et l’achèvement de plusieurs années de travail. "En fait, dans notre secteur, il n’y a pas de norme. La norme suit les produits. Vous ne pouvez pas imaginer toutes les certifications que nous avons dû passer pour pouvoir pénétrer le marché américain", précise le CEO Emmanuel Bois d’Enghien.
Et ce d’autant plus que les tondeuses Belrobotics sont de vrais robots remplis de mécanique, d’électronique et d’informatique. La bête a plusieurs têtes et des dizaines de capteurs. Le tout est équipé d’un GPS et d’une connectivité. "Rien que de discuter avec les opérateurs comme AT&T et Verizon cela prend beaucoup de temps car ils ont chacun leurs normes", avance le CEO.
La perle rare
À Wavre, la recherche et développement prennent beaucoup de place. "En 2018, nous avons consacré environ 25% de notre chiffre d’affaires à celle-ci", indique Emmanuel Bois d’Enghien. C’est notamment pour cette raison et pour pouvoir bénéficier d’un réseau de distribution déjà actif aux Etats-Unis et dans le monde, qu’en 2013, les dirigeants wallons sont partis à la recherche d’un partenaire industriel.
Ils ont mandaté la banque Rothschild pour ce faire. Et la perle rare a été trouvée en Yamabiko. "Yamabiko, c’est 2 millions de produits par an dans le monde entier, c’est 1,2 milliard de chiffre d’affaires, expose Pierre Rion. Même s’il a pris une prise de participation majoritaire afin de consolider ses comptes vu qu’il est coté en Bourse, nous gardons de facto le contrôle opérationnel."
Et ce dont le président du CA est le plus fier, c’est qu’à partir de 2019, la société wallonne sera le distributeur officiel pour l’Europe des produits qui ont fait la réputation de Yamabiko sous la marque Echo. Ainsi, les prévisions 2021 indiquent un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros dont 25% avec des robots (environ 3.500 machines vendues). En trois ans, le chiffre d’affaires devrait donc être multiplié par 11 et la production de robots quintuplée. Ce n’est pas pour rien que l’entreprise a déménagé au mois d’août dans un site plus vaste. Vive l’Amérique. Vive le Japon. Vive la Wallonie.
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