Mathias Döpfner | Ce convaincu refuse de céder face à Google

Le patron du groupe de médias Axel Springer poursuit sa bataille acharnée contre les géants américains qui tissent leur toile sur le net.

Mathias Döpfner ne cherche décidément pas à se faire des amis dans la Silicon Valley malgré son indéniable admiration pour les rois de l’internet. Dans un entretien accordé au quotidien britannique Financial Times qu’il a tenté de racheter l’an dernier avant de se faire coiffer sur le poteau par le japonais Nikkei, le président du directoire d’Axel Springer s’est déclaré favorable au projet de loi européen qui devrait permettre aux éditeurs de presse de réclamer des droits sur les articles mis en ligne et utilisés notamment par Google News et Facebook. "Si aucun business model réel et suffisant n’est mis au point (pour encadrer) les moteurs de recherche (et) les réseaux sociaux, le nombre de producteurs de contenus va se réduire rapidement, prévient le patron du groupe de médias allemand. Vous aurez alors un monopole de la distribution de contenus qui seront produits par les utilisateurs eux-mêmes ou par des professionnels qui ont des intérêts commerciaux à défendre. Les rumeurs et les faits seront totalement mélangés et cela risquerait de faire mal aux démocraties."

Lex Google

Le profil
  • 1963 Naissance à Bonn
  • 1982 Critique musical à la Frankfurter Allgemeine Zeitung
  • 1988 Il dirige pendant deux ans une agence de relations publiques
  • 1992 Il rejoint le groupe Gruner + Jahr pour occuper diverses fonctions notamment au Wochenpost et au Hamburger Morgenpost
  • 1998 Rédacteur en chef au quotidien Die Welt
  • 2002 Il prend les commandes de la maison mère de son quotidien, Axel Springer

Mathias Döpfner poursuit ainsi sa bataille acharnée contre les géants américains qui tissent leur toile sur le net. Ce géant longiligne, qui mesurait déjà deux mètres au moment de souffler ses quatorze bougies, n’avait pas économisé ses efforts pour encourager les députés allemands à voter en 2014 la "Lex Google" qui permettait aux éditeurs de faire payer leurs contenus aux moteurs de recherche. Ce texte n’a toutefois eu aucun impact. Après avoir vu ses principaux concurrents accorder une licence gratuite à Google, Mathias Döpfner n’a pas voulu céder aux pressions en refusant au groupe californien d’utiliser les articles publiés sur quatre de ses sites dont welt.de. Sans aller jusqu’à les déférencer, Google News avait alors décidé de conserver uniquement sur ses pages les titres des papiers sans publier de photos ni de vidéos. Conséquence: entre le 23 octobre et le 5 novembre 2014, les sites d’Axel Springer ont enregistré une chute de 80% du trafic observé sur Google News. Mathias Döpfner a visiblement mal digéré cet échec cuisant. L’ancien étudiant en musicologie et en dramaturgie n’est, il est vrai, pas vraiment habitué à connaître des revers…

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Brillantissime

©BELGAIMAGE

Après des débuts comme critique musical à la FAZ, le quotidien conservateur le plus respecté d’Allemagne, Mathias Döpfner a rejoint Axel Springer en 1998 pour prendre la direction de la rédaction du journal Die Welt. La veuve du fondateur du groupe de médias, Friede Springer, est vite tombée sous le charme de ce trentenaire brillantissime qui lui rappelait son visionnaire d’époux. En 2002, elle décida donc de lui confier les rênes de son empire qui comprend également le tabloïd Bild. Le nouveau "boss" avait alors tout juste 40 ans… Tout de suite, Mathias Döpfner choisit de concentrer ses investissements sur le… net. Au fil des années, il rachètera, parfois aux prix fort, des "pure players" comme le français Aufeminin.com, en 2007 ainsi que des portails de petites annonces comme le norvégien StepStone (2009), le français SeLoger (2011) ou le… belge Immoweb (2012). Pour mieux comprendre la mentalité américaine qu’il a entrevue lors de ses études à Boston, il accepte en 2006 un siège au conseil d’administration de Time Warner. Un discours prononcé par Brian Chesky, le fondateur d’Airbnb, l’encourage en 2012 à prendre des parts dans cette plateforme communautaire. La même année, il envoie trois de ses principaux cadres dont le patron de la rédaction de Bild, Kai Diekmann, passer plusieurs mois à Palo Alto pour comprendre les us et coutumes de la Silicon Valley.

Mathias Döpfner est sans aucun doute le patron de presse européen qui a le plus transformé son groupe pour s’adapter au boom de l’internet. Plus de 70% de son résultat d’exploitation, qui s’est monté à 559 millions d’euros l’an dernier, provient aujourd’hui de ses activités dans le digital. Mais cet amateur inconditionnel de James Brown a aussi conscience des risques que les géants du net représentent pour son groupe. Son bras de fer avec Google peut sembler perdu d’avance mais le patron allemand ne manque pas de ressources…

Le Brexit devrait profiter au Royaume-Uni

"Dans trois ou cinq ans, je parie que la Grande-Bretagne sera dans une meilleure position que l’Europe continentale, explique-t-il au Financial Times. Le Brexit pourra avoir, à court terme, des conséquences sur les fluctuations des taux de change et sur le marché de l’immobilier mais le Royaume-Uni sera capable de mener une politique d’immigration très saine axée sur les talents."

Le grand méchant Google

"Nous avons peur de Google, avoue-t-il en 2014 dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Je dois le dire une bonne fois pour toutes et sincèrement, car presque aucun de mes collègues n’ose le faire publiquement. Et en tant que plus grand parmi les petits, nous devons peut-être aussi ouvrir le débat. Google en sait davantage sur chaque citoyen actif dans le monde numérique que George Orwell n’a osé imaginer dans ses visions les plus audacieuses de 1984."

 

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