Publicité

On aurait besoin d'un Jacques Drèze dans cette crise

Jacques Drèze aurait mérité un prix Nobel d'économie. ©Flickr BSE

Jacques Drèze était considéré comme l'un des plus grands économistes belges. Il est décédé à l'âge de 93 ans. Mais ses idées subsisteront.

La crise économique et financière est entrée dans une phase encore plus aiguë cette semaine, comme en témoignent les graves remous sur les marchés financiers britanniques, un stress persistant sur les bourses mondiales, une inflation belge qui a grimpé au-delà de 11%, et une stagflation qui s'installe dans le paysage économique.  

Jacques Drèze aurait sans doute décroché un prix Nobel si sa carrière s'était déroulée aux États-Unis.

Publicité

Dans un tel environnement, l'expérience d'un économiste comme Jacques Drèze nous serait particulièrement utile. Le professeur de l'UCLouvain est décédé à l'âge de 93 ans le 25 septembre dernier. Il était considéré comme l'un des plus grands économistes belges. De l'avis de nombreux économistes, il aurait d'ailleurs amplement mérité un prix Nobel d'économie. Et il l'aurait sans doute décroché si sa carrière s'était déroulée aux États-Unis. Mais Jacques Drèze avait choisi la Belgique.

Il est né en 1929, l'année du début de la Grande Dépression. Originaire de Verviers, il a étudié l'économie à l'Université de Liège et ensuite à la Columbia University. Mais c'est à Leuven et ensuite à Louvain-la-Neuve qu'il va connaître sa période la plus faste en tant qu'économiste. Il y a notamment fondé le Center for Operations Research and Econometrics (Core), un centre de recherche réputé internationalement.

Il a pris sa retraite en tant que professeur en 1989, alors âgé de 60 ans à peine. Ce qui ne l'a pas empêché de poursuivre ses recherches et de publier encore de nombreuses études.

De l'avis de tous, il faisait autorité en matière d'analyse économique du marché du travail et s'est signalé par diverses propositions importantes de relance de l'économie. Avec l'économiste français Edmond Malinvaud et 11 autres économistes, il avait lancé en 1993 une "Initiative pour la croissance et l'emploi", qui a exercé une influence sur le Livre blanc de la Commission européenne. Ceci avec deux axes très clairs: la réduction du coût du travail des peu qualifiés et le recours aux investissements publics. Mais pas question de procéder à n'importe quel investissement public, "de faire des trous pour ensuite les reboucher", selon la terminologie keynésienne. Partisan d'une certaine responsabilité budgétaire, il mettait sans cesse l'accent sur les investissements utiles, créateurs de croissance.

Publicité

En 2014, il avait publié un article sur l'intégration fiscale et la stimulation de la croissance en Europe avec l'économiste belge Alain Durré qui, à l'époque, était actif à l'École de commerce Ieseg de l'Université catholique de Lille. Le plan tel qu'établi était en quelque sorte un précurseur du Plan de relance de Jean-Claude Juncker et du programme "Next Generation EU" de la Commission. Il pointait trois axes en matière d'investissement: le logement social, les transports publics et les énergies renouvelables. Drèze se disait régulièrement favorable à une taxe sur les énergies fossiles, pour des raisons écologiques bien entendu mais aussi pour dégager des fonds pour réduire le coût du travail, en particulier du travail peu qualifié.

Contacté par nos soins, Alain Durré, aujourd'hui chef économiste chez Goldman Sachs à Paris, se dit très attristé par la disparition de Jacques Drèze. "C'était assurément un grand Monsieur. Il affirmait qu'il était du devoir d'un académique en économie de prendre part au débat public. Ceci pour apporter quelque chose au bien-être collectif, au bien commun." Dans cet ordre d'idées, Drèze invitait régulièrement ses collègues économistes à publier des articles d'opinion dans les journaux.

Que nous dirait-il aujourd'hui au beau milieu de cette crise? Sur la base de ses anciennes déclarations, on peut penser qu'il conseillerait toujours de regrouper les revenus du travail et du capital dans une même imposition progressive. Et surtout de faire porter le coût de la crise avant tout sur les acteurs les plus aisés afin de protéger les moins privilégiés. Tiens, c'est précisément ce qu'a dit cette semaine Philip Lane, le chef économiste de la Banque centrale européenne...

Publicité