Café, chocolat, pain...: le réchauffement climatique, une machine à faire flamber les prix
Plusieurs denrées alimentaires ont vu leur prix grimper ces derniers mois sous l'impact d'événements météorologiques extrêmes. Un phénomène qui devrait s'accentuer avec le réchauffement climatique... Et de façon durable. Votre caddie va faire la grimace: la vie bon marché et tout produit du quotidien accessible à tout moment, c'est un luxe voué à disparaître.
Il faudrait être allergique au chocolat ou vivre dans une grotte pour ne pas avoir eu vent de la flambée des prix ces derniers mois, surtout avec la période de Pâques très gourmande en la matière. La tonne de cacao a atteint le record absolu de 11.722 dollars à la Bourse de New York le 19 avril dernier. Si les contrats à terme ont depuis reculé, avec notamment une baisse notable depuis mi-juin, ils sont toujours en hausse de 85% depuis le début de l'année.
Même constat pour le café, dont les prix de la variété robusta ont atteint en avril leur plus haut niveau en 45 ans, pour l’huile d’olive, dont le prix a doublé depuis trois ans, ou encore le sucre - qui s’échangeait l’an dernier aux prix les plus élevés depuis 2011 à l’échelle mondiale - et le riz, qui a atteint un plus haut en 2023 depuis 2008. Récemment, les prix de certaines céréales, comme le blé, le maïs et le soja, sont aussi remontés.
Derrière toutes ces hausses, on retrouve des événements climatiques extrêmes qui viennent ravager d’une façon ou d’une autre les récoltes. C'est bien souvent le manque d'humidité, la chaleur et la sécheresse qui en sont la cause, mais parfois aussi les intempéries, les inondations ou un froid exceptionnel.
"On est à la veille d'un bouleversement des filières agricoles dans le monde."
Certaines régions sont naturellement plus à risque de voir leur production impactée. Selon l’Agence européenne pour l’environnement, les impacts climatiques sur la production alimentaire devraient frapper durement l’Europe, en particulier le sud. Mais aussi une partie de l'Afrique, de l'Asie du Sud-Est et les pays du Moyen-Orient, ainsi que les régions très proches du niveau de la mer. Et puisque le bonheur des uns fait le malheur des autres, et inversement, les pays du nord de l'Europe pourraient, eux, "profiter" du réchauffement climatique pour cultiver de nouvelles espèces. C'est notamment le cas de la viticulture, qui est en train d'exploser dans nos contrées.
Le réchauffement climatique, un accélérateur de risques
Mauvaise nouvelle: ces épisodes devraient s'accélérer et se prolonger à l'avenir avec le réchauffement climatique. "En termes de production agricole, il est clair que les 50 années qui viennent vont avoir comme caractéristique une volatilité des prix beaucoup plus grande", indique Thierry Pouch, économiste et membre de l'Académie d'Agriculture de France. "Le climat va être une variable décisive, on est à la veille d'un bouleversement des filières agricoles dans le monde."
À tel point que les délocalisations des industries agroalimentaires "commencent à s'accélérer du fait du réchauffement climatique", note l'économiste. "Il s'agit d'un problème difficile à identifier dans les enquêtes sur les délocalisations, mais si vous prenez le cas du secteur de l'élevage, par exemple, de l'élevage laitier en particulier, la sécheresse à répétition pourrait compromettre l'approvisionnement en fourrage et la pousse de l'herbe, ce qui fait que la production de lait de vache pourrait être ou ralentie ou compromise."
Un phénomène qui pourrait inciter les entreprises agroalimentaires spécialisées dans les produits laitiers à aller s'implanter dans des pays moins exposés aux risques climatiques. Il cite l'Irlande et l'exemple du géant Lactalis, parti s'établir en Pologne. "Les entreprises de produits laitiers, fromages, crèmes, desserts lactés, etc., pourraient ainsi s'implanter ailleurs. Mais on se demande s'il n'y a pas à la fois une recherche d'un prix du lait qui soit plus favorable, avec l'anticipation des risques climatiques."
Outre les produits laitiers, l'huile d'olive risque aussi de changer de terre d'origine. "Les prévisions montrent qu'un pays comme la Tunisie, peut-être même l'Espagne, pourrait être concerné par le réchauffement climatique au point que les oliviers seraient de moins en moins productifs", indique Thierry Pouch. "Un collègue de Météo France disait que la Tunisie pourrait carrément perdre ses champs d'oliviers. Et donc, tous les intermédiaires pourraient suivre les producteurs. Ce serait catastrophique pour ces pays-là, au niveau des investissements, de l'emploi, et de l'usage des terres."
"Tous ces produits-là qui sont en hausse, au final, on ne verra peut-être pas vraiment une baisse dans les prochains mois."
Bouleversement des chaînes d'approvisionnement
Ce marasme entraîne des perturbations tout au long de la chaîne d'approvisionnement, nous l'avons d'ailleurs déjà vu avec quelques exemples plus ou moins récents. L'an dernier, c'est ainsi la culture de la pomme de terre qui en a fait les frais, entraînant une augmentation du cours sur le marché et impactant des acteurs comme le géant McCain. De la même façon, McDonald's a décidé de retirer les tomates de ses offres en Inde en raison de l'explosion des prix.
Thierry Pouch explique constater une sorte de cercle vicieux de hausse des prix. "Prenons l'exemple d'une entreprise de transformation. Que ce soit pour produire de la farine à partir du blé ou pour fabriquer des produits de boulangerie de base, si cette entreprise doit s'implanter beaucoup plus au nord alors que les besoins restent importants au sud, cela entraînera des coûts de transport supplémentaires ainsi que des problèmes logistiques liés au transport. Cela complique la situation de manière significative", souligne-t-il.
De plus, si l'on parle de délocalisation d'entreprises vers le nord de l'Europe, il faut prendre en compte que la main-d'œuvre y est généralement plus coûteuse. "Cela aurait également un impact sur le prix final pour le consommateur", confirme-t-il.
S'ajoute à leur peine la précarité du secteur agricole, comme l'ont montré les manifestations des agriculteurs en Europe ces derniers mois. "Ils sont confrontés à un problème majeur lié à la hausse des prix des matières premières, ce qui joue négativement sur la demande et restreint l'activité", note Philippe Burny, ingénieur agronome chercheur au Centre wallon de Recherches Agronomiques (CRA-W) et professeur à la faculté de Gembloux Agro-Bio Tech. "Cela dépasse les enjeux du réchauffement climatique. Les marges dans l'industrie agro-alimentaire et la grande distribution sont faibles, et les intermédiaires ne peuvent pas absorber ces augmentations de coûts, d'où une hausse notable des prix pour les consommateurs."
"Les PME ne savent pas tenir, parce qu'elles ne savent pas toutes acheter à terme, cela demande des capacités financières."
Une hausse qui ne s'inverserait pas de sitôt, prévient-il. "Souvent, les intermédiaires adaptent leurs prix à la hausse. Le jour où le prix de la matière première baisse, parfois très fortement, vous ne voyez donc pas vraiment le prix des produits qui suit. Au plus fort de la crise liée à la guerre en Ukraine, on a eu des prix du froment à 400 euros la tonne, contre 150 euros aujourd'hui, mais vous n’avez pas vu le prix du pain baisser. Donc tous ces produits-là qui sont en hausse, au final, on ne verra peut-être pas vraiment une baisse dans les prochains mois. Ça risque d’être une mauvaise nouvelle à long terme pour le consommateur", prévient-il.
Un impact sur les petites et moyennes entreprises
Pour Pierre-Alexandre Billiet, économiste et CEO de Gondola, ce sont surtout les PME dans la chaîne d'approvisionnement qui risquent d'accuser le coup face à la forte volatilité des prix. "Elles ne savent pas tenir, parce qu'elles ne savent pas toutes acheter à terme, cela demande des capacités financières."
Aujourd'hui, il est largement constaté que les marchés financiers influencent les marchés physiques, agissant directement sur le prix à la consommation de certains produits. "Cela mène à de fortes tensions au sein de la grande distribution et des PME qui produisent des produits à base de chocolat, de café et autres", explique-t-il.
"Les grandes entreprises parviennent à survivre, car elles ont les moyens de financer des périodes de un à deux ans, se répartissant sur plusieurs exercices. En revanche, les petites entreprises ont besoin de se protéger pour financer leurs opérations et n'ont pas toujours les ressources nécessaires pour refinancer un nouveau cycle. C'est ainsi que se manifeste l'effet de consolidation (des grands acteurs) sur le marché", ajoute-t-il.
De quoi mettre en péril la survie de ces PME à l'avenir? Pour le CEO de Gondola, ce sont surtout les petites entreprises qui ont la même offre de produits que les grandes qui seront touchées.
Outre ces PME, les marques de distributeurs sont particulièrement sensibles aux prix des matières premières. "Elles ont très peu de frais de marketing et de branding. Évidemment, ce ne sont pas des marques qui peuvent se permettre d'épargner. Elles sont donc directement affectées par les variations de prix des matières premières", explique Pierre-Alexandre Billiet. Après avoir longtemps maintenu les prix des marques de distributeurs très bas, la grande distribution est désormais à la croisée des chemins.
"Pour une qualité similaire, les prix des marques de distributeurs vont devoir augmenter, ce qui se produira pour une grande partie d'entre elles. Sinon, et c'est là que l'aspect économique entre en jeu, la qualité de certains produits pourrait diminuer", explique notre expert. Un phénomène désormais bien connu sous le nom de "shrinkflation", qui consiste à réduire la quantité ou la qualité des ingrédients dans les produits.
Disponibilité des produits agricoles
On l'a vu, le réchauffement climatique impacte directement la capacité de production des agriculteurs dans le monde, ce qui fait monter les prix. On se plaint haut et fort de cette inflation de certains produits de base... Mais qu'adviendra-t-il quand ils ne seront tout simplement plus disponibles? "Plus fondamentalement, la qualité et la stabilité de la production sont en jeu. Nous avons toujours été habitués à des rayons bien remplis dans les supermarchés. Cela pourrait sérieusement changer", prévient Pierre-Alexandre Billiet. Le café et les produits à base de sucre, entre autres, pourraient ne plus être si facilement trouvables en magasin, ou uniquement lors de certaines saisons. "Les saisons, c'est quelque chose qu'on a oublié", note le CEO de Gondola.
"L'impact peut arriver assez vite et être très important", poursuit-il. "Ce qui est primordial, c'est la disponibilité des produits agricoles. Cette disponibilité va être imposée, et on commence déjà à en voir les effets. Cela représente une véritable révolution qui se dessine dans le secteur agroalimentaire, impactant toute la chaîne, de la production à la consommation. Si le secteur ne sait pas se refinancer, ce sont des pans entiers de l'économie qui peuvent disparaître de manière durable. Et ça, ça semble totalement incompréhensible pour le consommateur depuis les années 80." Les produits bas, la surproductivité et la surconsommation... Nos petites habitudes vont être bousculées.
Selon lui, c'est surtout le secteur de la grande distribution qui pourrait être affecté, alors qu'il s'agit du deuxième employeur du pays. Et avec la moindre disponibilité de certains produits agricoles, les rapports de force dans la chaîne de production pourraient basculer. "Le plus grand acteur en matière de négociation, aujourd'hui, c'est la grande distribution, c'est elle qui décide si elle achète ou non les produits. Celui qui a le moins de pouvoir, c'est l'agriculteur. Cela risque de changer. L'agriculteur pourrait augmenter son pouvoir de négociation dans la prochaine décennie."
"Aujourd'hui, nous pêchons des crevettes dans la mer du Nord, les envoyons en Afrique du Nord ou même en Thaïlande pour être décortiquées, puis les renvoyons pour être conditionnées avant de les revendre en Belgique. Ce genre de pratiques deviendra insoutenable."
Diversifier et reconsommer localement
Pour réduire les risques liés à l'instabilité climatique, les entreprises des secteurs agricoles et alimentaires auront tout intérêt à réorganiser leurs chaînes d'approvisionnement. Ce qui va à l'encontre de la politique d'exploitation actuelle, où la production de nombreuses matières premières, comme le café et le cacao, est concentrée dans des régions spécifiques.
"80% du cacao provient de la Côte d'Ivoire et du Ghana," note Pierre-Alexander Billiet. "La Turquie produit environ 40% des noisettes mondiales, mais la situation géopolitique instable du pays peut menacer cette production. Cette concentration, bien qu'efficace, crée une vulnérabilité. Si une région comme le Ghana ou la Côte d'Ivoire devient instable, climatiquement ou géopolitiquement, cela pèsera directement sur la disponibilité et le prix du cacao," explique l'expert.
La solution à long terme réside dans la résilience, c'est-à-dire la diversification des sources d'approvisionnement pour éparpiller les risques. Ce qui devrait favoriser le retour à une consommation plus locale, souligne le CEO de Gondola. "On va sourcer de tellement de pays au monde qu’à un certain moment, avec les coûts du transport, ça ne vaudra plus la peine, à l'inverse de ce qu'on fait aujourd’hui."
Un exemple assez parlant de la situation actuelle est celui des crevettes belges. "Aujourd'hui, nous pêchons des crevettes dans la mer du Nord, les envoyons en Afrique du Nord ou même en Thaïlande pour être décortiquées, puis les renvoyons pour être conditionnées avant de les revendre en Belgique," explique l'expert. "Ce genre de pratiques deviendra insoutenable à l'avenir, non pas par conviction, mais par nécessité économique."
Une transition vers une diversification des sources de production est donc en cours, mais elle est lente. "Il faut entre 10 et 20 ans pour qu'une nouvelle production agricole soit pleinement exploitable," souligne l'expert. Cette diversification pourrait en outre réduire les investissements dans les pays actuellement spécialisés dans une seule culture, affectant ainsi leur économie et leurs entreprises nationales.
De leur côté, certaines multinationales pourraient être tentées d'augmenter leur participation dans les petites entreprises locales pour continuer à offrir leurs produits. "Si vous êtes un grand acteur et que vous avez un 'price point', c'est-à-dire un prix auquel la demande pour un produit donné reste élevée, vous chercherez à monter en volume pour garder ce 'price point', et donc continuez à faire des acquisitions", explique Pierre-Alexandre Billiet. "Cela mènera à une concentration encore plus élevée des multinationales, qui vont chercher à augmenter leur pouvoir de négociation et pourraient même imposer certaines hausses de prix." Encore le même refrain...
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