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analyse

Les comptes d'apothicaires de la COP16 pour enrayer l'extinction du vivant

Un homme passe devant le logo de la conférence COP16 au Pacific Event Center de Yumbo, près de Cali, Colombie, le 17 octobre. ©AFP

Deux ans après l'adoption du cadre mondial pour restaurer la biodiversité, le financement sera au cœur des négociations de la COP16, qui s'ouvre ce lundi à Cali.

Après s’être accordés sur un cadre mondial visant à mettre un terme à la 6ᵉ extinction de masse du vivant, les négociateurs de la Convention des Nations unies sur la biodiversité se retrouvent à Cali ce lundi, pour quinze jours, à l’occasion de leur grande réunion biannuelle (COP16). Quelque 12.000 participants sont attendus dans la ville colombienne, dont plusieurs chefs d'États.

En 2022, la COP15 s'était clôturée à Montréal avec l'adoption d'un texte historique: le Cadre mondial de la biodiversité, qui est à la biodiversité ce que l'accord de Paris est au climat. Il constatait, avec la plate-forme scientifique internationale Ipbes (équivalent du Giec), que le taux mondial d'extinction des espèces est déjà "dix à cent fois plus élevé que la moyenne des dix derniers millions d'années", et il continuera de s'accélérer si l'humanité n'entreprend pas un changement transformateur.

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Un million d'espèces environ sont menacées d'extinction par un cocktail de facteurs liés au développement humain: changement d'affectation des terres (agriculture, urbanisation...), surexploitation des ressources naturelles (pêche, forêts...), dérèglement climatique, pollutions et introduction d’espèces exotiques envahissantes.

À l'échelle mondiale, la situation s'est encore détériorée depuis la COP15, selon le dernier rapport "Planète vivante" du Fonds mondial pour la nature (WWF) : au cours des 50 dernières années, la taille moyenne des populations d'animaux sauvages vertébrés a décliné de 73%, alors que ce déclin était évalué à 68% en 2022.

"Qu’une trentaine d’États aient présenté des plans nationaux, sur 196 signataires de la Convention, n’est pas très encourageant."

Juan Felipe Duque
Chercheur à l'UCLouvain

Une lente mise en œuvre

Pour tenter d'enrayer cette catastrophe, le "Cadre mondial" instaure 23 objectifs précis ("cibles"), dont celui de placer sous un régime de protection juridique 30% des terres et des mers de la planète d'ici à 2030. Comme pour le climat, les États sont censés élaborer des plans nationaux, de sorte que la somme de leurs efforts permette de réaliser les grands objectifs mondiaux. Mais ce travail patine: seuls 29 pays ont respecté l'engagement d’adopter avant la COP16 une stratégie nationale pour la biodiversité en phase avec le nouveau cadre – la Belgique n’est pas du nombre.  

"Qu’une trentaine d’États aient présenté des plans nationaux, sur 196 signataires de la Convention, n’est pas très encourageant. Il y a un enjeu pratique : la traduction des objectifs globaux au niveau national peut être difficile, mais c’est aussi une excuse très efficace pour se dédouaner", observe Juan Felipe Duque, chercheur à l’UCLouvain.

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"Les pays développés ont augmenté leurs contributions, mais les pays en développement nous disent que ce n’est pas suffisant, qu’ils font face à des besoins urgents."

Salima Kempenaer
Négociatrice belge, SPF Santé publique

La bataille du financement

Respecter les objectifs communs nécessite des moyens, et la manière de les mobiliser est le sujet clé de cette conférence. Les pays développés se sont engagés à financer des projets en faveur de la biodiversité dans les pays en développement à hauteur de 20 milliards de dollars par an à partir de 2025 (et 30 milliards à partir de 2030).

Selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le financement de la biodiversité a progressé ces dernières années, passant de 7,3 milliards de dollars en 2015 à 15,4 milliards en 2022. "Les pays développés ont augmenté leurs contributions, mais les pays en développement nous disent que ce n’est pas suffisant, qu’ils font face à des besoins urgents", indique la négociatrice belge Salima Kempenaer, au SPF Santé publique.

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En faire plus, donc? Les négociations devraient être marquées par la demande des pays en voie de développement de créer un nouveau fonds spécifiquement dédié à la biodiversité. La discussion risque de virer au bras-de-fer, alors que l’Union européenne, notamment, ne veut pas en entendre parler. "C’est probablement le sujet le plus sensible de cette COP", poursuit Salima Kempenaer.

"Il va falloir sortir de ce débat-là pour pouvoir aborder la stratégie de mobilisation des ressources dans son ensemble."

Juliette Landry
Chercheuse à l'Iddri

Pour l'heure, une enveloppe du Fonds mondial pour l'Environnement (FEM) est dédiée à l'application du cadre biodiversité: elle a reçu environ 400 millions de dollars de promesses de dons (dont la moitié l'ont réellement alimenté). Mais les pays en développement considèrent que le FEM n’est pas adapté, notamment parce qu’il pose des difficultés d’accès pour les pays qui ont peu de ressources pour le solliciter.

"Il va falloir sortir de ce débat-là pour pouvoir aborder la stratégie de mobilisation des ressources dans son ensemble", souligne Juliette Landry, spécialiste de la gouvernance internationale de la biodiversité à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), les montants évoqués étant loin d’être à l’échelle des enjeux – sans même parler des milliards de subventions allouées aux activités qui contribuent à aggraver la perte de biodiversité.

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milliard de dollars
Si la contribution sur les ressources génétiques numérisées était de 0,1% du chiffre d’affaires des entreprises concernées, cela permettrait de mobiliser environ 1 milliard de dollars par an.

Une redevance pour la R&D

Une des tables de négociations concerne directement les industries qui dépendent de la recherche sur le vivant, comme la pharmacie ou les cosmétiques. Les négociateurs planchent en effet sur la manière d'assurer un partage équitable des revenus qui découlent de l'utilisation des ressources génétiques numérisées (Digital Sequence Information, DSI).

Il s'agit ici d'établir une sorte de redevance au bénéfice des pays d'où sont issus les matériaux génétiques qui se retrouvent, sous forme numérisée, dans les bases de données des chercheurs.

L’objectif, explique Kempenaer, est d’aboutir à un outil efficace, générant des recettes significatives, pour que les pays mégadivers (où la majorité des espèces végétales et animales présentes sur Terre sont représentées)  n’aient pas le sentiment de se faire piller les ressources par des entreprises très profitables sans contrepartie – on parle de "biopiraterie". Sans même parler des questions de justice et d’éthique, c’est indispensable pour éviter que ces États adoptent ou maintiennent des législations qui entravent l’accès aux ressources génétiques pour les chercheurs.

Les montants mobilisés dépendraient bien sûr du cadre choisi: si cette contribution était de 0,1% du chiffre d’affaires des entreprises concernées, cela représenterait de l’ordre de 1 milliard de dollars par an – c'est l'ordre de grandeur de ce que débourse le Fonds pour l'Environnement mondial, mobilisé tant pour la biodiversité que pour le climat.

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