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reportage

Daria, architecte ukrainienne: "Si on veut survivre, il vaut mieux avoir peur"

Daria a 31 ans, elle est architecte. Elle a quitté son appartement de Kiev le 24 février dernier. Aujourd'hui, elle travaille pour la société OOO, à Uccle. ©saskia vanderstichele

Daria est architecte, Viktoriya est basketteuse. La première a fui Kiev en urgence à la fin février, la seconde était en Bulgarie quand Poutine a lancé son offensive. Toutes les deux ont trouvé refuge en Belgique, et y travaillent aujourd'hui.

Plusieurs entreprises se sont déclarées prêtes à embaucher des Ukrainiens. Une bonne volonté qui n’est pas toujours facile à concrétiser. Mais certaines viennent de franchir le pas. Nous sommes partis à la rencontre de deux jeunes femmes qui ont pu décrocher un job, dans des secteurs bien différents: l’architecture d’intérieur, et le sport. 

Première étape à Uccle, chez OOO, un bureau d’architecture d’intérieur spécialisé en change management et design d’espaces de travail. Daria s’installe dans le petit fauteuil à côté de nous, le GSM sur ses genoux. "Si jamais j’en ai besoin, pour la traduction", nous dit-elle dans un anglais presque parfait. Daria a 31 ans, elle est architecte. Elle a quitté son appartement de Kiev le 24 février dernier, quelques heures après que Vladimir Poutine ait lancé son offensive contre l’Ukraine. Moins d’un mois plus tard, elle a commencé à travailler comme indépendante pour OOO, à deux pas du bois de la Cambre.

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Elle et Anouk van Oordt, la fondatrice et managing director de OOO, racontent comment leur chemins se sont croisés. Un chemin long de 2.000 km pour Daria. Quelques dizaines de mètres seulement pour Anouk. La directrice cherchait justement un nouveau talent pour son équipe. "Une de mes amies, Caroline, s’était inscrite sur la plateforme d’accueil des réfugiés. Elle a accueilli Daria, sa sœur et son neveu, chez elle, dans la rue Vanderkindere. Je lui ai proposé de se rencontrer." 

"On envisage déjà des projets. Elle rêve de reconstruire son pays une fois la guerre finie, mon mari voudrait pouvoir partir là-bas pour les aider."

Anouk van Oordt
Fondatrice et managing director de OOO

En deux jours, l’affaire était pliée. Anouk a zappé les étapes habituelles du recrutement. Elle a jeté un coup d’œil au book de Daria, des projets d’hôpitaux, d’écoles, d’hôtels, de bureaux, elle a été conquise. "Elle est très douée, elle fait de belles choses. Même s’il n’y avait pas eu de poste à pourvoir, je l’aurais prise, dit Anouk. On envisage déjà des projets. Elle rêve de reconstruire son pays une fois la guerre finie. Mon mari, architecte lui aussi, voudrait pouvoir partir là-bas pour les aider. Nos chemins se sont croisés, je ne sais pas pour combien de temps, mais elle restera dans nos vies à jamais."

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La jeune femme a commencé lundi dernier dans ses nouveaux bureaux. De nombreuses formalités doivent encore être bouclées, OOO travaille avec des indépendants, Anouk et son mari vont aider la jeune femme à s’inscrire à la Smart, et comptent se battre pour que tout soit rapidement en ordre pour elle.

Il y a un mois à peine, Daria se cachait encore dans la cave de l’immeuble de sa sœur, à Kiev. Dans le récit de son périple, elle n’omet aucun des détails qui ont bâti son exil. Les yeux s’humidifient parfois, mais Daria est forte, elle poursuit inlassablement son histoire, droite comme un I, tapotant sur son gsm quand les mots manquent, pointant du doigt sur la carte de l’Ukraine les lieux qu’elle a traversés, les villes où sont restés ses amis, ses parents bloqués en Crimée, son beau-frère Max resté à Loutsk, près de la frontière polonaise. Chaque jour, elle prend de leurs nouvelles.

Fuir pour survivre

Le 24 février, à 4h du matin, elle comprend qu'elle doit fuir son appartement. Les sirènes d’alerte résonnent dans la nuit, comme les pas de son voisin qui s’affole dans l’appartement d’à côté.  Son sac est déjà prêt. Elle coupe le gaz, l’eau, enfile deux jeans l’un au-dessus de l’autre, des pulls pour se précipiter chez sa sœur. Depuis deux semaines, Daria avait suivi les conseils de Nastya. Se préparer au pire. Regarder des vidéos de l’armée pour apprendre à survivre dans la forêt. Prévoir de la nourriture lyophilisée, des lampes de poche, des piles, des grosses chaussures, son ordinateur et ses documents, l’essence de sa vie: diplômes, papiers d’identité, acte de propriété de son appartement. "Je n’y croyais pas, je ne comprenais pas comment il était possible de vivre une guerre en 2022, comme en 40. Je me disais que c’était fou, je me demandais 'qu’est-ce que je fais là'."

"Ma sœur était un peu parano, mais du coup, elle était hyper préparée. Si on veut survivre, il vaut mieux avoir peur."

Daria
Architecte ukrainienne

Elle raconte le séjour de deux jours dans la cave de sa sœur dans la banlieue de Kiev, entassés à cinq sur le sol bétonné, la bassine pour les besoins, la fenêtre qui ne les rassurait pas, les escaliers qu’ils gravissaient leur sac sur le dos pour aller à chercher à manger, n’étant pas sûr de pouvoir redescendre. On ne sait jamais, une bombe.  Puis, la décision de partir, d’abord vers Loutsk, là où des amis pouvaient les accueillir.  Les bidons d’essence entassés dans la voiture, les bouchons pour sortir de Kiev, les 13 heures de route au milieu de la longue colonne d’Ukrainiens en exil. "Ma sœur était un peu parano, mais du coup, elle était hyper préparée. Si on veut survivre, il vaut mieux avoir peur."

Organiser le futur

Réalisant, à Loutsk, que la guerre ne se terminerait pas de sitôt, les deux soeurs partent en quête de sécurité, d’abord de l’autre côté de la frontière polonaise, à Lublin, puis à Bruxelles, où Daria a la chance d’avoir ses amis Tanja et Michael. Après avoir passé quelques jours dans leur appartement, Daria, Nastya et le petit Dima ont déménagé chez Caroline, qui leur a ouvert les portes de sa maison uccloise. Daria s’est mise à organiser le futur proche. Trouver un job, un logement à soi, une école pour Dima. Le futur lointain, elle est incapable de s’y projeter.

"Il faut tout faire pour stopper cette guerre. Tout faire pour stopper le diable."

Daria

"On veut retourner en Ukraine, c’est notre maison. Poutine a fait une grosse erreur de penser que l’Ukraine n’est pas une nation à part entière. Il est fou, j’espère que les Russes dépasseront leur peur et finiront par l’arrêter. On ne peut pas vivre éternellement avec un gouvernement qui détruit tout et prive les gens de liberté. Si on n’arrête pas Poutine, rien ne l’arrêtera. Il faut tout faire pour arrêter cette guerre. Tout faire pour arrêter le diable. Les crimes doivent être punis, sinon le monde ne pourra plus jamais tourner. Comment expliquera-t-on cette impunité à nos enfants? C’est impossible."

Chez Daria, on sent une colère qui couve, et beaucoup de douleur. "Je souffre de ne pas pouvoir retourner dans mon pays", confie-t-elle, ses yeux gris brillant de larmes contenues. "Je ne sais pas si je reverrai un jour mes parents. La seule chose que je sais, c’est que je dois rester forte, pour m’occuper de ma sœur et mon neveu. Vivre au jour le jour. Quant à l’avenir…"

Après Uccle, Braine-l'Alleud

Nous quittons Daria pour notre deuxième étape, qui nous mène à Braine-l’Alleud. Une histoire bien différente… Au bord du terrain de la salle du centre sportif Gaston Reiff, nous attendons Viktoriya Balaban, basketteuse professionnelle au Prometey Club, basé à Kamianske, une ville du centre de l’Ukraine. Viktoriya était en Bulgarie quand Poutine a lancé son offensive. Impossible de rentrer au pays. Les responsables des Castors Braine ont été contactés par son agent. Le club avait déjà dans ses rangs une autre Ukrainienne, Valeriya, engagée en 2021. "Nous avons fait la demande pour qu’elle puisse rentrer en Belgique et avoir un contrat d’un an. La fédération a donné son accord, et elle a pu venir directement en Belgique", nous dit le président du club, Jacques Platieau.

 "Viktoria a déjà joué son premier match mercredi, contre Lummen. Avec comme cadeau de bienvenue, une légère blessure, qui ne lui fait pas perdre le sourire pour autant. Ce samedi, elle et les Castors affronteront Namur. "
"Viktoria a déjà joué son premier match mercredi, contre Lummen. Avec comme cadeau de bienvenue, une légère blessure, qui ne lui fait pas perdre le sourire pour autant. Ce samedi, elle et les Castors affronteront Namur. " ©saskia vanderstichele

Sa team manager, Kathleen Schuurmans, nous raconte les heures passées à faire la file au Heysel pour lui obtenir ses papiers et le soulagement quand, dans l'après-midi du 11 mars, elle reçoit enfin son sésame. Des papiers, un travail et un logement mis à sa disposition par le club, il n'en fallait pas plus pour que Viktoriya se sente un peu plus en sécurité. Qui plus est, le jour de ses 25 ans. "Elle est accueillie comme si elle était chez nous, et cela lui permet de travailler et gagner de l’argent", nous dit le président des Castors, fier que son club, dont le maillot est bleu et jaune (tiens... comme le drapeau de l'Ukraine), puisse jouer son rôle social.

"Dès que l'entraînement est terminé, son visage change, elle se replonge dans l'actualité."

Kathleen Schuurmans
Team manager des Castors Braine

Ce vendredi après-midi, alors que nous la rencontrons brièvement avant son entraînement, Google translate sera notre allié. Le ballon, explique-t-elle, c'est ce qui l'aide à tenir face à son exil. Pendant qu'elle fait rebondir la balle sur le terrain, elle ne pense pas à la guerre. "Mais dès que l'entraînement est terminé, son visage change, elle se replonge dans l'actualité", nous dit Kathleen.

Pour Viktoriya, le déracinement est d'autant plus fort que la jeune femme ne parle pas un mot de français, ni d'anglais. Sa compatriote Valeriya lui sert d'interprète, mais aussi d'amie proche. La seule qui lui reste, hors de l'écran de son gsm. La famille de Viktoriya et ses amis sont toujours en Ukraine. Seule sa mère est en sécurité en Pologne, son père et ses sœurs sont restés dans la région d'Odessa. Quant à son mari, basketteur professionnel lui aussi, il a pu bénéficier d'une dérogation en tant qu'athlète. Pas de combat contre les Russes pour lui. Le couple vient de passer deux jours ensemble, mais la séparation est déjà là. Le basketteur repart en Lituanie travailler comme entraîneur.

Devant ces obstacles, la timide Viktoriya garde le sourire. On lui demande si elle se sent en colère contre Poutine, elle hoche frénétiquement de la tête, martelant des "yes, oh yesss!" Mais avec le sourire. La jeune femme est heureuse d'être en sûreté, entourée par l'équipe même en dehors du terrain. Elle salue la bienveillance des Belges, mais elle ne le cache pas, elle n'attend qu'une chose, retourner au plus vite au pays. Rejouer avec ses coéquipières, faire à nouveau gagner Prometey.

Le résumé
  • Si beaucoup d'entreprises se disent intéressées à l'idée d'engager des réfugiés venus d'Ukraine, le cap n'est pas encore franchi.
  • Ici et là, des collaborations se sont pourtant déjà nouées.
  • Nous avons rencontré Daria, architecte, et Viktoriya, basketteuse. Elles sont arrivées en Belgique début mars.
  • Daria travaille comme indépendante chez OOO, Viktoriya a fait l'objet d'un transfert aux Castors de Braine-l'Alleud.

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