Josep Borrell: "Nous avons les preuves que la Russie manipule l'information en Europe"
L'UE a dévoilé son premier rapport sur la manipulation de l'information et les tentatives d'ingérences étrangères en Europe. La Russie est à l'origine de la plupart de ces campagnes de désinformation.
Sur la couverture du numéro spécial de Charlie Hebdo publié le 22 octobre 2022, la ville de Kiev est plongée dans le noir. Dans un phylactère, une voix dit: "Et voilà, on a basculé du côté obscur". Ces jours-là, des tirs de missiles et de drones russes s'abattaient sur la capitale ukrainienne, tuant des habitants et plongeant des millions de gens dans le noir et le froid. Pour quelle raison obscure le magazine satirique français se moquait-il des victimes ukrainiennes?
La réponse est connue aujourd'hui. Ce numéro spécial était un faux diffusé par le Kremlin sur les réseaux sociaux, partagé par des faux comptes Facebook et Twitter, puis par des vrais utilisateurs abusés par cette propagande. Charlie Hebdo n'est pas le seul à avoir été imité. Ce fut aussi le cas de ses confrères allemand "Titanic" et espagnol "El Jueves", lors de numéros créés de toutes pièces pour attaquer Zelensky.
"La Russie a investi massivement et de manière industrielle dans la désinformation, et cette désinformation tue."
Cette manipulation fait partie des techniques de désinformation de plus en plus perfectionnées dirigées par la Russie contre l'Europe depuis le début de la guerre en Ukraine. Faux sites web, faux médias... Ces manipulations sont détaillées dans le premier rapport sur la manipulation de l'information et les menaces d'interférence étrangères, publié ce mardi par la Commission européenne.
"Nous avons les preuves que la Russie manipule l'information en Europe dans nos sphères publiques", a dénoncé mardi le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, en brandissant ce rapport de 35 pages lors d'une conférence sur la désinformation réunissant experts, psychologues et autorités européennes.
"La Russie a investi massivement et de manière industrielle dans la désinformation, et cette désinformation tue", a-t-il ajouté, "la Russie n'utilise pas que des balles et des bombes dans la guerre en Ukraine", mais aussi "des manipulations et des interférences pour conquérir le cerveau des gens". En un an, selon lui, la Russie a créé et diffusé plus de 15.000 articles et vidéos de désinformation.
L'UE a aussi lancé, mardi, un centre européen de partage et d'analyse de l'information chargé de traquer les campagnes de désinformation.
Imitation de médias européens
Dans ce rapport, les chercheurs de Stratcom, une unité s'attaquant à la désinformation, analysent une centaine de cas de manipulation de l'information survenus entre octobre et décembre 2022.
Pas moins de 60 de ces incidents visent à soutenir l'invasion russe en Ukraine, la moitié attaquent directement les responsables ukrainiens. Ils ont lieu dans 30 langues, dont 16 proviennent de l'UE. Les messages utilisent le plus souvent des images et des vidéos.
"Le message le plus fréquent est: 'la Russie se défend en Ukraine contre une attaque de l'Ouest'."
La technique la plus sophistiquée, et la plus récente, est l'imitation de médias écrits et audiovisuels. Par exemple, un reportage imitant la chaîne Al Jazeera affirme que des supporters ukrainiens ont été détenus à Doha après avoir adopté des comportements nazis lors de la coupe du monde de football.
Un autre reportage, copiant Euronews, prétend qu'une maison de ventes aux enchères allemande a détruit des œuvres d'art russes.
Les services russes imitent aussi des organismes réputés. Une vidéo largement répandue sur les réseaux sociaux, soi-disant commentée par un membre du très sérieux Collège de sécurité et de défense européen, liste les désavantages d'une adhésion de l'Ukraine à l'Otan.
Détourner l'attention
Les techniques utilisées par la Russie, dans les cas étudiés, visent avant tout à détourner l'attention (42%) d'une situation, comme la guerre en Ukraine, vers un autre auteur ou une autre narration. Dans d'autres cas, Moscou cherche à déformer la réalité (35%).
"Le message le plus fréquent est: 'la Russie se défend en Ukraine contre une attaque de l'Ouest'", dit Josep Borrell, "mais c'est faux, c'est la Russie qui bombarde l'Ukraine et sa population".
Les canaux diplomatiques sont de plus en plus utilisés pour la désinformation informations, constate le rapport. Par ailleurs, la Chine est impliquée dans des 17 cas de désinformation sur les 100 analysés. Dans cinq cas, Pékin et Moscou ont collaboré.
D'autres cas de désinformation sont disponibles sur le site euvsdisinfo.
- L'UE a diffusé mardi son premier rapport sur les manipulations de l'information et les menaces d'interférences étrangères. Sur une centaine de cas étudiés, la Russie apparaît comme le principal propagateur désinformation en Europe, ce qui constitue une menace pour la démocratie.
- Le Kremlin recourt, de plus en plus, à l'imitation de médias, comme Charlie Hebdo et Euronews, pour diffuser ses fausses informations.
- Dans la plupart des cas, Moscou cherche à détourner l'attention ou à tordre la réalité, son premier message étant que "la Russie se défend contre une attaque de l'Ouest".
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