La guerre en Ukraine questionne la résilience de notre économie
Il y a un an, la Commission dévoilait son concept d'"autonomie stratégique ouverte", reflet de la volonté de l'UE de tracer sa propre route sur la scène mondiale. Les tensions avec la Russie nous invitent à donner corps à ce concept resté creux.
La guerre en Ukraine a mis le feu aux poudres et au prix de l’énergie. Le pétrole et le gaz dont le coût avait augmenté avant l’invasion russe se sont envolés plus encore depuis le 24 février. Beaucoup d’experts redoutent les retombées pour le portefeuille des ménages et pour la marge de profits de nos entreprises déjà sérieusement ébranlés par deux années de pandémie. La rupture de l’approvisionnement en blé et la hausse du prix plongeront dans de grandes difficultés des millions de personnes du pourtour méditerranéen (Maroc, Egypte) jusqu’en Thailande et en Indonésie même. Cela pourrait d’ailleurs donner lieu à des troubles sociaux et politiques comme lors des émeutes de la faim en 2008.
Mais, en coupant pour une période indéterminée la Russie et l’Ukraine de l’économie mondialisée, la guerre et les sanctions qui en découlent mettent à mal beaucoup plus de secteurs et ce que l’on appelle les chaînes de valeurs mondiales. Par ce terme, on désigne le maillage de toutes les activités nécessaires depuis l’extraction des matières premières jusqu’à la vente aux consommateurs. L’OCDE, le G7, l’OMC et le Forum de Davos s’étaient déjà inquiétés de leur fragilisation consécutive à la pandémie qui avait provoqué fermetures d’entreprise et d’infrastructures de transport et logistiques et ralentissements dans la production et l’acheminement des marchandises.
Matières premières critiques
Or, la Russie est l’un des principaux producteurs mondiaux ou fournisseurs à l’UE de matières premières identifiées comme critiques par l’UE en 2020.
La Russie produit aussi une grande partie du scandium nécessaire à la production de piles à combustible, un enjeu stratégique pour le futur.
C’est notamment le cas du lithium (4% des importations européennes) qui intervient dans la production de batteries essentielles pour les véhicules électriques notamment, de verre et céramiques, mais aussi d’acier et d’aluminium. La part de marché de la Russie dans nos importations grimpe à 20% pour le phosphate naturel, extrêmement important pour les engrais utilisés dans l’agriculture conventionnelle.
Outre son rôle de fournisseur majeur, la Russie est l’un des principaux producteurs mondiaux d’autres matières. Le charbon à coke (4% de la production mondiale) est utilisé pour produire de l'acier; le germanium (5%) pour des équipements électroniques et des plastiques; les platinoïdes (40 %!) dans le secteur de la chimie et des transports routiers. La Russie produit aussi une grande partie du scandium (26 % et l’Ukraine 7%) nécessaire à la production de piles à combustibles — un enjeu stratégique pour le futur — et les alliages légers. Quant au titane et au vanadium, on se situe autour de 20% pour ces matières cruciales pour le secteur aéronautique et aérospatial, y compris la défense ainsi que les équipements médicaux. L’antimoine (4%) est, lui, employé comme retardeur de flammes, le hafnium (3 %) dans les réacteurs nucléaires.
S’il est beaucoup question des semi-conducteurs depuis 2 ans au point que la Commission a présenté un European Chips Act en février, on parle essentiellement de Taïwan en raison de sa capacité de production hyperspécialisée. Mais, sans gallium, il n’est pas possible d’en produire. Comme souvent, la Chine en est le principal producteur (80%); d’où l’importance de l’Ukraine qui détient 5 % de parts de marché. Le gallium est aussi critique pour la transition énergétique (panneaux photovoltaïques) ou la production de LED.
Cela nécessiterait de soumettre les secteurs européens à des stress tests afin d’évaluer leur résistance à des chocs et leur dépendance au reste du monde.
Il y a tout juste un an, la Commission européenne levait le voile sur sa nouvelle stratégie en matière de commerce international en mettant en avant le concept de «autonomie stratégique ouverte». Les tensions avec la Russie nous invitent à donner corps à ce concept resté creux.
Relocalisation et stress tests
Cela nécessiterait de soumettre les secteurs européens à des stress tests afin d’évaluer leur résistance à des chocs et leur dépendance au reste du monde. Outre une réflexion prospective sur la diversification de notre approvisionnement et la substituabilité des inputs critiques, cela devrait également nous interroger sur la relocalisation d’activités en Europe même ou dans les pays voisins, éventuellement à la constitution de stocks stratégiques.
Il faut aussi accélérer la mise en œuvre des principes de l’économie circulaire dont l’écoconception. Des matériaux susmentionnés et pour lesquels nous présentons une vulnérabilité à l’égard de la Russie, les taux de recyclage des métaux mis au rebut ne dépassent pas 1 % (sauf pour l’antimoine dont le taux de recyclage est légèrement supérieur).
Si l’UE persiste à pratiquer la politique de l’autruche, le gouvernement belge ou le parlement fédéral pourraient demander au Bureau fédéral du Plan, à la Banque nationale de Belgique et aux partenaires sociaux de se pencher sur ces questions dans les meilleurs délais.
Saskia Bricmont
Députée européenne Ecolo
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