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interview

Le colonel Roger Housen sur la guerre en Ukraine: "Dans le meilleur des cas, on va vers un conflit gelé"

Roger Housen, spécialiste des questions de défense : "Kiev tente en ce moment de couper les voies d’approvisionnement de l'armée russe."

Le colonel Roger Housen ne voit pas comment l'Ukraine pourra, à brève échéance, percer la défense russe pour faire basculer le front.

La contre-offensive ukrainienne semble marquer le pas. Les lignes de défense russes s'avèrent pour l’instant infranchissables et les réserves en matériel militaire fourni par les alliés de l’Ukraine fondent rapidement. Le colonel Roger Housen, spécialiste des questions de défense, ne se montre pas très optimiste pour la suite des événements. "Aucun des deux camps n’est en mesure de remporter une victoire décisive en 2023 ou en 2024", prédit-il.

Les attaques lancées à l’aide de drones navals contre des navires russes en mer Noire font-elles partie d’une nouvelle stratégie des Ukrainiens?

Ces attaques ont un double objectif. D’une part, elles cadrent avec la volonté des Ukrainiens de réduire systématiquement le potentiel militaire russe. Sur le champ de bataille, les deux armées n’enregistrent que des gains marginaux. D’où l’intérêt pour Kiev de tenter de couper les voies d’approvisionnement vers le front, qu’il s’agisse des munitions, du carburant, des pièces de rechange, voire même de la nourriture.

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Quel est l’effet escompté des attaques de drones sur Moscou?

C’est à mettre en rapport avec la récente déclaration de Volodymyr Zelensky, affirmant vouloir porter la guerre en Russie. L’objectif premier est politique: infliger du stress auprès de l’opinion russe et essayer de déstabiliser le pouvoir au Kremlin. Depuis le début de la guerre, la Russie dispose d’un avantage stratégique asymétrique, car elle peut frapper en permanence chaque mètre carré du territoire ukrainien. Or l’inverse n’est pas vrai. La Russie est trop étendue et l’Occident a imposé des restrictions aux Ukrainiens. Les Américains en particulier ont demandé aux Ukrainiens de s’abstenir de taper en profondeur sur le territoire de la Russie pour éviter l’escalade. Les Ukrainiens ont dès lors décidé de porter le conflit en Russie en s’appuyant sur leurs propres moyens, en adaptant certains de leurs missiles et en utilisant leurs propres drones.

"Les Ukrainiens ont décidé de porter le conflit en Russie en s’appuyant sur leurs propres moyens."

Colonel Roger Housen
Spécialiste des questions de défense

Qu’en pensent les alliés occidentaux?

C’est un sujet de tension entre Kiev et ses alliés. Dans une opinion publiée le 31 mai dernier dans le New York Times, le président Biden a fixé quatre lignes rouges: pas de soldats occidentaux sur le sol ukrainien, limiter le conflit au territoire ukrainien, pas d’armes occidentales sur le territoire russe, pas de volonté de provoquer un changement de régime au Kremlin. Chaque fois qu’une de ces lignes rouges a été franchie, Washington n’a pas manqué de faire part de sa désapprobation. C’est pourquoi Kiev refuse d’admettre officiellement être derrière les attaques de drones sur Moscou.

L’Ukraine est-elle toujours en train de tester les endroits du front où elle pourrait percer les lignes russes?

Les militaires ukrainiens se sont rendus compte qu’il serait très difficile de percer les lignes russes avec des unités mécanisées. Lors de la première semaine de la contre-offensive, ils ont perdu 20% des chars fournis par les Occidentaux. Ils ont dès lors modifié leur approche tactique en pilonnant massivement les positions russes avec de l’artillerie et en envoyant des unités d’infanterie infiltrer les lignes russes. L’idée est d’ouvrir une brèche qui puisse ensuite être exploitée à l'aide d'unités mécanisées. Pour l’instant, ça ne fonctionne pas. La première ligne russe tient toujours et par endroits, on dénombre cinq lignes de défense sur une profondeur de 30 à 40 kilomètres. Depuis le début de la contre-offensive le 4 juin, les Ukrainiens ont repris 250 km2, soit 1/500e du territoire ukrainien conquis par les Russes.

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8.000
obus par jour
L’artillerie ukrainienne consomme 8.000 obus par jour, soit un tiers de la production mensuelle d’obus par les Etats-Unis.

Le chemin risque donc d’être encore long…

En effet. Toute la question aujourd’hui est de savoir lequel des deux camps sera capable de soutenir le tempo actuel d’attrition. L’artillerie ukrainienne consomme actuellement 8.000 obus par jour, soit un tiers de la production mensuelle d’obus par les Etats-Unis. Lors du lancement de leur contre-offensive, les Ukrainiens disposaient d’un stock de 600.000 obus. De quoi tenir 75 jours. Or nous sommes déjà à 60 jours de contre-offensive. Les livraisons de bombes à sous-munitions leur ont procuré un peu d’air, mais je pense qu’ils auront un gros problème de munitions à partir de l’automne. A cela s’ajoutent les pertes humaines très élevées. Là aussi, je crains que d’ici l’automne, ils commencent à manquer de réservistes.

Quel camp a les meilleures cartes en mains pour remporter cette guerre d’usure?

La Russie part avec un triple avantage: elle est trois fois plus peuplée, elle vient d’enrôler 230.000 nouvelles recrues en début d’année et, enfin, l’économie russe tient mieux le coup qu’escompté. A moins que les prix du pétrole et du gaz ne s’effondrent, la Russie peut tenir encore deux ou trois ans au rythme actuel, alors que l’Ukraine est sous perfusion occidentale. La question est de voir combien de temps l’Occident va poursuivre son soutien dans les proportions actuelles. Aux Etats-Unis, le soutien de l’opinion commence à s’éroder tandis que les élections législatives partielles prévues en fin d’année pourraient également peser défavorablement. De plus, l’Occident reste confronté à la faiblesse de ses capacités de production militaire. Tout cela mis ensemble me fait dire que les perspectives ne sont pas très favorables pour l’Ukraine. Dans le meilleur des cas, on va vers un statu quo ou un conflit gelé. Aucun des deux camps n’est en mesure de remporter une victoire décisive en 2023 ou en 2024. Par contre, ils peuvent se neutraliser mutuellement pendant encore quelques années, avec toute l’instabilité que cela peut entrainer sur la scène internationale.

Les incursions d’éléments de l’armée Wagner à la frontière polonaise doivent-elles être vues comme une menace réelle ou une provocation de plus?

On dénombre entre 3.000 et 4.000 éléments de Wagner stationnés en Biélorussie, les autres ayant été incorporés dans l’armée russe. Le matériel lourd de Wagner a également été cédé à l’armée russe. Le risque d’incident non voulu aux frontières de l’Otan n’est jamais à exclure mais cela ne fait pas de Wagner une menace militaire majeure pour la Pologne ou les Etats baltes.

Pourraient-ils effectuer des raids sur le territoire d’ Otan?

Théoriquement oui, mais je ne pense pas que cela arrivera car cela entrainerait la Biélorussie dans le conflit et fragiliserait davantage encore la position du président biélorusse Loukachenko.

"Après la mise à l’écart de Prigojine, la position de Poutine vis-à-vis de l’armée russe s’est renforcée."

Colonel Roger Housen
Spécialiste des questions de défense

Vladimir Poutine est-il politiquement affaibli depuis la rébellion de Wagner?

La majorité de la population russe semble toujours le soutenir. Ceci étant, nous disposons de très peu d’informations sur les rapports de force au Kremlin. Après la mise à l’écart de Prigojine, la position de Poutine vis-à-vis de l’armée russe s’est renforcée. Sachant que l’armée est un des rares centres de pouvoir capable de le faire tomber, je ne miserais pas sur un départ à brève échéance de Poutine.

L’arrivée des F-16 pourrait-elle changer le cours de la guerre?

Je crains que non, tout comme pour les chars Leopard ou les batteries de missiles Patriot. Onze pays, dont la Belgique, composent la coalition F-16. Or ces onze pays n’ont toujours pas trouvé d’accord sur un programme d’entrainement des pilotes ukrainiens. Actuellement, il y a 8 pilotes ukrainiens qui maitrisent suffisamment l’anglais pour pouvoir commencer le programme d’entrainement. Une trentaine d’autres pilotes ont été sélectionnés pour suivre un cours d’anglais accéléré. Se pose ensuite la question de toute la logistique qui accompagne le déploiement de F-16. Il faut des avions radar Awacs, des systèmes de ravitaillement en vol, des systèmes de neutralisation de la défense anti-aérienne russe, etc. A mon sens, il n’y aura pas de F-16 dans le ciel ukrainien cette année. Dans le meilleur des cas, ce sera pour le printemps 2024…

Dossier | Guerre en Ukraine

Dossier spécial sur la guerre en Ukraine, lancée le 24 février 2022 par Vladimir Poutine: toute l'actu et les dernières infos sur le conflit armé entre l'Ukraine et la Russie.

Les phrases-clés
  • "Lors de la première semaine de la contre-offensive, les Ukrainiens ont perdu 20% des chars fournis par les Occidentaux."
  • "Aucun des deux camps n’est en mesure de remporter une victoire décisive en 2023 ou en 2024."
  • "Les Américains ont demandé aux Ukrainiens de s’abstenir de taper en profondeur sur le territoire de la Russie pour éviter l’escalade."
  • "Dans le meilleur des cas, les F-16 arriveront pour le printemps 2024."
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