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Ludivine Dedonder: "Une adhésion de l'Ukraine à l'Otan est impossible en pleine guerre"

La ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS). ©Photo News

On ne peut promettre à l'Ukraine une adhésion à l'Otan dès la fin de la guerre, mais il faut continuer à l'épauler face à la Russie, affirme la ministre de la Défense Ludivine Dedonder.

Vingt-quatre heures avant le début du sommet de l'Otan à Vilnius, la grand-messe annuelle de la première alliance militaire du monde, la ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS) a accordé un entretien à L'Echo. Elle participera à cette rencontre de deux jours aux côtés du Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld), de la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR) et du chef de la Défense, l'amiral Michel Hofman.

À Vilnius, l'Otan réaffirmera sa volonté d'intégrer l'Ukraine. Mais, "une adhésion est impossible en pleine guerre, cela nous mettrait en conflit direct avec la Russie", affirme Ludivine Dedonder. Par contre, "il faut continuer à l'épauler dans cette guerre", estime-t-elle. Les alliés envisagent de fournir à Kiev des garanties de sécurité dont le modèle est, à l'instant, âprement négocié entre les capitales.

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Les dépenses de défense seront l'autre sujet délicat du sommet. En 2014, les alliés s'étaient fixé pour objectif de porter leurs dépenses de défense à 2% du PIB. La majorité des alliés veulent, désormais, considérer ce chiffre comme "un plancher". La Belgique, avec 1,13% de dépenses, est en queue de peloton aux côtés du Luxembourg. Une tendance que la ministre socialiste a l'intention de renverser.

La contre-offensive ukrainienne s'avère "plus lente que prévu", comme dit le président Zelensky. Que pensez-vous de la stratégie suivie par l'Ukraine?

Pour le moment, on voit des offensives à petite échelle. Pas de percée décisive, mais une volonté d'attaquer sur plusieurs points du front et de provoquer une attrition du côté russe, notamment en termes logistiques. On le voit depuis le début de cette guerre, la logistique est fondamentale.

"D'après les services de renseignements occidentaux, il y a bon espoir que la stratégie ukrainienne puisse fonctionner."

Ludivine Dedonder
Ministre fédérale de la Défense

La contre-offensive est assez lente, mais cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas d'accélération à un moment donné. On se retrouve dans une guerre de tranchées, les Ukrainiens font parfois face à cinq rangées de défenses. Ils sont occupés à percer, avec l'espoir de les franchir. Cela suppose qu'ils aient assez de munitions. Le problème, c'est qu'ils les dépensent en abondance, étant donné toutes ces lignes à franchir.

Pour nous, le défi est de pouvoir les équiper dans un monde où, en Occident, on n'avait plus investi dans les dépenses de sécurité. C'est pourquoi nous sommes occupés, en Europe, à renforcer notre base industrielle de dépenses de sécurité.

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Certaines sources font état d'une fragilisation des défenses russes, surtout au sud. Avez-vous des informations?

D'après les services de renseignements occidentaux, il y a bon espoir que la stratégie ukrainienne puisse fonctionner, pour autant que nous continuions à les alimenter. De plus, ils n'ont pas la supériorité aérienne.

Kiev réclame des F-16 pour rétablir l'équilibre face à une force aérienne russe très assertive. Quand l'Occident sera-t-il prêt à les livrer?

La Belgique s'est engagée à fournir un appui, en ce qui concerne la formation des pilotes et l'entretien des équipements. Les choses se mettent en place. Cela prend du temps, parce que qu'il y a, en premier lieu, des besoins en formation linguistique des pilotes, tous les manuels des F-16 étant en anglais. Ensuite, il faudra convertir les pilotes.

Nous discuterons de tout cela à Vilnius. On parle d'une livraison des F-16 début 2024.

"D'une certaine manière, Poutine est affaibli. Mais il est toujours au pouvoir et Prigojine est sorti du jeu."

Ludivine Dedonder
Ministre fédérale de la Défense

Mais, ce sera après la contre-offensive actuelle...

Oui, mais on ne va pas donner des avions à l'Ukraine s'il n'y a pas eu de formation au pilotage et qu'ils ne parlent pas anglais. Il faut s'assurer qu'ils aient aussi des capacités de maintenance, ce qui veut dire coopérer avec les industriels pour construire les espaces pour accueillir les F-16 et le personnel de maintenance. Tout cela ne s'improvise pas.

Cela pose, de manière plus large, la question de l'interopérabilité des forces ukrainiennes avec celles de l'Otan; ce sera une question phare au sommet de Vilnius.

Pensez-vous que Poutine soit affaibli par l'insurrection de Wagner?

Nous avons été étonnés de voir Prigojine et ses hommes parcourir des centaines de kilomètres en Russie sans être gênés dans leur avancée. D'une certaine manière, Poutine est affaibli. Mais, il est toujours au pouvoir et Prigojine est sorti du jeu. Il reste des zones d'ombres, qu'il faudra éclaircir. Il y a aussi d'autres enjeux, notamment la présence de Wagner en Afrique, au Mali et en Centrafrique, où ses mercenaires restent en nombre.

"Une adhésion de l'Ukraine pendant la guerre signifierait que l'Otan entre en conflit direct avec la Russie."

Ludivine Dedonder
Ministre fédérale de la Défense

Qu'attendez-vous du sommet de Vilnius?

En premier lieu, faire le point sur l'Ukraine. Sur la question de l'adhésion, il est convenu qu'elle n'aura pas lieu pendant la guerre.

Vous êtes d'accord avec Joe Biden?

Oui. Une adhésion de l'Ukraine pendant la guerre signifierait que l'Otan entre en conflit direct avec la Russie, ce qui serait la porte ouverte à une troisième guerre mondiale. Par contre, il s'agit d'accompagner l'Ukraine pour qu'elle puisse adhérer. Pour cela, elle doit répondre à toute une série de conditions sur l'État de droit, réforme institutionnelle, et sur le plan opérationnel, elle doit être équipée avec des standards Otan.

Cela vaut pour tous les alliés, nous avons intérêt à jouer sur l'interopérabilité. C'est d'ailleurs notre dada en Belgique, comme ce partenariat que nous avons avec les Pays-Bas sur la marine, ou notre futur bataillon belgo-luxembourgeois.

Les pays de l'Est plaident pour que l'Ukraine adhère dès la fin de la guerre; d'autres, comme l'Allemagne, insistent pour que ce soit plus tard. Quelle est votre position?

Je suis d'accord qu'elle adhère une fois que toutes les conditions seront réunies. Mais sans fixer un timing.

Il faut, bien sûr, épauler l'Ukraine sur le chemin de l'adhésion, sans lui promettre que ce sera dès le lendemain de la guerre.

À Vilnius, les alliés vont discuter de "garanties de sécurité" à offrir à l'Ukraine, à la fin de la guerre et avant son adhésion. Certains comparent cela aux garanties offertes à Israël. Qu'en est-il?

Je verrai ce qu'il en est à Vilnius. L'idée est de créer un Conseil Otan-Ukraine et de moderniser l'armée ukrainienne. Les garanties de sécurité, nous leur offrons déjà ici et aujourd'hui en continuant à produire et à fournir du matériel.

L'adhésion de la Suède est un autre sujet important à Vilnius. Pensez-vous que la Turquie va lever son veto?

On a connu ce scénario avec la Finlande. Des discussions sont en cours. Il y a de bonnes chances pour que cela puisse aboutir.

L'Otan va également prolonger d'un an le mandat de son secrétaire général, Jens Stoltenberg. Vous approuvez cette décision?

Oui, il y a un besoin de stabilité et de continuité. On est favorable au maintien de Stoltenberg, vu le contexte inédit. Les relations entre l'Otan et l'UE n'ont jamais été aussi intenses, et l'on ressent cela très fort.

"On ne peut pas rattraper en 2 - 3 ans des années de désinvestissement et de coupes budgétaires."

Ludivine Dedonder
Ministre fédérale de la Défense

Les alliés devront pourvoir à son remplacement l'an prochain. Quel serait le profil idéal?

Quelqu'un qui poursuit l'objectif de complémentarité de l'UE au sein de l'Otan, j'y tiens particulièrement. Pas qu'en parole, mais aussi en acte. C'est pour cela qu'il me tient à cœur de rentrer dans le programme de développement de l'avion européen et maintenir les déploiements de troupes belges avec les Français en Roumanie et les Allemands en Lituanie.

Et pourquoi pas une femme secrétaire générale de l'Otan?

Bien sûr, j'y serai toujours favorable, pour autant qu'elle soit compétente.

Les alliés veulent définir les dépenses de défense à 2% du PIB comme un "plancher". Comment la Belgique, qui est à 1,13%, va-t-elle rattraper son retard?

On ne peut pas rattraper en 2 - 3 ans des années de désinvestissement et de coupes budgétaires. C'est compliqué.

Ceci dit, notre budget a bien progressé en valeur nominale. La vision stratégique du précédent ministre, Steven Vandeput (N-VA), prévoyait 9 milliards d'euros d'investissements sur 14 ans. Nous avons adopté le plan Star, qui prévoit 11 milliards d'euros en plus sur une période, plus courte, de 7 ans. Nous ajoutons à cela 1 milliard sur 2023, 2024 et 2025, et 1,8 milliard en R&D. Vient aussi le recrutement de 10.000 personnes sur 4 ans, un objectif qui sera d'ailleurs dépassé.

On n'atteint pas les 2% du PIB, mais il était impossible, en venant d'où nous venons, de les atteindre à cet horizon. Le gouvernement l'a fixé en 2035, car c'est la courbe logique pour investir dans les capacités et le personnel formé pour les faire fonctionner. C'est cela la bonne gestion. Il est inutile d'acheter en dernière minute, sans avoir le personnel adéquat et bien formé.

La volonté est là. On avance, même si l'on part avec un retard. Le budget de la Défense belge va continuer à croître.

Allez-vous proposer un budget plus ambitieux lors des prochaines négociations gouvernementales?

Ce que l'on a fait était déjà très ambitieux. Par contre, lors de la formation du prochain gouvernement, il sera intéressant, pour celui qui aura le portefeuille de la Défense, de refaire une analyse actualisée de la situation géopolitique et d'adapter la loi de programmation.

Quelles sont les opportunités industrielles générées par la hausse des budgets de défense?

Le renforcement de la base industrielle de la défense et de sécurité, au niveau belge et européen, est fondamental pour atteindre notre autonomie stratégique. Il n'est pas question, non plus, de laisser les Ukrainiens sans munitions.

"Pas question, ceci dit, pour la Belgique de produire ou livrer des armes à sous-munition."

Ludivine Dedonder
Ministre fédérale de la Défense

C'est pour cela que je visite une à une les entreprises belges de sécurité et de défense, afin de leur faire part de nos plans et d'épauler leurs développements futurs. On attend des entreprises de défense qu'elles se projettent.

J'insiste, on a besoin aussi que le personnel des entreprises puisse être déployé rapidement, par exemple sur le cyber. C'est pour cela que j'invite les entreprises à intégrer leur personnel dans les réserves de la Défense pour être déployées ensemble et protéger les infrastructures critiques.

L'UE demande d'accroître nos capacités de production de munitions. Nous sommes à côté de nos entreprises pour les soutenir et faire le lien avec l'Otan. Il ne s'agit pas ici de "nous réarmer", mais de garantir la sécurité.

Pas question, ceci dit, pour la Belgique de produire ou livrer des armes à sous-munition.

Qu'en est-il des troupes belges positionnées en Roumanie et en Estonie? La Belgique va-t-elle faire un choix entre les deux régions?

Nous allons rester des deux côtés en 2023 et, en tout cas, en 2024. Nous avons envoyé 250 militaires en Roumanie et le même nombre va arriver en Lituanie, de même que des F-16, dans le cadre de la dissuasion.

Les phrases-clés
  • "Il faut, bien sûr, épauler l'Ukraine sur le chemin de l'adhésion, sans lui promettre que ce sera dès le lendemain de la guerre."
  • "D'après les services de renseignements occidentaux, il y a bon espoir que la stratégie ukrainienne puisse fonctionner."
  • "D'une certaine manière, Poutine est affaibli. Mais, il est toujours au pouvoir et Prigojine est sorti du jeu."
  • "Le renforcement de la base industrielle de la défense et de sécurité, au niveau belge et européen, est fondamental pour atteindre notre autonomie stratégique".
  • "Le budget de la Défense belge va continuer à croître."
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