Maxim Töller: "Le PS jette Marc Tarabella en pâture"
Exclu par les socialistes belges et européens, Marc Tarabella a l'impression d'avoir été "jeté en pâture" suite aux aveux de Panzeri. Il est "terrorisé à l'idée d'aller en détention", confie son avocat Maxim Töller dans un entretien à L'Echo.
Marc Tarabella est entré, cette semaine, dans l’œil du cyclone qui fait trembler depuis plusieurs semaines le Parlement européen. Le scandale de corruption présumée du Qatar et du Maroc, impliquant des membres de l'institution, a rattrapé le député européen socialiste suite aux aveux de son ancien "camarade", Pier Antonio Panzeri. Le principal suspect du Qatargate a avoué avoir remis plus de 120.000 euros à Tarabella pour son soutien à l'émirat gazier. En échange, il deviendrait un repenti et bénéficierait d'un allègement de sa peine.
Maxim Töller, l'avocat de Marc Tarabella, pénaliste et spécialiste de la loi sur le repentir, répond aux questions de L'Echo.
Que répond Marc Tarabella aux aveux de Pier Antonio Panzeri, qui affirme lui avoir versé 120.000 euros pour son soutien au Qatar?
"Marc Tarabella est terrorisé à l’idée d’aller en détention préventive, car il s’agirait d’une détention destinée à faire pression sur lui."
Tout d'abord, je veux rappeler que M. Panzeri aurait dit ça dans une précédente audition. Il n’a pas encore été entendu sous le statut de repenti, et j'ignore ce qu’il va dire dans ses aveux bassement récompensés.
M. Tarabella est extrêmement en colère. Dans un premier temps, il était déçu d’apprendre que M. Panzeri était le pion de minimum trois pays. Maintenant, il est en colère de voir à quel point il se sert de lui pour tenter d’obtenir des faveurs de la part du procureur fédéral.
Et, je le redis, il n’a rien reçu de qui que ce soit, argent ou cadeau, contre quelque position que ce soit.
Pourquoi M. Panzeri voudrait-il enfoncer votre client?
Quand votre femme risque d'être emprisonnée, quand vous êtes à la prison de Saint-Gilles, qui n’est pas une référence de salubrité... vous cherchez tous les moyens de sortir. En plus, on offre à M. Panzeri le statut de repenti, ce qui est une prime à la délation. Il est obligé de donner des choses, les plus grosses possibles, pour offrir au parquet une contrepartie. C’est quelque chose qui déséquilibre tout.
Par ailleurs, la loi prévoit que les déclarations d’un repenti doivent être corroborées. Elle avertit bien qu’il faut se méfier de cette parole.
Craignez-vous que votre client soit placé en détention préventive?
Je l'ai prévenu de cette éventualité-là. Il m’a posé des questions sur les prisons. Il n’a pas peur du combat. Il veut se battre. Mais Marc Tarabella est terrorisé à l’idée d’aller en détention préventive, car il s’agirait d’une détention destinée à faire pression sur lui. En réalité, pour moi, les conditions d’une détention préventive ne sont pas réunies. Mais je dois l’envisager.
Les aveux de M. Panzeri suffisent-ils à envoyer votre client en détention?
"Manifestement, les droits de l’homme ne s’appliquent pas au boulevard de l’Empereur."
Si M. Panzeri se limite à des aveux qui ne seraient pas accompagnés d’autres éléments corroborants, cela me semble insuffisant. Les simples aveux d’un repenti ne peuvent, en tout cas, suffire à condamner.
Comment Marc Tarabella réagit-il à son exclusion temporaire du PS et du S&D? Se sent-il trahi?
M. Tarabella a d'abord été suspendu du PS sans qu’on lui demande quoi que ce soit. Pourquoi si peu de respect pour un militant de 35 ans, qui de surcroît a été ministre? Idem pour le groupe S&D, qui lui demande de s’auto-exclure. Il a refusé, cela aurait été démentiel, car il n’était ni inculpé, ni condamné. Après, ils ont inventé le terme d’exclusion temporaire, ce qui est en réalité une suspension, et puis ils lui ont imposé cette décision. Tout ça, c’est de la gymnastique politique qui fait preuve d’une grande lâcheté.
Il est déçu, mais il n’est pas en colère. Il comprend aussi la gêne occasionnée au parti, mais ce n’est pas lui qui a est à l'origine de tout cela. Je trouve que le PS aurait fait preuve d’un grand courage en respectant la présomption d’innocence, c’est un droit de l’homme. Manifestement, les droits de l’homme ne s’appliquent pas au boulevard de l’Empereur. Au contraire, le PS jette en M. Tarabella en pâture. On lui inflige la peine d’exclusion, alors qu’il n’a pas été entendu.
Pourquoi la position de votre client à propos du Qatar a-t-elle changé, du noir au blanc, ces dernières années?
M. Tarabella n’a pas changé d’opinion sur le Qatar du lundi au mardi. C’est le résultat d’une évolution lente et de six ans de travail. En 2016, il a demandé la ré-attribution de la Coupe du monde à un autre pays que le Qatar. Sans succès. Après cela, il a travaillé sur le sujet, en s’intéressant des droits fondamentaux. Il a accédé en 2019 à la vice-présidence de la Délégation pour les relations avec la péninsule arabique. À ce stade, il ne pouvait plus exprimer ses convictions de la même manière étant donné qu’il était en charge des relations avec la région. Il va choisir le silence, le temps de se renseigner.
"M. Panzeri a démontré une grande capacité de manipulation, et mon client en est une victime."
En février 2020, lors d’un voyage au Qatar, il demande de voir la construction d’un stade. Plus tard, l’Organisation internationale du Travail (OIT) souligne des évolutions majeures du Qatar, comme l’abolition de la Kafala. Après, Human Rights Watch, qui n’est pas n’importe quelle ONG, souligne les améliorations et s’oppose au boycott. Tous ces éléments, dont M. Panzeri, c’est un fait, ont amené M. Tarabella à avoir une position nuancée sur le Qatar, tout en disant que ce n’est pas parfait et qu’il faut que le combat continue. C’est pourquoi M. Tarabella ne s’est pas rendu à la Coupe du monde, malgré sa passion pour le football.
M. Panzeri l’a-t-il influencé?
Oui. M. Panzeri n’était pas n’importe qui. Il avait beaucoup de poids, de même que son ONG Fight Impunity. Il était très présent au Parlement. Ce qui est étonnant, c’est que Marie Arena a la même position que M. Tarabella, elle a trois fois plus de contacts avec M. Panzeri. Mais on considère que celui qui aurait reçu de l’argent, c’est M. Tarabella. C’est deux poids, deux mesures.
Quel était le lien entre les deux hommes?
C’était un lien de camaraderie, c’est en tout cas ce que pensait M. Tarabella. Ils partageaient la même passion pour le football. C’était quelqu’un qu’il avait en haute estime.
Vous êtes auteur d’un ouvrage sur le repentir, et réputé expert à ce sujet. Toutes les conditions du repentir sont-elles réunies dans le cas d'espèce?
Je n’ai pas accès au dossier, donc c’est difficile de vous répondre. Normalement, selon la loi sur le repentir, il faut une proportionnalité entre les infractions dénoncées et elles qui sont pardonnées. Or, ici, une question importante se pose : est-ce qu'offrir un repentir à une personne qui reconnaît lui-même être au sommet de l’affaire est vraiment la vocation de la loi? Je ne le pense pas. Il ne va pas dénoncer pire que ce qu’il a fait: être le dirigeant de l’affaire de corruption. Que voulez-vous apprendre de pire? S'il veut s'en sortir, M. Panzeri a intérêt à donner des noms. Par ailleurs, il faut bien préciser que le repentir doit encore être homologué par un juge.
M. Panzeri pourrait-il aller encore plus loin, comme impliquer un autre parti européen que le S&D?
Je l’ignore. M. Panzeri a démontré une grande capacité de manipulation, et mon client en est une victime. Il reconnaît lui-même avoir trahi la confiance de Marie Arena. Je n’accorde aucune valeur probante à la parole de M. Panzeri, encore moins lorsqu’elle est faite en contrepartie d’une très importante réduction de peine.
"J’espère que tout cela ne va pas se terminer par un vote sur Twitter."
Pourquoi Marc Tarabella a-t-il omis de déclarer son voyage au Qatar en 2020?
Il a fait ce voyage mi-février 2020. Il est parti ensuite au Ghana. Après son retour, la pandémie a commencé, et il n'y a plus pensé. Il a cru ensuite que le délai pour le déclarer était passé. Là, il vient de se rendre compte que c’était encore possible de le déclarer, donc il l’a fait. Mais il n’est pas le seul. La présidente Roberta Metsola a elle-même oublié de déclarer cinq voyages et des cadeaux.
N’avez-vous pas le sentiment que cette affaire tourne à la "justice spectacle"?
Je suis extrêmement choqué de la manière dont les choses se passent. Le procès de M. Tarabella a déjà commencé dans la presse. Le Parti socialiste vient de le condamner, à peu de choses près, en l’excluant avec possibilité de retour, c’est violent. Vous avez des fuites absolument inédites. Des fuites de futurs témoins, 100% orientées. S’il devait y avoir l’un ou l’autre document à détruire, dans l’une ou l’autre ambassade, tout a disparu. C’est quelque chose qui n’est pas de nature à permettre une enquête sereine.
J’espère que tout cela ne va pas se terminer par un vote sur Twitter. Je suis déçu, d’ailleurs, du fait que le procureur fédéral ait estimé déjà opportun de lancer une procédure de repenti, alors que des éléments circulent.
Il faut, maintenant, laisser le juge d’instruction faire son travail. C’est quelqu’un de très compétent.
Comment votre client vit-il cette situation?
Il est sonné par le nombre de coups reçus, mais il est extrêmement combatif. Il est serein. Il ne compte pas se laisser faire.
- "On offre à M. Panzeri le statut de repenti, ce qui est une prime à la délation."
- "Le PS aurait fait preuve d’un grand courage en respectant la présomption d’innocence, c’est un droit de l’homme."
- "M. Tarabella n’a pas changé d’opinion sur le Qatar du lundi au mardi. C’est le résultat d’une évolution lente, et de six ans de travail."
- "Il faut, maintenant, laisser le juge d’instruction faire son travail. C’est quelqu’un de très compétent."
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