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interview

"Il y a toujours une tête de l'hydre qui repousse quelque part"

©BE Defense - Malek Azoug

Les attentats de Bruxelles posent à nouveau – et dramatiquement – la question de la pertinence de la réponse de la Belgique aux phénomènes du radicalisme religieux et du terrorisme. Le point avec Joseph Henrotin, chargé de recherche à l’Institut de Stratégie et des conflits (ISC), à Paris.

Peut-on affirmer que les attentats de Bruxelles constitueraient une réaction des filières terroristes à l’arrestation de Salah Abdeslam? 
Il est prématuré de dire que cela serait une réaction à l’arrestation d’Abdeslam. La complexité des frappes impose en effet un temps de préparation assez long, même si les terroristes agissent toujours par surprise. Un "simple" mitraillage aurait pu faire penser à une réaction juste après l’arrestation, mais pas pour ce cas-ci. Cela a très vraisemblablement été préparé.

"Il y a toujours une tête de l’hydre qui repousse quelque part, ou qui était cachée."

Aurait-on crié victoire un peu trop vite après les récentes arrestations en Belgique?
On aurait été bien naïf de croire qu’avec l’arrestation de Salah Abdeslam, on aurait décapité les organisations terroristes en Belgique. Il y a toujours une tête de l’hydre qui repousse quelque part, ou qui était cachée. Le niveau politique m’a d’ailleurs paru plutôt nuancé.

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Maintenant, il ne faut pas se mentir. Si beaucoup a été fait, il faudra pas mal d’années avant que les forces de police et de renseignement reçoivent des moyens: il y a toujours une latence entre la décision de renforcer et le renforcement effectif. Ce n’est pas une critique des forces de sécurité, qui travaillent avec les moyens du bord. Mais il y a eu de vrais retards dans la prise en compte politique de la menace. Même après le 11 septembre, il y a eu une inertie, avec parfois quelques regains d’attention, lors des attentats de Londres ou de Madrid par exemple. Cette inertie s’est traduite par l’octroi de faibles moyens supplémentaires. Ou, parfois, leur réduction. La coopération internationale devait alors compenser, mais elle ne peut pas tout, notamment en matière d’action sur le terrain.

"Il est prématuré de dire que cela serait une réaction à l’arrestation d’Abdeslam."

Est-ce à dire que les politiques ont négligé le danger du terrorisme islamiste et de la radicalisation?
La recherche amène à constater l’urgence de la situation, depuis des années. Chaque jour, il y a deux ou trois attentats d’amplitude variable dans le monde, sans compter ceux qui ne sont pas médiatisés. Mais le niveau politique ne voit pas les choses sous l’angle du chercheur. Sa temporalité est différente, il travaille par "dossiers", cloisonnés entre niveaux de pouvoir, alors que la sécurité implique de travailler en permanence et de manière décloisonnée. J’avais publié en 2007 un rapport sur la résilience dans la défense antiterroriste. À l’époque, aucun ministre ne comprenait de quoi on parlait et aucun n’a réagi après sa présentation. Comprendre le terrorisme est indispensable pour une réaction adaptée, mais la rationalité même du djihadisme est un obstacle: comment comprendre que l’on a des ennemis alors que l’on baigne dans une culture politique pétrie de consensus?

On va donc devoir mener des réflexions beaucoup plus approfondies sur ces questions, et plus généralement sur la sécurité du pays?
La Belgique n’est historiquement pas attentive aux questions de sécurité, qu’elle considère essentiellement sous l’angle juridico-policier, pour une série de raisons complexes. Mais du point de vue du djihadiste, on est bien dans la définition clausewitzienne de la guerre: "la continuation de la politique par d’autres moyens". En dépit de leurs efforts, tous les services de renseignement savaient que cela devait se produire et s’amplifier: c’est une stricte question de probabilités mathématiques.

"Dans les semaines qui viennent, il faudra faire attention à ne pas faire n’importe quoi."

Un autre problème, c’est qu’il n’y a pas de formation à ces questions dans les universités. On n’a donc pas formé les cadres pour prendre les bonnes décisions, mesurées et permettant de ne pas tomber dans le tout-sécuritaire. Dans les semaines qui viennent, il faudra faire attention à ne pas faire n’importe quoi. Il faudra une réflexion de fond, y compris sur des sujets sensibles.

Que devra-t-on envisager comme mesures à adopter?
Parce que la Belgique est institutionnellement complexe, il faudra une vraie stratégie de sécurité nationale permettant de coordonner tous les domaines utiles, sécuritaires et militaires, mais aussi diplomatiques, économiques, sociaux… De là, il est possible d’isoler les déficits des uns et des autres. Car il faudra des moyens. Ce gouvernement est arrivé en baissant initialement le budget de la Défense d’un milliard et demi sur la législature, avant de lui réattribuer quelques centaines de millions. Après les attentats de Paris, 400 millions d’euros ont été débloqués pour la sécurité, mais ce ne sera certainement pas suffisant

"La Belgique n’est historiquement pas attentive aux questions de sécurité."

Il faudra donc renforcer l’effort de Défense?
Il faut aussi se pencher sur les moyens de l’armée et surtout, de la Composante Terre, qui n’a plus que deux brigades de combat. Son patron a bien indiqué qu’il ne pouvait tenir éternellement avec 500 militaires en rue – sans compter qu’il faut également "tenir" des zones critiques, comme les installations nucléaires, gazières et les ports. Mais il est également nécessaire de se poser les bonnes questions. La présence de militaires à Zaventem n’a pas empêché les attentats. C’est avant tout un affichage politique, qui risque de déforcer dans le long terme la légitimité de l’Etat (parce que tous les attentats ne peuvent être empêchés) et de "désadapter" les militaires, dont l’entraînement souffre des déploiements à répétition. On doit s’interroger sur le rapport coût-efficacité et l’utilité de la mesure et voir si la mise en place d’une "force de réaction rapide", en appoint de la police, par exemple, n’est pas plus adaptée.

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Comment trouver l’équilibre entre libertés et sécurité?
C’est une question majeure et éminemment politique. Jusqu’ici, le débat n’a pas eu lieu. Il faudra trouver un équilibre entre nos valeurs et la lutte contre le terrorisme en sachant que l’on ne peut pas se battre pour des valeurs que l’on aurait sabordées. Le pire serait d’induire une méfiance des citoyens envers l’Etat au nom d’une sécurité qui ne pourra jamais être totalement garantie. Il faudra donc se renforcer tout en apprenant à vivre avec la menace. Il y a des solutions, qui ne sont pas nécessairement coûteuses, les politiques de résilience par exemple, mais qui impliquent d’abord de bien comprendre ce à quoi on fait face.

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