À qui profite la chute du prix du pétrole?
Le cours du Brent est passé jeudi sous la barre des 50 dollars. Une aubaine pour certains secteurs de l’économie même si l’effet change atténue l’impact et donne un avantage concurrentiel aux acteurs américains. Le principal gagnant semble donc être le pouvoir d’achat du consommateur qui pourtant ne bénéficiera principalement que de la réduction du prix à la pompe.
Énergie
Aucun impact sur les marges
Selon la Febeg, la fédération belge des entreprises électriques et gazières, la baisse du prix du pétrole n’a pas d’impact immédiat sur l’électricité et le gaz, les prix de ces différentes énergies ayant été découplés.
"Mais si cette baisse a surpris beaucoup de monde, elle n’impacte pas nos marges sur le gaz et l’électricité, qui sont fixes"
Une affirmation qu’on peut nuancer. "Il y a tout de même une corrélation indirecte entre les prix du pétrole et des autres énergies, sauf le bois", remarque Bruno Vanderschueren, co-fondateur du fournisseur d’énergie Lampiris. "Mais si cette baisse a surpris beaucoup de monde, elle n’impacte pas nos marges sur le gaz et l’électricité, qui sont fixes", poursuit Vanderschueren.
En effet, même si ses clients ont signé des contrats à prix fixe, Lampiris s’est couvert, en achetant des volumes équivalents. Et les marges bénéficiaires, souligne la Febeg, sont extrêmement faibles: 0,3% en 2013 pour les 7 plus importants fournisseurs.
"Le seul impact possible, c’est que la baisse des prix énergétiques, de l’ordre de 120 à 150 euros sur la facture annuelle de gaz, et de 30 euros sur celle d’électricité, est favorable au budget des ménages. Cela diminue donc un peu notre risque d’impayés", note Bruno Vanderschueren.
Transports
Un petit boni rapidement lissé
En première ligne, le secteur du transport ne sera que peu impacté à moyen terme par cette baisse des prix du pétrole. "Le carburant représente 20 à 25% des coûts pour une entreprise de transport, mais dès qu’elles ont une certaine taille, ces entreprises ont recours à des instruments de couverture sur les variations de prix du pétrole", explique Michael Reul, porte-parole de l’Union professionnelle des transporteurs routiers.
La majorité des entreprises actives dans la logistique se basent sur les baromètres mensuels de l’Institut transport routier et logistique Belgique (ITLB) qui calcule les coûts généraux des entreprises et sert de base à la négociation des prix avec les clients. "Cela offre juste un peu de marge aux transporteurs lors de ces négociations", ajoute Michael Reul. "Typiquement, nous bénéficions de cette baisse au niveau de nos fonds de roulement, le temps que les prix du transport soient adaptés aux coûts du carburant le mois suivant", explique de son côté Thierry Verwilghen, commercial pour le groupe logistique Gondrand.
Même constat au niveau des sociétés de transports en commun: le TEC wallon a par exemple recours à des instruments de couverture de type SWAP, qui permettent de payer un prix fixe. La fluctuation des prix étant ensuite absorbée soit par la banque, soit par le transporteur.
Pétrole
Les raffineurs soulagés
Pour les raffineurs du port d’Anvers, la chute des prix pétroliers est une bonne nouvelle. Selon les chiffres de la Direction française de l’énergie et du climat, la marge brute de raffinage sur le Brent est passée de 18 euros par tonne en moyenne en 2013, à 21 euros par tonne en 2014. Et en janvier 2015, elle atteint 28 euros par tonne. "Les marges n’ont jamais été aussi bonnes depuis deux à trois ans, mais les fondamentaux du marché n’ont pas changé", avertit toutefois Jean-Louis Nizet, secrétaire général de la Fédération pétrolière belge. "L’Europe est toujours en surcapacité et subit la concurrence des raffineries hors Europe."
Anvers, où Total et Exxon ont consenti d’importants investissements, est toutefois dans une situation un peu plus confortable.
L’exploration-production, par contre, un peu moins. La plupart des "majors" ont annoncé des réductions des investissements de l’ordre de 20 à 30%. Les détaillants en mazout font, eux, face à des commandes soutenues, indique Informazout, mais sans que cela impacte leur rentabilité: leur marge de distribution est fixe.
Automobile
L'essence passe 1er choix
Flambée ou chute des prix à la pompe, la demande du conducteur belge en "gasoil" a toujours été particulièrement forte. Les experts rappellent, ici, que 800.000 voitures de sociétés (sur un total de 5,4 millions de véhicules particuliers) circulent sur nos routes, souvent alimentées par de juteuses cartes essence.
Selon les chiffres de la fédération pétrolière belge, il s’est à nouveau écoulé des kilolitres de diesel et d’essence en Belgique en 2014. Plus qu’en 2013, "mais sans atteindre le plafond qui avait pu être touché en 2011." Pratiquement, ces fluctuations impactent peu les ventes automobiles. "On parle plutôt d’un effet sur le pouvoir d’achat qui, lui, a un effet sur les ventes en neuf", recadre un expert.
Au niveau de ces choix, par contre, le Belge a aujourd’hui moins de raison d’opter pour un véhicule diesel, vu l’évolution à la pompe. Les accises jouant en faveur de l’essence. "Les motorisations alternatives risquent aussi de pâtir du contexte. Il sera encore plus difficile pour un véhicule roulant électrique ou au gaz naturel d’être séduisant, alors que la différence sur le coût d’utilisation se restreint", note un gros importateur belge.
Industrie
Réduction des coûts en vue
L’impact est assez grand pour l’industrie belge, mais pour l’industrie technologique, il sera négligeable dans un premier temps dans la mesure où nous utilisons principalement l’électricité et le gaz. Mais comme le prix du gaz tend à s’aligner sur le prix du pétrole, on devrait quand même bénéficier d’une réduction d’environ 10% de la facture énergétique", explique Frank Vandermarliere, conseiller général Agoria, la fédération de l’industrie technologique belge.
Et comme la facture s’élève à environ 200 millions, l’industrie technologique pourrait faire une économie de 20 millions. L’industrie extractive (producteurs de granulats, de chaux, de dolomie, etc.) est aussi enthousiaste. "C’est un phénomène qui va réduire les coûts de transport, qui se fait principalement par route. Elle nous permettra d’augmenter notre rayon d’activité", renchérit Michel Calozet, CEO de la fédération de l’industrie extractive (Fediex).
Aéronautique
Les tarifs aériens ne baisseront pas
Selon l’Association du transport aérien international (Iata), les tarifs aériens devraient baisser de 5,1% cette année en raison de la baisse des prix pétroliers. L’Iata ajoute aussitôt: "hors taxes et surcharges". Parmi lesquelles la surcharge carburant qu’il serait temps d’incorporer définitivement dans le prix du billet.
En vérité, il y a longtemps que les compagnies aériennes ne fixent plus volontairement les tarifs; elles s’adaptent aux tarifs pratiqués ailleurs, lesquels sont notoirement insuffisants en cas de concurrence de transporteurs low cost. À ceci s’ajoute le fait que la plupart des compagnies se sont couvertes contre les fluctuations des prix pétroliers (hedging) et qu’elles payent encore le prix fort aujourd’hui (à 70% dans le cas de Brussels Airlines).
Enfin, depuis la baisse du baril, le dollar s’est apprécié par rapport à l’euro à hauteur de 10%, ce qui réduit l’impact. Résultat, pour une Brussels Airlines, le poste carburant représente toujours 30% des coûts. Donc, toute baisse de tarif ne serait due qu’à des facteurs non liés aux prix des produits pétroliers.
Chimie
Le pétrole, une variable parmi d'autres
L’offre surabondante qui fait plonger les prix de l’or noir ne perturbe guère, semble-t-il, l’industrie chimique, où le pétrole n’est jamais qu’une matière première parmi d’autres. Chez Tessenderlo, on s’abstient pour l’instant de tout commentaire de fond sur une évolution trop récente. Une analyse globale est en cours. Elle devrait en principe déboucher sur un relatif équilibre entre les conséquences positives et les négatives.
"Les activités de Solvay sont très diversifiées et nous utilisons de nombreuses matières premières pour la fabrication de nos produits"
Il est vrai que l’impact global est plutôt limité dans un secteur où d’autres matières premières entrent jeu. Chez Solvay, on évalue ainsi l’exposition au pétrole à environ 5% des revenus globaux.
À ce stade, Solvay ne décèle aucun impact marquant sur ses activités. On aurait pu penser que la baisse des prix aurait un impact sur les activités pétrole-gaz aux États-Unis, mais il n’en est rien actuellement, dit-on chez Solvay. La demande reste forte chez Chemlogics, la filiale US dédiée à l’extraction de pétrole et de gaz de schiste. Il est vrai que le plongeon des prix s’explique par une offre surabondante, et non par une demande chancelante.
Tourisme
Envol des factures de voyages
S’il y a peu de chances que les tarifs aériens enregistrent une baisse (voir ci-dessus), les tarifs des déplacements de loisirs ou d’affaires risquent, eux, de s’envoler. C’est en tout cas l’avis du bureau d’études Advito, dans son dernier "Industry Forecast". En cause, le retour de la croissance économique en 2015 et un accroissement de la demande en nuits d’hôtels, lesquels deviendront plus chers.
Quant aux autocaristes, ils estiment que l’impact de la baisse des prix du fuel sera limité. En prenant comme base un déplacement de 250 kilomètres, ce qui est très souvent le cas pour Voyages Léonard. Un car qui consomme 25 litres aux 100 km fera économiser 6,25 euros pour une baisse de l’essence de 10 centimes. à diviser par 40 passagers qui auront payé entre 500 et 600 euros! "Le coût du carburant représente moins de 15% du prix final facturé au client", constate Jean-François Defour, directeur général de Voyages Léonard.
Enfin, peut-on croire que les tarifs des taxis d’aéroports vont diminuer dans le monde? Poser la question, c’est y répondre.
Distribution
Les prix à la caisse inchangés
Pas de réjouissances prématurées. Non, la baisse des prix pétroliers n’a pas (encore) d’impact sur le secteur de la distribution. En tout cas pas sur les prix payés à la caisse par le consommateur. "Les commerçants vont peut-être avoir un peu de marge supplémentaire, mais il appartient à chacun d’eux de décider s’ils répercutent cette baisse sur leurs prix, indique Peter Vandenberghe, directeur de la communication de Comeos, mais la baisse n’est pas assez significative pour que les prix diminuent à court terme."
Même constat chez Colruyt où le porte-parole Jean Derom évoque un effet minime, voire inexistant: "Le pétrole n’étant qu’un facteur parmi d’autres qui influence les prix."
"Nos fournisseurs négocient un prix fixe à l’année avec les transporteurs, indique de son côté Baptisevan Outryve, porte-parole de Carrefour. Je songe notamment aux produits qui viennent de loin comme les fruits exotiques. Le prix du pétrole n’influence donc pas le prix en magasin. C’est le cas aujourd’hui, mais aussi dans un passé récent, lorsque les prix du pétrole n’arrêtaient pas d’augmenter."
PME
Une question de secteur
PME ou grandes entreprises, le constat est le même: les grands consommateurs pétroliers sortiront gagnants. Mais des gagnants tout relatifs. Charlie Tchinda, économiste au sein de l’Union des classes moyennes, pointe ainsi naturellement parmi les bénéficiaires de cette chute des prix du pétrole les PME actives dans le secteur du transport.
Néanmoins, cet effet positif sera-t-il le même que celui observé dans les grandes entreprises du secteur? "La taille est importante dans la fixation des prix. Une commande de volumes importants permet de grosses réductions", rappelle-t-il.
Mais d’autres éléments entrent aussi en compte: le prix du pétrole à l’international ne représente qu’un tiers du prix à la pompe. À cela s’ajoute l’effet correcteur dû au change (dollar-euro) qui lisse le recul des prix. Charlie Tchinda cite aussi les PME plus industrielles tout en ajoutant que l’effet devrait y être moins significatif.
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