120 ans de la Solvay Brussels School: "Les futurs leaders économiques devront avant tout inspirer"
À l'occasion des 120 ans de la Solvay Brussels School, l'école de commerce a invité le Boston Consulting Group et Russell Reynolds à se pencher sur les besoins de formation des "leaders" de demain. En donnant la parole au monde de l'entreprise.
Solvay, Solvay, Solvay. Ces temps-ci, il n'y en a (presque) plus que pour Solvay. Après la scission du géant chimique belge en deux entités distinctes, c'est au tour de l'école de commerce de faire parler d'elle. Pour deux bonnes raisons. La première est déjà connue: la Solvay Brussels School souffle ses 120 bougies en cette fin 2023, lançant pour l'occasion une campagne de financement participatif. La seconde est toute neuve, et est l'aboutissement d'un travail collectif entamé il y a des mois.
"Le souci de modernisation du programme est permanent, concède Stefan Dab, senior partner et managing director du Boston Consulting Group (BCG), par ailleurs ancien de la Solvay Brussels School. Cela étant, une réflexion spéciale a été entamée avec le doyen, Bruno van Pottelsberghe, autour de cet anniversaire." L'idée: alimenter ce processus de renouvellement par une contribution du monde économique. Au passage, le chasseur de têtes Russell Reynolds est embarqué dans l'aventure.
Cela a débouché sur une table ronde réunissant une quarantaine de patrons, avec la participation du Premier ministre, Alexander De Croo. "Cela a pu se faire dans le labo historique de Solvay", glisse Stefan Dab. Ont suivi des ateliers avec des responsables de ressources humaines, complétés par une enquête menée auprès de quelque 2.500 cadres. Le temps de tout analyser et digérer, et voilà que les résultats de ces échanges sont publiés ce samedi.
Que ferait Ernest aujourd'hui?
Qu'y trouve-t-on? Un point de départ: la vision du fondateur, Ernest Solvay – "on parle d'une des premières écoles de business au monde", glisse un pas peu fier Stefan Dab. "Une vision extraordinairement moderne, puisque son intuition était que les leaders économiques devaient bénéficier d'une formation universitaire pluridisciplinaire, alliant sciences exactes et sciences sociales: biologie, mathématiques, mais aussi sociologie ou psychologie." Objectif: comprendre le monde et la société. "La question qui se posait était donc celle-ci: sur cette base, que ferait Ernest Solvay à présent?"
"La vision d'Ernest Solvay est validée. Il n'y a rien à retirer... mais quelque chose à ajouter. C'est cette faculté à inspirer et à mobiliser les équipes."
C'est là qu'intervient le fruit de la cogitation collective. Quelles sont les attentes que place actuellement le monde économique dans la figure du "leader"? Elles sont de trois ordres, détaille-t-on au Boston Consulting Group. Un: être à même de façonner une stratégie. Deux: savoir exécuter celle-ci. Trois: la capacité à communiquer et à inspirer les équipes. "C'est intéressant, pointe France Joris, 'partner' et 'managing director' du BCG, elle aussi passée par les bancs de l'école de commerce de l'ULB. La vision d'Ernest Solvay, qui porte sur les deux premiers piliers, est validée. Il n'y a rien à retirer... mais quelque chose à ajouter. C'est cette faculté à inspirer et à mobiliser les équipes, équipes qui sont de plus en plus diversifiées."
Authenticité, communication ou empathie: les caractéristiques les plus citées relèvent toutes de cette catégorie "inspiration". "Ce sont celles qui sont vues comme les plus importantes." Une petite surprise. "On savait que ces demandes seraient au rendez-vous, mais pas à ce point."
Chimie et physique: stop ou encore?
Avec quelles répercussions sur l'enseignement supérieur? "Une interrogation qui dépasse la seule Solvay Brussels School", précise Stefan Dab. Des valeurs, on passe au concret: identifier les manquements de la formation dispensée et voir comment y remédier. De quoi clore un vieux débat habitant les couloirs du campus Solvay, sourit Stefan Dab. "Un peu comme le latin dans le secondaire: faut-il encore l'enseigner?" Sauf qu'ici, ce sont les sciences "dures" qui se trouvaient dans le viseur.
"Avec l'émergence de l'intelligence artificielle ou du débat climatique, plus que jamais, la maîtrise des sciences exactes est importante."
"Chimie ou physique ont-elles encore leur place? Ce sont des matières exigeantes et sélectives, qui compliquent la donne des échanges internationaux. Parce qu'il s'agit là d'une spécificité belge." Eh bien, la réponse est positive et sans appel. "Le retour sur ce sujet a été très clair: il s'agit là d'une de nos forces. Leur place est toujours aussi pertinente, avec l'émergence de l'intelligence artificielle ou du débat climatique. Plus que jamais, la maîtrise des sciences exactes est importante."
Juste après les sciences, ces séances collectives ont réaffirmé l'importance de développer un esprit critique. "Notamment via la transversalité. Parmi les recommandations figure la mise en place de cours interfacultaires, permettant aux étudiants de casser les silos et d'embrasser une vision plus globale."
Confirmation et satisfecit, donc. "Notre enseignement supérieur est robuste et coche la plupart des cases, notamment dans les domaines analytique ou stratégique, assure Stefan Dab. Au sein du Boston Consulting Group, quand des jeunes formés en Belgique débarquent à New York, ils se situent au-dessus de la moyenne." Cela étant, des lacunes et des trous dans la raquette, il y en a aussi.
Communiquer, ça s'apprend
Dans cette préoccupation qui monte et qui monte, justement: la communication. "Les Belges sont clairement moins bien équipés, tandis que le monde anglo-saxon est en avance, dans cette faculté à mettre en récit de manière convaincante. Le constat est là: voilà un retard à rattraper."
"Le monde anglo-saxon est en avance, dans cette faculté à mettre en récit de manière convaincante. Tandis que les Belges sont clairement moins bien équipés. Voilà un retard à rattraper."
Bien sûr, le monde de l'enseignement évolue de lui-même. "Les travaux de groupe ou la mise en situation via des jeux de rôles ont été intégrés, analyse France Joris. Le message est toutefois le suivant: il y a moyen d'aller plus loin. C'est très bien, les travaux de groupe, mais il est possible de former à travailler en groupe. Ce qui est en soi une évolution: il y a quelques années, on aurait dit que cela relève de compétences innées." Ou encore que cela s'apprend sur le tas. "La vision actuelle, c'est que les facultés peuvent aider et ont un rôle actif à jouer dans le développement de cette compétence."
Comment? "En accompagnant le travail en groupe, détaille France Joris. Prévoir du coaching. Mettre en place un processus d'autoévaluation, ne portant pas que sur le travail fourni, mais aussi sur la collaboration en tant que telle." De quoi permettre de mettre le doigt sur ce qui pourrait fluidifier ladite collaboration. Cela implique également, enchaîne Stefan Dab, d'ouvrir les yeux aux gens. "Parce que chacun a son propre mode de fonctionnement; ce n'est ni bien ni mal, c'est ainsi. Sans parler des différences culturelles. Il faut que les gens en soient conscients."
Communication et inspiration ne voyagent pas seules. Parmi les attentes placées dans ces dirigeants économiques de demain se trouve aussi une forme d'humilité. Celle permettant de se regarder le nombril. "De savoir s'autoévaluer et se remettre en cause", ajuste France Joris. Reconnaître qu'il faudra se former tout au long de sa carrière, apprendre en continu. "Les choses évoluent d'elles-mêmes, note Stefan Dab. Il y a davantage de diversité dans les auditoires. Et les étudiants qui sortent actuellement sont moins arrogants que ceux d'il y a trente ans."
Qu'enlever?
Maintenant que les pistes de renforcement se dessinent, reste à les intégrer au programme. "Notre publication n'a rien de prescriptif et se situe dans le registre de l'inspiration, relativise Stefan Dab. Le programme relève de la liberté académique."
Reste que si des renforcements sont à prévoir, sans doute faudra-t-il que d'autres matières tombent afin de laisser la place. "Autrement dit: qu'enlève-t-on?" Pas les sciences, vous l'aurez compris. "Peut-être le cours de compta numéro cinq, ou de gestion numéro six", suggère, non sans ironie, celui qui donne également cours à Solvay. Autrement dit, les matières "parfois très pointues, dont la valeur marginale est discutable".
Bien entendu, au Boston Consulting Group, on se rend compte que l'analyse fournie ne relève pas du sensationnel ou du révolutionnaire. "L'objectif était de soutenir et d'alimenter le processus de modernisation en cours", cadre France Joris. Un espoir à la clef. "Ce dialogue entre académique et économique, il faudrait faire cela plus souvent. Peut-être est-ce le début d'une nouvelle dynamique."
- Décideurs politiques et économiques ont été appelés au chevet du programme de la Solvay Brussels School.
- La réflexion visait à définir les attentes du monde économique quant à la formation des futurs "leaders".
- Et de voir comment combler le trou entre ces attentes et les cours dispensés actuellement.
- Les sciences exactes restent primordiales. Par contre, communication et inspiration prennent du galon.
Les plus lus
- 1 Incendie au Sanglier des Ardennes de Marc Coucke (Durbuy): des dizaines de personnes évacuées et des dégâts importants
- 2 France: Michel Barnier recourt au 49.3 malgré la menace de censure
- 3 "Trump fait imploser le dollar, Nvidia deux fois plus gros qu'Apple..." Les 5 prédictions les plus folles de Saxo pour 2025
- 4 En France, la fin annoncée du gouvernement de Michel Barnier
- 5 Le XRP devient la troisième plus grande crypto au monde