État islamique: "La menace est réelle pour la Belgique et l'Europe"
L'attentat de Moscou et les nouvelles menaces de l'État islamique sont prises très au sérieux par les services occidentaux, affirme le directeur du Centre international de lutte contre le terrorisme.
Abu Hudhayfah al-Ansari, le porte-parole du groupe État islamique, a annoncé jeudi de nouvelles attaques terroristes à l'échelle globale, et appelé les "loups solitaires" à viser spécifiquement les chrétiens et les juifs. Cet appel coïncide avec le dixième anniversaire de la création du califat de l'État islamique.
Au passage, al-Ansari a revendiqué, une fois de plus, l'attentat sanglant de Moscou, qui a coûté la vie à plus de 140 personnes. Une opération menée par une cellule de la branche afghane de l'organisation djihadiste, l'État islamique au Khorassan (EI-K), qui s'impose comme l'entité terroriste la plus dangereuse du moment. Les services de renseignement occidentaux sont en état d'alerte. La menace est prise très au sérieux.
"La menace est réelle pour la Belgique et l'Europe", dit Thomas Renard, directeur du Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT). Mais "cette menace n'est pas nouvelle, l'EI-K est sur les radars depuis 2022, un an après le départ des États-Unis d'Afghanistan et le retour des talibans au pouvoir".
Le vide laissé par les troupes américaines et l'incapacité des talibans à contrôler le vaste et montagneux territoire afghan ont permis la résurgence de l'État islamique et d'une vingtaine de groupes terroristes.
Les terroristes djihadistes ont aussi bénéficié du ralliement des seigneurs de guerre locaux qui combattaient les occidentaux aux côtés des talibans.
"L'EI-K est aujourd'hui le seul groupe djihadiste qui a la capacité de projeter des forces et de planifier un attentat à l'international."
L'État islamique, défait par la coalition occidentale en Syrie et en Irak, compte désormais près de 4.000 combattants en Afghanistan. À cette implantation afghane s'ajoutent des cellules très actives en Afrique de l'Ouest.
La Belgique concernée
"L'EI-K est aujourd'hui le seul groupe djihadiste qui a la capacité de projeter des forces et de planifier un attentat à l'international", poursuit Thomas Renard. La menace est connue de la Sûreté de l'État belge, qui la mentionne dans son rapport pour l'année 2023.
Ce groupe terroriste pourrait être présent sur le territoire belge sous deux formes. "Il peut s'agir d'une cellule envoyée par l'EI-K, des gens formés et entraînés qui s'infiltrent chez nous", précise-t-il. "On peut aussi être en présence d'individus radicalisés déjà établis sur place, prêts à commettre des attentats. Des personnes faisant partie d'une communauté d'Asie centrale, du Caucase ou de Tchétchénie, qui se trouvent en lien avec les djihadistes via Telegram ou la revue en anglais de l'EI-K."
Des cellules ou des loups solitaires pourraient se loger au sein de ces communautés. "Dans les régions d'Anvers, où l'on trouve une forte communauté tchétchène, de Bruxelles et de Liège-Verviers. Des zones historiquement liées au djihadisme", dit Thomas Renard.
"Menace numéro un"
L'EI-K est aujourd'hui "la menace numéro un" du terrorisme djihadiste en Europe, par ses moyens et sa structure, affirme l'expert. "Après le retrait américain d'Afghanistan, il a fallu un an à l'État islamique pour analyser la situation, reprendre des forces et planifier des attaques." Les premiers attentats ont ciblé l'Afghanistan et les pays voisins.
"L'EI-K a un objectif de djihadisme global, car il pense qu'il va inspirer des changements."
"Après 2022, l'EI-K a commencé à prendre la place de l'État islamique de Syrie, avec comme différence qu'il ne dispose pas de contingent en Europe. Pour mener des attentats, ils doivent infiltrer ses combattants afghans ou caucasiens, c'est compliqué", dit Thomas Renard.
L'organisation terroriste exploite deux couloirs migratoires, l'un passant par la Turquie et l'autre, plus récent, provenant d'Ukraine. "L'EI-K est parvenu à mêler quelques individus au sein des flux de migrants qui, eux, ne posent pas de problème", précise-t-il.
Djihadisme global
Pourquoi l'État islamique vise-t-il l'Europe? À la différence des talibans, qui limitent leur action à l'échelle locale, "l'EI-K a un objectif de djihadisme global, car il pense qu'il va inspirer des changements dans la société", résume Thomas Renard.
"On ne peut exclure une nouvelle opération internationale contre l'État islamique, même si ce n'est pas la meilleure approche."
Le modus operandi de l'organisation comporte un aspect psychologique et théâtral. Lors de l'attentat de Moscou, les scènes atroces ont été filmées par les auteurs puis diffusées sur les réseaux sociaux. Comme si l'État islamique voulait relancer froidement sa "marque" sur la scène internationale.
"Les organisations djihadistes suivent une tactique commerciale, elles travaillent leur image de marque pour attirer de nouvelles recrues et lever des fonds", dit Thomas Renard. Pour se financer, l'EI-K dépend de taxes levées localement et de donations à l'échelle internationale.
"Relégitimer les talibans"
Pour lutter contre le djihadisme, il n'existe aucune recette toute faite, aucun système infaillible. "Même la Russie, un État totalitaire où règne un contrôle absolu, n'est pas parvenue à prévoir un attentat de type Bataclan", lâche l'expert.
"J'ai vu des améliorations en Europe dans la lutte contre le terrorisme. Bien sûr, on peut toujours faire mieux, il n'existe pas de risque zéro", précise-t-il.
Si la menace perdure, "on ne peut exclure une nouvelle opération militaire internationale contre l'État islamique, même si ce n'est pas la meilleure approche, comme l'a montré la précédente intervention", estime Thomas Renard.
Pour l'instant, la meilleure option pour les services occidentaux serait de s'entendre avec les talibans. Un pari risqué, mais il n'existe par beaucoup d'alternative. "On s'oriente vers une approche visant à relégitimer le régime des talibans. C'est paradoxal, mais ils sont les seuls à être crédibles", dit-il. La collaboration avec le Front national de résistance d'Ahmad Massoud, qui mène une guérilla contre les islamistes et les talibans, "est aussi une option envisageable à plus long terme", conclut-il.
- L'État islamique au Khorassan, la branche afghane du groupe djihadiste, représente la menace terroriste numéro un en Europe et en Belgique, affirme Thomas Renard, directeur de l'ICCT.
- Les renseignements la surveillent depuis l'automne 2022, un an après le départ des troupes américaines d'Afghanistan.
- L'EI-K peut se projeter en Europe, ou disposer d'individus sur place.
- Pour contrer l'EI-K, les services occidentaux pourraient relégitimer le régime taliban.
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