En moyenne, un agriculteur gagne moins qu'un travailleur salarié
Revenus, charges, subsides, coût des terrains: L'Echo fait le point sur les données financières des agriculteurs. Derrière des moyennes, la réalité du terrain est toutefois très contrastée.
Les revendications du monde agricole mettent en lumière la détresse d'une certaine frange de sa population, notamment fort dépendante des subsides, des fluctuations de prix et du coût de l'énergie.
Des revenus inférieurs à la moyenne, mais qui remontent
Depuis 1993, les agriculteurs gagnent moins que les travailleurs des autres secteurs marchands. Selon le Service public de Wallonie (SPW), le revenu du travail en agriculture représente 96 % du revenu d’un travailleur non agricole en 2022. Un si faible écart n’avait plus été observé depuis les années 90.
"Il est vrai que les revenus ne sont pas glorieux par rapport au reste de la population", dit Philippe Baret, professeur d'agronomie à l'UCLouvain. "Il faut souligner cependant une grande disparité entre les agriculteurs." Bruno Henry de Frahan, professeur émérite à la Faculté des bioingénieurs à Louvain-la-Neuve, confirme "une distribution des revenus beaucoup plus éclatée que la normale, avec un extrême très précaire et un autre fort aisé".
Selon des chiffres de la Commission, l'agriculteur belge gagnerait en moyenne 46.582€ par an, un montant au-dessus des pays européens (28.786€) et juste devant la France (43.487€). Des revenus bruts qui sont exposés aux fluctuations de prix sur le marché mondial. "C'est le choix d’avoir un modèle libéral", continue Philippe Baret. L'envolée du cours du blé, du lait ou du sucre suite à la guerre en Ukraine a donc un impact direct sur le revenu.
Des revenus étroitement liés aux subsides
Beaucoup de petits agriculteurs manifestent mais ce qui les tue, ce sont des inégalités à l’intérieur même du monde agricole.
Des aides européennes tombent aussi directement dans les poches de l'agriculteur. La Politique agricole commune (PAC) est l'un des piliers de l'UE, représentant 33,1% de son budget total en 2021. Elle permet, en plus, d'assurer des prix raisonnables aux consommateurs, de subvenir aux besoins des producteurs.
"Dans l'élevage, à un certain moment, le subside est monté jusqu’à 100% du revenu. L’agriculteur ne gagnait rien sans aide", dit Philippe Baret. Une importance vitale, donc, des subsides pour survivre, marqués par une répartition interne inégale. Ainsi, 20% des plus gros agriculteurs européens toucheraient 80% des aides, "un montant ramené à 56% en Belgique, moins touchée par le phénomène" calcule Bruno Henry de Frahan. Philippe Baret monte au créneau: "C’est ça qui me met en colère: beaucoup de petits agriculteurs manifestent mais ce qui les tue, ce sont des inégalités à l’intérieur même du monde agricole."
Pour la période 2023-2027, l'UE a renforcé ses critères environnementaux, condition sine qua non pour obtenir les primes. Des éléments jugés trop contraignants par les agriculteurs qui se retrouvent face au mur, trop dépendants des investissements de politiques publiques.
Si la PAC est passée de 55,9% en 1995 à 33,1% en 2021, ce n'est pas pour autant que le montant absolu a diminué, passant de 43 à 55,72 milliards d'euros sur la même période. "Mais les priorités évoluent, notamment avec les investissements de développement régional pour moderniser les pays de l'Est qui ont rejoint l'Union", explique Bruno Henry de Frahan.
Acheter un hectare de terre pour cultiver en Wallonie coûte 34% de plus qu'en 2017.
L'accès à la terre est de plus en plus cher
Selon le SPW, entre 1990 et 2014, le nombre de fermes a été divisé par 4 alors que leur surface moyenne a été quasi multipliée par 2. "Cela se traduit par une importante compétition pour le foncier disponible et une augmentation des prix de vente", rendant problématique l'accès à la terre.
En 2022 en Wallonie, les terres cultivables se sont vendues à un prix moyen de 45.885 €/ha, contre 34.257€ en 2017, soit 34% de plus. "C'est paradoxal avec les salaires qui sont déplorables", pointe Henry de Frahan. "Si les revenus sont capitalisés dans les terres, et que celles-ci augmentent, cela reflète une certaine bonne santé du secteur pour ceux qui en possèdent." Il n'empêche, les nouveaux entrants voient cette montée des prix comme un des principaux obstacles à l'installation.
Hausse des prix de l'énergie
Les charges des exploitations sont restées assez stables ces dernières années, mais ont subi une forte hausse marquée par les coûts de l'énergie. Les charges pèsent ainsi près de 500€/hectare de plus entre 2021 et 2022. "Notamment à cause de la dépendance des agriculteurs aux engrais de synthèse, produits à partir de gaz naturel", ajoute Philippe Baret.
En 2022, malgré des charges qui augmentent, les produits de l’exploitation wallonne connaissent une évolution positive, permettant d'assurer la rentabilité des exploitations, avec des contrastes certains en fonction de la nature de l'activité et la taille de l'exploitation.
Si la tendance 2022 est donc positive, le SPW nous glisse qu'en 2023, les produits diminueraient plus vite que les charges, mettant la rentabilité à dure épreuve.
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