Faut-il en finir avec les maisons de repos?
Les maisons de repos ont payé un lourd tribut lors de l'épidémie de Covid-19. En Belgique, un décès sur deux est survenu au sein de ces structures. Au total, ce sont près de 5.000 résidents qui ont succombé. Alors que le secteur se relève, certains estiment qu'il est temps de repenser les modèles d'accompagnement de nos aînés.
Elles ont été secouées. Leur personnel a plié, mais n'a jamais rompu...Nos maisons de repos n'étaient pas préparées à une crise de cette ampleur, personne ne l'était. Aujourd'hui, elles en tirent de premières leçons. L'une d'elles est limpide: la courroie de transmission avec les hôpitaux n'a pas fonctionné de manière optimale. "Il ne faut pas généraliser, mais il y a quand même eu régulièrement des refus d'hospitalisation de personnes âgées", assure Vincent Fredericq, secrétaire général de la fédération des maisons de repos privées (Femarbel).
"Il y a quand même eu régulièrement des refus d'hospitalisation de personnes âgées."
Bien que des conventions soient établies entre les hôpitaux et les maisons de repos, celles-ci ne sont souvent que des coquilles vides. Cette défaillance, comme d'autres, le secteur entend la corriger. Sera-ce suffisant alors que la défiance de la population à son égard semble s'accroître? Le modèle actuel doit-il être entièrement revu? Tentons d'apporter des réponses.
Une maison n'est pas l'autre
Premier constat: une maison de repos n'est pas l'autre. Il existe une multitude de modèles dans les quelque 1.500 structures du pays. Ceux-ci dépendent à la fois de l'histoire de l'institution, de la philosophie de sa direction, de sa taille, de son pouvoir organisateur (public, privé ou associatif) ou encore des profils qu'elle accueille en termes socio-économiques et de santé.
À la maison de repos des Trois Pommiers à Etterbeek par exemple, dix-huit résidents côtoient des familles monoparentales, des adultes isolés ou encore des personnes convalescentes. Dans ce milieu de vie intergénérationnel, la communauté est centrale. Des initiatives de ce type existent, mais sont loin d'être les plus répandues.
Pour accueillir nos aînés, les maisons de repos (MRPA) "classiques", rassemblant le plus souvent une centaine de seniors, et les maisons de repos et de soins (MRS) restent la norme. À la différence des premières, les secondes disposent de ressources en matériel et personnel médical plus importantes.
Changer le regard
Bien qu'elles aient souvent "mauvaise presse", de l'aveu même des professionnels du secteur, les maisons de retraite resteront incontournables pour absorber ce que d'aucuns appellent "le tsunami du vieillissement". Au cours des dernières années, une tendance se dégage: les personnes qui rentrent dans ces établissements sont plus âgées et plus dépendantes.
Pour comprendre ce dont on parle, quelques chiffres. En 2030, la population âgée de 65 ans et plus sur notre territoire devrait dépasser les 2,6 millions de personnes, contre 1,8 million en 2010. Les plus de 80 ans seront eux 778.383 en 2030 (+46%) et 1,2 million en 2050 (+136%). Environ 150.000 lits de maisons de repos sont actuellement disponibles pour les personnes âgées. Bien que conséquente, cette offre, répartie de manière inégale entre les Régions, devra être élargie pour répondre aux besoins. D'après Femarbel, 178.500 unités de logement seront nécessaires à l'horizon 2030 et 287.000 d'ici 2050.
"Il faut changer le regard que nous portons sur les personnes âgées. Tant que ce ne sera pas le cas, on continuera à les héberger comme on le fait dans des lieux médicalisés, sécuritaires et fermés."
Créer des places supplémentaires en maisons de repos pour répondre aux besoins, est-ce la panacée? Pour l'économiste Philippe Defeyt et la gérontologue Caroline Guffens, clairement pas. À leurs yeux, pas de doute possible: "Il faut sortir d'une vision dépassée, bousculer les représentations héritées d'autres âges et créer un nouveau modèle d'accompagnement de la grande vieillesse."
D'accord, mais on fait comment? "Des solutions faciles, il n'y en a pas", reconnaît Caroline Guffens, aussi codirectrice de l'ASBL Bien vieillir. "Avant toute chose, il faut changer le regard que nous portons sur les personnes âgées. Tant que ce ne sera pas le cas, on continuera à les héberger comme on le fait dans des lieux médicalisés, sécuritaires et fermés", assène-t-elle. Alors que la crise du coronavirus semble maîtrisée, elle voit une véritable opportunité de faire changer les choses.
"Une chambre n'est pas un logement!"
Philippe Defeyt n'en est pas aussi convaincu. "Les maisons de repos ont été profondément secouées et ce sera donc difficile d'arriver avec de nouvelles perspectives. Il faudra un peu de courage politique", lance-t-il.
"Les maisons de repos ont été profondément secouées et ce sera donc difficile d'arriver avec de nouvelles perspectives."
Dans son discours, une idée domine: "Une chambre dans un couloir, ce n'est pas un logement! " Le Namurois prône donc le développement de structures fusionnant les modèles de la résidence-services et celui des maisons de repos. Cette démarche, qu'il n'entend pas ériger en modèle absolu, aurait l'avantage de répondre aux besoins d'espace, d'intimité, d'autonomie et de sécurité, mais aussi de soins et d'accompagnement des aînés. Au Danemark, des maisons de retraite ont été transformées de la sorte et c'est un véritable succès, assure-t-il. Un bémol toutefois, le coût élevé que représenterait une telle approche.
Habitats groupés Abbeyfield, maisons kangourous, kots intergénérationnels... Les pistes pour accueillir les personnes âgées en dehors de la maison de repos sont multiples. Avant de les envisager, le maintien à domicile des personnes qui le souhaitent doit être soutenu, mais sans en faire non plus la panacée, soulignent nos interlocuteurs.
"Il ne faut pas opposer l'accompagnement à domicile avec les maisons de repos et leurs alternatives, mais plutôt travailler sur ces trois volets en même temps."
Jean-Marc Rombeaux, conseiller à la fédération des CPAS, résume: "Il ne faut pas opposer l'accompagnement à domicile avec les maisons de repos et leurs alternatives, mais plutôt travailler sur ces trois volets en même temps." Ouvert au débat et à la réflexion, il met tout de même en garde: "Les moyens financiers pour tout raser et reconstruire" ne sont pas disponibles.
Pour le vice-président des Mutualités chrétiennes, Jean Hermesse, la réflexion doit être encore plus large. "On peut s'interroger sur ce qui se passe dans notre société. Pourquoi des personnes âgées autonomes décident-elles aussi d'aller en maisons de repos? Ce n'est pas pour des raisons de soins, mais bien de sécurité et de solitude. La société dans son ensemble n'offre plus suffisamment de lieux conviviaux", affirme-t-il. À ses yeux, il faut une "vision intégrée" de l'aménagement des villages et des villes pour permettre la mixité sociale et générationnelle.
Lieux de vie
Repousser l'institutionnalisation, travailler sur des alternatives, développer une vision intégrée pour maintenir du lien social, c'est bien noté! Mais dans les structures existantes, y a-t-il une marge d'amélioration? "Tout d'abord, il faut souligner que les maisons de repos sont bien loin de l'image de l'hospice ou du home d'antan. Aujourd'hui, ce sont de véritables lieux de vie", souligne-t-on du côté de l'Unessa, la fédération qui représente les établissements du secteur privé associatif.
Les MRPA et les MRS répondent à un "besoin évident et il n'est pas question de faire table rase", insiste Gaëlle Gallet de l'ASBL Senoah, un service d'accompagnement des seniors en matière d'habitat. Si elle reconnaît que la crise risque d'avoir pour effet de renforcer l'image négative de ces établissements, elle appelle à la nuance. "Il y a énormément de maisons où les gens vivent de manière très positive", soutient-elle.
"Il n'a pas été démontré que les plus petites maisons ont été moins touchées que les grandes lors de la crise du coronavirus."
Aux critiques récurrentes sur la taille parfois trop importante des maisons de repos, élément de déshumanisation de la personne âgée pour certains, mais aussi facteur de vulnérabilité en cas d'épidémie, les acteurs du secteur répondent en deux temps. "Il n'a pas été démontré que les plus petites maisons ont été moins touchées que les grandes lors de la crise du coronavirus", assure Christophe Happe, le directeur général de l'Unessa. "En outre, poursuit Vincent Fredericq de Femarbel, les exigences normatives actuelles sont telles qu'il n’est plus possible de développer de petites structures de 40 ou 50 lits."
À les entendre, la taille idéale d'une maison de repos tourne aujourd'hui autour d'une centaine de résidents, afin de pouvoir y mener un projet de vie, mais aussi conserver un équilibre financier. Évitons l'angélisme: avec un secteur privé commercial qui contrôle une large part des établissements wallons et bruxellois, la rentabilité n'est évidemment pas qu'un détail...
Capacité d'adaptation
Poursuivons notre réflexion. Pensés à une autre époque, les établissements résidentiels collectifs sont-ils encore adaptés aux besoins des personnes âgées? Les souhaits de ces dernières sont-ils suffisamment pris en compte? D'après Anne Jaumotte du mouvement social des aînés Eneo, ce n'est pas toujours le cas. La faute, entre autres, a une approche trop centrée sur les soins et pas assez sur le relationnel.
Conseils participatifs de résidents, modèle scandinave Tubbe, approche Montessori... Les initiatives destinées à impliquer davantage les personnes âgées dans la vie des établissements ont pourtant fleuri ces dernières années. "L'évolution de la maison de repos doit inévitablement suivre celle de la mentalité des résidents et de leurs proches. Cela se fait au fur et à mesure, mais ça ne se décrète pas", estime Vincent Fredericq.
Bien qu'elle salue ces initiatives, Anne Jaumotte pense qu'il est possible d'aller plus loin. Faire entrer de nouveaux métiers, axés sur le relationnel (esthéticiennes sociales, psychologues...), dans les maisons de repos doit notamment être envisagé. Au-delà, la formation des personnels soignants, mais aussi des directeurs d'établissements, pourrait accorder une place plus large à l'humain.
Sans nécessairement contester ces propositions, Femarbel et l'Unessa pointent un autre écueil: des normes de financement en personnel trop faibles. "Aujourd'hui, toutes les maisons de repos travaillent avec plus de personnel que les normes. En moyenne, c'est à peu près 30% en plus, avec des variations" en fonction des pouvoirs organisateurs, détaille Jean-Marc Rombeaux de la Fédération des CPAS. L'accent dans ces normes est de surcroît principalement placé sur le personnel infirmier. Or, certains résidents ont plutôt besoin d'accompagnement de réactivation (logopèdes, ergothérapeutes...), pointe-t-il.
Paradoxe des maisons de repos
À entendre les acteurs, il semble bien que le secteur soit à la croisée des chemins. Résumons: les personnes qui y entrent sont de plus en plus âgées et présentent des pathologies de plus en plus lourdes, ce qui entraîne une médicalisation des structures. Dans le même temps, celles-ci cherchent à être avant tout des lieux de vie et d'échange. "C'est un vrai paradoxe", admet Gaëlle Gallet.
Pour Vincent Fredericq, une chose est cependant claire: "Il ne faut surtout pas que les maisons de repos se transforment en des hôpitaux de septième zone. Elles sont et doivent rester des lieux de vie."
"Il ne faut surtout pas que les maisons de repos se transforment en des hôpitaux de septième zone."
Ce tour d'horizon l'illustre, les défis pour le secteur sont multiples et les solutions loin d'être à portée de main. Ces MRPA et MRS ne constituent toutefois qu'un pan de l'accompagnement des aînés, qu'il faut plus que jamais envisager de manière globale. Des formes d’habitat complémentaires, transitoires ou ponctuelles existent et peuvent être développées. Attention, il ne s'agit pas d'opposer les lieux de vie, mais plutôt d'élaborer un système permettant de passer le plus naturellement de l'un à l'autre en fonction des besoins. Vision et courage politique seront indispensables pour y parvenir...
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