Le travail durable est la meilleure solution face au chômage de longue durée
Vu la crise sanitaire, il est impératif de relocaliser le travail et de répondre à des besoins collectifs insatisfaits. Mais les gouvernements wallon et bruxellois oublient un projet essentiel: le "Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée".
La crise sanitaire a amplifié la prise de conscience de l’importance de relocaliser le travail. Et le confinement a démontré la nécessité de définir démocratiquement les activités qui sont socialement utiles, dont le développement mérite d’être soutenu par la collectivité.
C’est ce que font déjà en France les dix projets "Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée", soutenus par une loi votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale en 2016, récemment élargie à 30 nouveaux territoires.
Réponse originale et ambitieuse
Comme son nom l’indique, l’expérimentation constitue également une réponse originale et ambitieuse au chômage de longue durée, dont on sait qu’il va s’amplifier dans les mois à venir. Les coûts que cela engendrera sont colossaux pour les personnes concernées. Ils le seront aussi pour la collectivité.
"Le projet Territoire zéro chômeur répond à la nécessité de relocaliser le travail, parce qu’elle offre une solution au chômage de longue durée, parce qu’elle ne coûte rien aux pouvoirs publics."
Mais là encore le projet Territoire zéro chômeur apporte une réponse convaincante: une récente étude de l’ULB montre que le "gain individuel moyen public d’une remise à l’emploi d’une personne privée durablement d’emploi est supérieur d’environ 1.000 euros par an au coût global individuel moyen". Autrement dit, la mesure rapporte plus qu’elle ne coûte.
Il est donc triplement nécessaire que les gouvernements wallons et bruxellois s’activent pour mettre en œuvre cette proposition, déjà inscrite dans les déclarations de politique régionale conclues en 2019: parce qu’elle répond à la nécessité de reterritorialiser le travail, parce qu’elle offre une solution au chômage de longue durée, parce qu’elle ne coûte rien aux pouvoirs publics.
Comment cela est-il possible? Concrètement, sur chaque micro-territoire concerné (quartier, village…), une entreprise à but d’emploi doit être créée pour permettre à chaque habitant, chômeur de longue durée, d’occuper un emploi à durée indéterminée.
L’embauche se fait exclusivement sur base volontaire, à temps choisi, et sur la base des compétences déclarées des demandeurs d’emploi. Ensemble, ils développent des activités visant à répondre aux besoins collectifs insatisfaits, identifiés par un comité local composé des forces vives du territoire.
Des emplois supplémentaires sont alors créés dans des créneaux pour lesquels il a été vérifié qu’ils n’étaient pas en concurrence avec des activités similaires exercées par le secteur marchand ou non marchand. Le financement est assuré en grande partie par les pouvoirs publics et, dans une moindre mesure, par les bénéfices liés à la production de biens et de services par l’entreprise.
Réfutation de 3 objections majeures
Le gouvernement wallon a rappelé son intérêt pour la mesure dans son "plan de sortie de la pauvreté" mais aucun budget ni aucun calendrier n’a été avancé. Le plan de relance bruxellois n’en fait pour sa part même plus mention! Pourquoi l’appropriation de l’expérience française, qui a permis sur dix micro-territoires et en trois ans de consolider près de 3.000 contrats à durée indéterminée (CDI) destinés à des personnes précarisées, ne constitue pas une priorité pour nos gouvernements ? Nous identifions trois arguments potentiels, mais aucun ne nous paraît légitime.
1) Il ne serait pas pertinent de mettre en place de nouveaux dispositifs d’aide à l’emploi et à l’entreprise alors que d’énormes besoins de simplification des dispositifs actuels se font sentir pour aider les entreprises, en particulier les PME. Nous répondons à cet argument qu’il ne s’agit pas d’une aide financière à l’emploi et à l’entreprise, mais du développement d’une économie solidaire et territorialisée. Les personnes embauchées par ce système ne figurent par ailleurs jamais dans les listes des recrutements classiques des PME.
2) La crise sanitaire que nous vivons creuse le déficit public et les gouvernements ont des choix douloureux à faire. L’étude de l’ULB citée ci-dessus montre que cet argument est invalide quand on accepte de prendre de la hauteur. Vu les compétences dont elles sont dotées, il est vrai que ce sont principalement les Régions qui doivent investir dans la mesure, alors que ce sera principalement l’État fédéral qui fera des économies. Nous n’osons toutefois pas imaginer que la lasagne institutionnelle belge empêche de trouver un accord sur une action qui ne coûte rien et bénéficie à tous: chaque chômeur de longue durée remis au travail voit sa situation personnelle nettement améliorée et cela induit des retombées positives plus larges sur les plans économique et social.
Pas un outil de plus pour le Forem et Actiris
3) C’est au service public régional de l’emploi qu’il appartient de gérer la remise au travail des demandeurs d’emploi et, en Wallonie en particulier, un important travail de refonte des dispositifs d’accompagnement est actuellement en cours. Il faudrait donc attendre sa mise en place.
"Recruter les premiers chômeurs de longue durée le premier janvier 2021, c’est encore possible si la volonté politique est présente."
S’il est essentiel que le Forem et Actiris investissent dans l’expérimentation, il est par contre tout à fait inadéquat qu’ils en assurent seuls le pilotage. Dans les "Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée", ce sont les acteurs de micro-territoires et les demandeurs d’emploi eux-mêmes qui font vivre et animent prioritairement le projet. Le comité local, installé pour construire et piloter l’expérimentation, est un outil puissant d’insertion collective: l’expérimentation s’inscrit dans une logique de résilience d’un territoire et de participation citoyenne, plus que dans le contrôle et l’accompagnement individuel des chômeurs.
L’expérimentation Territoires zéro chômeur mérite aujourd’hui une large mobilisation pour donner corps au "droit au travail", reconnu par la Constitution belge. Malgré l’attentisme des gouvernements, nous continuons à nous mobiliser et à mobiliser les acteurs locaux pour préparer le terrain, afin que cette proposition soit rapidement mise en œuvre. Recruter les premiers chômeurs de longue durée le premier janvier 2021, c’est encore possible si la volonté politique est présente.
Signataires : Renaud Bierlaire (FGTB Wallonne), Aline Bingen (ULB), Julien Charles (CESEP & UCLouvain), EliseDermine (ULB), Fabrice Eeklaer (CSC Charleroi), Isabelle Ferreras (FNRS/UCLouvain), Paul Hermant (CESEP & Fédération des services sociaux), Auriane Lamine (UCLouvain), Céline Niewenhuys (Fédération des services sociaux), Vincent Pestiau (FGTB Charleroi), Paul Timmermans (Président de La Chambre emploi formation de l'instance bassin Hainaut sud), Marc Zune (UCLouvain)
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