Où en est le libéralisme du MR?
Trop à droite pour un Jean-Luc Crucke qui s'en va, de retour aux fondamentaux pour Georges-Louis Bouchez, où en est le libéralisme du MR, qui navigue entre progressistes et conservateurs?
À première vue, il y aurait de quoi y perdre son latin. Ou son libéralisme. Voilà donc un ministre en exercice, Jean-Luc Crucke, qui fait ses valises parce que ses valeurs, qu'il veut toujours libérales, ne sont plus en phase avec la ligne de son parti, le MR, ayant trop viré à droite pour lui. En face, le président dudit parti, Georges-Louis Bouchez, brandit le même étendard, le libéralisme, estimant simplement ramener le Mouvement réformateur à ses fondamentaux.
Libéralisme contre libéralisme, que retenir de la séquence qui a animé la semaine? Que chacun peut se prévaloir d'un courant de pensée du moment qu'il reste flou sur les fondements de son attachement? Que davantage qu'un combat d'idées, il s'agit d'un conflit entre personnes? Et puis: le MR se droitise-t-il vraiment? Tentons d'y voir clair.
Pour ce faire, rien ne vaut un peu de recul. Et de contexte: droite ou gauche, c'est très bien, encore faut-il savoir de quel axe on parle, rappelle Pascal Delwit, politologue à l'ULB. "Se situe-t-on dans le domaine socioéconomique? Sur les questions de société? Sur notre rapport à l'autre, selon que l'on adopte une vision plus ouverte ou fermée?"
Libéraux vs catholiques
Le parti libéral, qui vient de souffler ses 175 bougies, naît plutôt à gauche, en opposition à la droite alors incarnée par le parti catholique. Sa raison d'être? La lutte pour l'extension du régime des libertés, la séparation de l'Église et de l'État et l'enseignement public. De quoi rassembler dans la même chapelle des personnalités "doctrinaires" ou "progressistes", opposées notamment sur des questions sociales ou de démocratisation de la vie politique.
"Au fil du temps, la ligne d'identification va devenir essentiellement socioéconomique. Avec une cristallisation en 1961, lorsque le parti s'ouvre en grand au monde catholique. Progressivement, le parti libéral évolue vers le conservatisme sur les questions de société."
La donne se complexifie fin du XIXe siècle, poursuit Pascal Delwit. Avec l'apparition du parti ouvrier, qui fait éclater ces tensions. "Au fil du temps, la ligne d'identification entre gauche et droite va devenir essentiellement socioéconomique, surtout après la seconde guerre mondiale. Avec une cristallisation en 1961, lorsque le parti libéral s'ouvre en grand au monde catholique. Progressivement, le parti libéral évolue vers le conservatisme sur les questions de société."
La Belgique ne constitue guère un cas isolé. "Actuellement, il n'existe quasiment plus d'opposition forte entre conservateurs et libéraux. Un peu partout en Europe, avec quelques nuances du côté des pays scandinaves."
Ville vs périphérie
Ce qui, chez nous, s'illustre notamment dans le positionnement des parlementaires libéraux, bénéficiant de la liberté de vote dans les dossiers éthiques, sur le mariage et l'adoption pour les couples homosexuels ou encore l'euthanasie. Et se marque en géographie électorale. "Historiquement fort dans les villes, le parti libéral devient un parti de périphérie. Riche, quand elle borde une ville plus pauvre, comme le Brabant wallon. Ou plus rurale, comme la province du Luxembourg, la botte du Hainaut ou l'arrière-pays namurois."
"Vous ne trouverez pas un politologue disant que l'on peut qualifier le MR de libéral sur les questions de société."
Libéral sur l'axe socioéconomique, le parti a pris des accents conservateurs sur les débats de société. "Vous ne trouverez pas un politologue disant que l'on peut qualifier le MR de libéral sur ces questions", affirme Pascal Delwit. Qui illustre encore. "Dépénalisation des drogues douces; port du voile où le MR entend imposer un code vestimentaire, ce qui aurait de quoi surprendre dans le monde anglo-saxon."
Une étiquette qui fait tiquer Corentin de Salle, philosophe et directeur scientifique du Centre Jean Gol, le bureau d'étude du MR. "En Belgique, les grandes avancées éthiques ont été réalisées sous le gouvernement libéral de Guy Verhofstadt. Les libéraux ont voté massivement en faveur de la loi Lallemand-Michielsens de 1990 autorisant l'avortement. Et, plus récemment, la loi transgenre, au nom de la liberté de choix."
À droite toute?
Le décor étant planté, reste à savoir si le MR a, ces dernières années, mis la barre à droite toute. À l'échelle européenne, on peut relever une tendance à la droitisation, relève Pascal Delwit. Sur l'axe de l'ouverture à l'autre, au tournant de ce siècle. "On observe un mouvement de repli sur soi, nourri par une forme de pessimisme ambiant." Que celui-ci soit relatif au destin de l'Europe ou aux craintes que nourrissent les citoyens par rapport à l'évolution de leur situation personnelle. "L'apparition de partis de droite radicale a tiré vers la droite libéraux et conservateurs."
Sur l'axe socioéconomique, le virage date plutôt des années '80. "C'est l'ère de la dérégulation sociale et du recul de l'action publique, ramasse Pascal Delwit. Voulant que seul le secteur privé produise de la valeur ajoutée." Avec des cycles et des modulations, tout de même. Surtout après des chocs. Avec la crise financière, puis ici sanitaire, les pouvoirs publics connaissent un relatif retour en grâce.
Fluctuations que l'on retrouve dans le positionnement économique du PRL puis du MR. Relativement à droite sous Jean Gol, plus centriste sous l'impulsion de Louis Michel et de son "libéralisme social", progressivement délaissé sous les ères Reynders puis Michel.
Et le style Bouchez?
Et sous le dernier président, dont le style laisse rarement indifférent? "Il est difficile de dire si le MR se droitise ou si son président se droitise", estime Pascal Delwit. Et de citer ses attaques répétées contre la presse, "antinomiques avec la philosophie libérale" ou "l'importation de l'hystérie du débat français" sur la question de la laïcité de l'État et des symboles religieux. "Même s'il est complexe de distinguer ce qui relève d'une part, de la stratégie de communication et du positionnement politique et de l'autre, de la conviction."
"Le MR reste un parti de centre-droit. Seulement, n'étant confronté à aucune réelle concurrence sur sa droite, le MR peut ratisser large, au sein des progressistes et des conservateurs."
Sur ce point, le politologue de l'ULB n'est pas suivi par Benjamin Briard, chercheur au Centre de recherche et d'information sociopolitiques (Crisp). "Si droitisation il y a eu, c'est par le passé, sous Jean Gol ou après le départ de Louis Michel. Le MR reste un parti de centre droit. Seulement, n'étant confronté à aucune réelle concurrence sur sa droite, le MR peut ratisser large, au sein des progressistes et des conservateurs."
Le positionnement économique de Jean Gol n'était pas vraiment gauchiste et les accents sécuritaires tonnés par Denis Ducarme ne sont pas neufs, fait valoir Benjamin Briard. "Quant à la thématique du voile, elle est abordée sous un angle libéral, en mettant en avant liberté de culte et neutralité de l'État, et non en convoquant des éléments de langage comme 'chez nous' ou 'choc des cultures', comme aurait pu le faire un Alain Destexhe par exemple."
"Libéralisme assertif"
Même son de cloche auprès d'Hervé Hasquin, historien et figure libérale. "Il y a toujours eu différents courants de pensée au sein de la famille libérale, et un mélange entre conservateurs et progressistes. Alors oui, de temps en temps, cela nécessite d'envoyer des signaux plus à droite, ce que fait le président. En soi, le parti n'a pas tellement bougé."
"Il y a toujours eu différents courants de pensée au sein de la famille libérale, et un mélange entre conservateurs et progressistes. Alors oui, de temps en temps, cela nécessite d'envoyer des signaux plus à droite, ce que fait le président."
Cette accusation de "droitisation", qui sonne un peu comme un anathème, fait doucement rigoler Corentin de Salle. "Cela fait environ dix-sept ans que je suis au MR et il en était déjà question à l'époque. On parlait alors de 'sarkozysation' du MR." Rien de neuf sous le soleil pour un parti "qui n'a pas évolué tant que cela ces quinze dernières années".
Si ce n'est sur la forme. "En ces temps d'abondance d'informations et de réseaux sociaux, le politique doit formuler des propositions qui paraissent radicales ou extravagantes pour sortir de l'anonymat, juge Hervé Hasquin. C'est inquiétant pour l'atmosphère démocratique. Les libéraux n'échappent pas à cette tendance."
"Le libéralisme a retrouvé attractivité et respectabilité. Il y a quinze ans, le terme 'libéral' était presque péjoratif. On nous accusait d'être 'trop libéraux'; à présent, on nous reproche de ne pas l'être assez."
Formulé positivement, cela donne ceci. "Si changement il y a au MR, il se situe du côté de la forme, analyse Corentin de Salle. De la défensive, nous sommes passés à l'offensive, avec une expression plus assertive et désinhibée. Cela tient à la personnalité de Georges-Louis Bouchez et au fait que le libéralisme a retrouvé attractivité et respectabilité. Il y a quinze ans, le terme 'libéral' était presque péjoratif. On nous accusait d'être 'trop libéraux'; à présent, on nous reproche de ne pas l'être assez."
- Libéralisme de l'un contre celui de l'autre: que retenir de la séquence ayant vu Jean-Luc Crucke quitter le MR de Georges-Louis Bouchez?
- Pour ce faire, rien ne vaut un peu de recul. Et un retour aux sources, avec la naissance, à gauche, d'un parti libéral, en opposition avec la droite incarnée par les catholiques.
- Suivie par la montée en puissance de la ligne de démarcation socioéconomique.
- Sans réelle concurrence à droite, le MR louvoie entre progressistes et conservateurs.
- Dernière évolution en date: une tonalité plus "assertive et désinhibée", aux couleurs de la personnalité du président.
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