La Pologne rurale, bastion des conservateurs du PiS
Reportage dans une petite localité agricole de l’est polonais, où les nationaux conservateurs au pouvoir ont toujours la cote à la veille des législatives du 15 octobre.
Pimpant, le tracteur rouge d’Ireneusz Kossakowski s’arrête devant un champ labouré à Nieławice, dans l’est de la Pologne, où cet éleveur de 46 ans plantera bientôt du blé. "Les terres ici ne sont pas des plus fertiles, alors je me contente de cultiver une trentaine d’hectares de céréales pour nourrir ma cinquantaine de vaches laitières", explique-t-il.
Les affaires d’Ireneusz Kossakowski vont plutôt bien. De surcroît "le gouvernement de Droit et justice (PiS) a investi beaucoup dans l’espace rural", affirme-t-il. "Les gens gagnent mieux leur vie. D’ailleurs la route que vous avez prise pour venir ici, elle sera bientôt refaite!"
"Le PiS incarne les valeurs patriotiques et la foi catholique."
C’est ce même gouvernement qui a unilatéralement interdit l’importation, en Pologne, de céréales ukrainiennes le 15 avril, embargo prolongé le 15 septembre, au grand dam de l’Ukraine et de l’Union européenne. Une décision qui a généré des frictions sur la ligne Varsovie-Kiev, mais que le monde agricole polonais réclamait depuis plusieurs mois alors que le prix de la tonne de blé avait été divisé par deux localement.
Ireneusz Kossakowski ne s’en cache pas: il glissera un bulletin en faveur du PiS lors des élections législatives et sénatoriales du 15 octobre. "Parce que je soutiens le développement économique qu’il y a eu ici et aussi parce que le parti incarne des valeurs patriotiques et la foi catholique", explique-t-il.
Référendum tendancieux
Le scrutin s’annonce déterminant pour la démocratie polonaise et pour les nationaux conservateurs de PiS, au pouvoir en Pologne depuis 2015. Afin de remporter un troisième mandat d’affilée dans une compétition particulièrement serrée, le gouvernement a même décrété un référendum interrogeant les électeurs sur quatre points.
Ils sont invités – à grand renfort d’affichages publicitaires financés par des fondations liées à des entreprises publiques – à refuser la vente d’actifs de l’État à des étrangers; le retour d’un départ à la retraite à 67 ans; la suppression de la barrière à la frontière biélorusse censée repousser les migrants ou encore un système européen de répartition des demandeurs d’asile contraignant. Autant de questions formulées de manière tendancieuse et blâmant indirectement Donald Tusk, premier ministre polonais de 2007 à 2014.
Pour le politologue Antoni Dudek, c’est résolument "sa politique sociale" qui assure au PiS une popularité qui ne se dément pas, notamment chez les quinquagénaires et plus.
Mais Ireneusz Kossakowski se réjouit d’être consulté: "On a fait notre part avec les réfugiés ukrainiens. Et puis ce flux de migrants incontrôlé avec la frontière biélorusse, c’est impensable. Les migrants musulmans en Europe de l’Ouest ont tendance à se constituer des enclaves".
Généreux transferts sociaux
Au-delà de l’ultra-conservatisme qu’incarne le PiS – très proche de l’Église catholique, il a réussi à interdire presque complètement l’avortement en 2021 –, ce qui a aussi séduit dans des hameaux comme Nieławice, comptant moins de 200 habitants, c’est son important volet social. "J’ai quatre enfants, et l’argent des allocations familiales, on le met de côté pour plus tard", affirme Ireneusz Kossakowski.
Pour le politologue Antoni Dudek, c’est résolument "sa politique sociale" qui assure au PiS une popularité qui ne se dément pas, notamment chez les quinquagénaires et plus. Ces derniers, une fois à la retraite, bénéficient d’un 13e mois depuis 2019 et d’un 14e mois depuis 2021.
"Ce sont des sommes très importantes. Et le chef du PiS, Jarosław Kaczyński, a promis lors de la campagne qu’il augmenterait les allocations familiales de 500 à 800 zlotys", soit de 110 euros à 177 euros mensuels par enfant sans condition de revenu. Une telle revalorisation est la bienvenue alors que l’inflation polonaise a constamment dépassé les deux chiffres d’avril 2022 à août 2023, s’affichant à 8,2% le mois dernier.
Rattrapage économique
"Aujourd'hui, notre PIB par habitant équivaut à 80% de la moyenne de l'Union européenne (...). Et tout ça parce que les prestations sociales sont très étendues en Pologne”, s’exclamait Jarosław Kaczyński, le 8 juillet dernier, lors d’un pique-nique familial, prémisse à la campagne électorale, organisé au nord de Varsovie.
Les autres pays centre-européens ont connu le même phénomène et on serait de toute façon arrivé au même résultat – plus ou moins rapidement – avec un autre gouvernement et d’autres politiques économiques."
En 2004, la Pologne se situait avant-dernière dans le classement des États membres de l'UE élargie à 25 en fonction de leur PIB par habitant (à parité de pouvoir d’achat). Se situant juste avant celui de la Lettonie, son PIB par habitant n’équivalait qu’à la moitié de la moyenne communautaire.
Aujourd’hui, ce même indicateur équivaut donc à 80% de la moyenne européenne. Et le pays a déjà dépassé la Grèce, le Portugal, la Slovaquie, la Hongrie et talonne l’Espagne. Un succès qui s’étale sur une trentaine d’années, mais que les nationaux conservateurs au pouvoir n’hésitent pas à s’attribuer. Ils soulignent ainsi que le chômage a été divisé par deux entre 2015 et 2023 pour atteindre 5% en 2023 et que le PIB polonais a augmenté de 32% sur la même période.
"Les autres pays centre-européens ont connu le même phénomène et on serait de toute façon arrivé au même résultat – plus ou moins rapidement – avec un autre gouvernement et d’autres politiques économiques", nuance Hanna Cichy, économiste et analyste principale à Polityka Insight, un centre d’analyse basé à Varsovie.
Baisse de l'aide européenne
Sauf que dans une commune comme Wizna, à laquelle est rattachée Nieławice, les changements se voient à l’œil nu: l’école maternelle flambant neuve, rénovée grâce à des fonds européens est équipée de panneaux solaires, quant à l’école élémentaire, elle se chauffera cet hiver avec des pompes à chaleur.
"Nous serons une commune zéro émission avant Varsovie!", s’amuse son bourgmestre Mariusz Soliwodo, membre du PiS. "Les gens ici se sentent pris en compte par le gouvernement du PiS, ce n’était pas le cas sous les gouvernements libéraux précédents. Et puis le PiS tient ses promesses", argumente l’édile, qui vante de belles routes et énumère des investissements de moins en moins financés par le denier communautaire et de plus en plus par Varsovie.
Il faut dire que la municipalité n’a pas pu compter sur la nouvelle tranche 2021-2027 des fonds de cohésion, soit environ 2% du PIB de la Pologne, ni des fonds de relance post-Covid 19, validés par Bruxelles à l’été 2022. Ils sont toujours gelés puisque la Pologne n’a pas respecté les “jalons” sur lesquels elle s’était engagée.
La réplique de Bruxelles à la dégradation de l’État de droit en Pologne, particulièrement sensible dans une magistrature en partie politisée, courrouce Varsovie. Sans parler du regard posé par la plupart des autres États membres sur le recul de l’indépendance d’autres contre-pouvoirs démocratiques en Pologne, tels que la pluralité de la scène médiatique polonaise, alors que le PiS a fait main basse sur l’audiovisuel public en 2016.
Opposition divisée
Autant de préoccupations dont l’opposition démocratique se fait volontiers l’écho depuis 2015. Sauf que celle-ci n’a pas réussi à faire fusionner ses listes électorales, sauf pour le Sénat.
À la Diète, la chambre basse du Parlement polonais, elle se présentera en trois formations. La coalition civique (KO) de centre-droit menée par Donald Tusk est créditée de 29% dans les sondages, ce qui serait insuffisant pour vaincre le PiS situé à 34%. Mais KO peut compter sur le parti de gauche Nowa Lewica (autour de 9%) ainsi que sur les démocrates chrétiens et les agrariens de la Troisième voie (9%) pour former une coalition en cas de victoire.
Deux inconnues majeures persistent: la Troisième voie, qui aura besoin d’obtenir 8% des suffrages pour entrer au Parlement, franchira-t-elle le seuil? Dans le cas contraire, elle redistribuera ses sièges au premier arrivé, sans doute le PiS.
L'extrême droite en embuscade
Enfin, quel score fera l’extrême droite de Konfederacja (9%)? Tout tend à croire que cette alliance de libertariens, nationalistes et de monarchistes pourra compter sur davantage de mandats qu’en 2019.
Dans la dernière ligne droite, le parti au pouvoir n’a pas lésiné sur les "cadeaux électoralistes" (...).
L’opposition démocratique soupçonne la formation fondée en 2018 de pouvoir faire tacitement alliance avec le PiS à l’heure où les nationaux conservateurs risquent de ne pas disposer de majorité. Car, contrairement au dernier scrutin, il y a quatre ans, rien ne garantit une victoire du PiS, qui a laissé, cette fois-ci, les questions liées à la communauté LGBTQ+ de côté pour faire campagne contre l’immigration et Donald Tusk.
Dans la dernière ligne droite, le parti au pouvoir n’a pas lésiné sur les "cadeaux électoralistes", comme un abaissement du taux directeur de la banque centrale, dont le gouverneur est un proche du PiS, à deux reprises en moins d’un mois.
Enfin, le litre d'essence chez le pétrolier public Orlen est opportunément passé sous la barre des 6 zlotys (1,33 euro) en septembre.
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