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Le modèle FoxNews fait tache d'huile

©AFP

Les journalistes de la chaîne radio Europe 1 sont en grève contre un rapprochement avec CNews, au modèle proche de FoxNews, tout comme la nouvelle chaîne britannique GB News.

C’est une des doyennes des radios privées de France, et la cure de jouvence que son actionnaire lui prescrit provoque une levée de boucliers en interne. Une large majorité des journalistes d’Europe 1 est en grève depuis vendredi contre le rapprochement de leur antenne avec la première des télévisions d’info en continu de l’Hexagone: CNews, qui prospère en donnant une large place au commentaire polémique et à la dispute.

Dans une tribune publiée jeudi 17 juin, la société des rédacteurs de l'antenne et les syndicats d’employés avaient dénoncé un rapprochement avec cette chaîne "qui s'illustre à longueur de journée par un activisme politique fortement ancré à droite, voire parfois à l'extrême droite". Pendant la campagne des élections régionales, elle s’est fait épingler par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour avoir donné trop de temps d’antenne à des invités issus de l’extrême droite. "Nous refusons de devenir un média d'opinion", écrivaient les employés de la radio, avant de se mettre en grève vendredi.

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Un créneau média à droite

Les contours de la prochaine grille de la radio sont distillés dans les médias français. La tranche de début de soirée sera diffusée à la fois sur CNews et sur Europe 1. La matinale de la radio sera pilotée par Dimitri Pavlenko, qui donne sur CNews la réplique à une des stars de la chaîne, Éric Zemmour – polémiste marqué par une condamnation pour provocation à la haine raciale pour des propos tenus en 2016, qui se profile candidat outsider potentiel à l’élection présidentielle.

Les grévistes voient dans la nouvelle grille la main du milliardaire Vincent Bolloré, actionnaire majoritaire du groupe Vivendi (Canal+), à qui appartient CNews. Il ne détient pas Europe 1, mais 29% du groupe Lagardère, qui compte la station radio dans son portefeuille. De là à dire qu'Europe 1 passerait sous la coupe de Bolloré, "c'est un fantasme qui frôle le complotisme", a réagi Arnaud Lagardère dans les colonnes du Figaro. Qui rappelle l’état de santé d’Europe 1: la chaîne a perdu 26 millions d’euros deux ans de suite et devrait en perdre autant en 2021. Tout en assurant qu’elle "ne deviendra pas une radio d’opinion", son actionnaire mise sur des synergies avec CNews pour lui redonner des couleurs. Par contraste, cette dernière est devenue la championne de la niche de l’info continue, dépassant BFMTV, avec 2,7% de parts de marché.

"Qu'il y ait un groupe capitalistique qui sente qu'il y a un créneau en France pour les opinions de droite, c'est normal dans un pays démocratique."

Jean-Yves Camus
Politologue, Fondation Jean Jaurès

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Pour le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste des radicalités politiques à la Fondation Jean Jaurès, "qu'il y ait un groupe capitalistique qui sente qu'il y a un créneau en France pour les opinions de droite, c'est normal dans un pays démocratique, dont le paysage médiatique est extrêmement pluriel. Le téléspectateur français qui regarde CNews ou américain qui regarde FoxNews a toujours le moyen de changer de bouton".

Un terreau européen

En l’absence d’étude sur le sujet, comparer directement CNews ou la métamorphose annoncée d’Europe 1 à la chaîne américaine FoxNews ne va pas de soi, souligne François Heinderyckx, professeur de communication à l'Université libre de Bruxelles (ULB). Mais dans les grandes lignes, son modèle mêlant journaux télévisés et chroniqueurs vedettes qui éditorialisent sans s'embarrasser de vérifier leurs informations fait des petits. "Ce que l’on voit avec CNews, FoxNews et d’autres, c’est je pense la tentative de transposer à la radio et la télévision des contenus qui ont fait leurs preuves sur les réseaux sociaux, de récupérer cette appétence du public pour certains contenus extrêmes, imprégnés d’idéologie conservatrice", analyse François Heinderyckx. Dans le cas de FoxNews, non seulement le modèle a trouvé un large public, mais ses spectateurs en font souvent leur unique source d’information. La chaîne aura joué un rôle central dans l’élection du président américain Donald Trump et la circulation de messages de propagande comme celui du prétendu "vol de l’élection".

"Si GB News fonctionne, ce sera déterminant pour nous indiquer si le terrain est actuellement propice en Europe pour des phénomènes comparables à ceux que l’on a pu observer autour de FoxNews aux États-Unis."

François Heinderyckx
Professeur de communication, ULB

Le terreau européen est-il mûr pour voir émerger d’autres FoxNews? Au Royaume-Uni, la nouvelle chaîne GB News reprend précisément le concept de la chaîne américaine, souligne François Heinderyckx – "si GB News fonctionne, et on a toutes les raisons de penser que ce sera le cas, ce sera déterminant pour nous indiquer si le terrain est actuellement propice en Europe pour des phénomènes comparables à ceux que l’on a pu observer autour de FoxNews aux États-Unis". Mais quant à voir le phénomène débarquer en Belgique, François Heinderyckx n’y croit pas: parce que le paysage politique est très fragmenté, et en raison de l’exiguïté des marchés belges.

Le résumé
  • La métamorphose d'Europe 1 se fait dans la douleur: en perte de vitesse, la radio se rapproche de CNews, dont la ligne à droite et tout en clashes fait penser à celle de FoxNews.
  • Le succès de la première télévision d'info continue du pays a montré qu'il y avait un créneau média à prendre à droite.
  • En Europe, le terreau médiatico-politique pourrait voir émerger d'autres émules du modèle Fox, à commencer par le britannique GB News, reste à voir la place qu'ils prendront.

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