Mikheil Saakashvili (ex-président géorgien): "Donald Trump est bien trop rusé et orgueilleux pour être manipulé par Vladimir Poutine"

C’est par une écriture nerveuse et volontariste que l’ancien président de la Géorgie, Mikheil Saakashvili, répond aux questions de L'Echo et du quotidien italien Il Giornale, depuis sa prison de Tbilissi. Une lettre transmise à l’Echo grâce à la collaboration d’un mystérieux intermédiaire.

Arrêté en 2021, l’ancien président géorgien, viscéralement pro-occidental et progressiste, se considère aujourd’hui comme le "prisonnier personnel" du président russe Vladimir Poutine. Malgré deux grèves de la faim et un empoisonnement par des métaux lourds, il se refuse à abandonner ses combats.

Depuis son lieu de détention, il exhorte ses concitoyens à manifester contre le gouvernement pro-russe en place dans son pays, et contre les fraudes commises aux dernières élections parlementaires géorgiennes, le 26 octobre dernier.

Donald Trump, de retour à la Maison-Blanche, pourrait-il représenter un danger pour la Géorgie comme pour l’Europe?

Le président américain a été réélu sur la base d’un programme isolationniste. Mais c’est un homme imprévisible, et je ne crois pas qu’il renoncera facilement au rôle naturel de leader du monde libre, propre à tout chef de gouvernement américain. Je connais Donald Trump personnellement et je peux vous dire qu’il est bien trop rusé et orgueilleux pour être manipulé par Vladimir Poutine.

La Russie est-elle en train de gagner la guerre en Ukraine?

Il faut admettre que les troupes de Moscou avancent sur le terrain, mais jamais la Russie ne gagnera cette guerre! La seule façon de laisser la victoire au Kremlin serait l’imposition d’un embargo total sur les armes à destination de l’Ukraine.

Les sanctions occidentales suffisent-elles pour endiguer les appétits impérialistes du Kremlin?

Ces sanctions ne sont que partiellement efficaces, mais il est vrai qu’elles ont eu un impact significatif en Russie. Or, si elles étaient appliquées avec bien plus de vigueur et d’efficacité, leurs conséquences deviendraient évidentes pour tous...

Depuis la prison, vous encouragez vos concitoyens à protester contre les résultats des dernières élections parlementaires qui ont eu lieu en Géorgie. Pourquoi?

Tout simplement parce que nous venons d’assister à l’exemple le plus évident et méprisant d’élection volée de l’histoire récente! Si nous ne continuons pas à protester massivement, nous serons tous gagnés par la frustration. Et il faudra alors accepter le fait qu’un nouveau régime dictatorial a réussi à s’emparer d’une nation européenne.

Le Kremlin a été accusé d’avoir interféré dans ce scrutin, ainsi que dans les dernières élections présidentielles en Moldavie. Comment le régime russe agit-il?

Les Russes agissent de la même manière partout. Cela commence par une intense campagne de désinformation suivie par des fraudes électorales de diverses natures. Il y a, toutefois, une différence substantielle entre les interférences en Géorgie et celles ayant frappé la Moldavie: chez nous, le gouvernement est de mèche avec l’ennemi, alors qu’en Moldavie, la Russie a agi contre le pouvoir en place.

Le premier ministre géorgien, Irakli Kobakhidze, ne cesse de répéter que le gouvernement qu’il préside est pro-européen. Est-ce la vérité?

L’actuel exécutif géorgien est tout sauf pro-européen! Tous les secteurs du gouvernement et toutes les institutions nationales sont sous l’emprise d’un oligarque, Bidzina Ivanishvili, qui est à la solde du Kremlin et qui possède une très grande partie de la richesse économique produite en Géorgie.

À quelles conditions de détention êtes-vous soumis?

Pendant les trois dernières années de ma vie, je n’ai pas vu la lumière du soleil une seule fois, et je n’ai jamais pu respirer un peu d’air frais. On m’interdit d’avoir des conversations téléphoniques avec quiconque. Et je ne peux rencontrer aucun membre du Parlement géorgien et, encore moins, des représentants politiques d’autres pays.

Après votre empoisonnement, craignez-vous pour votre vie? 

Bien évidemment. Ceux qui m’ont jeté en prison, c’est-à-dire le Kremlin, avec la collaboration de l’oligarque Ivanishvili, n’ont qu’une seule envie: se débarrasser de moi pour de bon!

Qu’avez-vous pensé lorsque, au mois de février dernier, l’opposant russe, Alexeï Navalny, est mystérieusement mort en prison?

On s’est longtemps écrit des lettres pendant nos emprisonnements respectifs. À la nouvelle de sa mort, j’ai été envahi par une immense compassion pour lui. Et, puisque Poutine avait l’habitude de faire un parallèle entre Navalny et moi... Je ne peux m’empêcher de penser que je pourrais très bien être le prochain sur la liste du président russe...

(Entrevue réalisée en collaboration avec Il Giornale)