Oksana Shachko (Femen): "L'Europe court un grand danger"
Oksana Shachko, fondatrice des Femen, est exilée à Paris à la suite de son combat pour les femmes qu'elle menait en Ukraine. L'Echo a pu la rencontrer ainsi que deux de ses comparses lors de la présentation du film "Je suis une Femen".
Passionnée d’icônes, l’Ukrainienne Oksana Shachko voyait sa vie au couvent. Elle a suivi un autre chemin en fondant les Femen pour défendre, avec d’autres, seins nus et slogans écrits sur le corps, la cause des femmes. Très vite, leur lutte s’est étendue à la défense de la démocratie et à la dénonciation de la corruption en Ukraine et puis dans les anciens pays communistes. Cette nouvelle vague féministe s’est imposée dans le reste le monde.
Menacée, Oksana Shachko s’est exilée à Paris. L’Echo l’a rencontrée au Parlement européen, avec ses comparses Sasha Shevchenko et Iana Zhdanova, lors de la présentation du film "Je suis une Femen" d’Alain Margot.
Pourquoi avez-vous choisi l’exil?
"La police belge est la plus violente que nous avons rencontrée en Europe."
Ce n’est pas un choix. Nous voulions rester en Ukraine jusqu’à la fin de notre combat. Mais nous n’avions le choix qu’entre mourir, aller en prison ou nous évader. Nous nous sommes évadées. Nous avons décidé de rester libre. Nous vivions dans le danger, suivies par les autorités ukrainiennes et russes. Nous nous faisions tabasser en rue.
Vous vous sentiez en danger?
Ce n'est pas que nous nous sentions en danger. Nous étions en danger. Les politiciens ont cherché à nous faire taire, mais c'était impossible car nous ne faisions rien d'illégal. Alors ils ont envoyé les services secrets pour nous harceler. Nous avons été jetées en prison, pas seulement après nos actions mais cela pouvait arriver à tout moment, quand nous achetions du pain. Ils nous surveillaient tellement qu'ils ont fini par en savoir plus sur nous que nous-mêmes. La dernière fois, ils ont caché des armes et des bombes dans notre bureau à Kiev pour nous accuser d'actes de terrorisme. Nous nous sommes enfuies.
Quand a commencé cette violence contre vous?
Après notre action contre Poutine. Il n’a pas aimé. Il a fait pression sur le gouvernement ukrainien pour qu’il nous harcèle. Aujourd’hui, nous vivons à Paris avec un statut de réfugiées politiques.
Vous vous cachez?
Nous vivons ouvertement. Mais c'est vrai que nous nous sommes calmées, nous avons cessé l'activisme.
Vous dérangiez?
Oui. Quand nous avons commencé nos actions en 2008, la société a réagi de manière agressive. Nous étions insultées dans les médias. Les anciens pays communistes ne sont pas prêts au féminisme. Ils haïssent les femmes qui se disent féministes. Même aujourd'hui, après la révolution en Ukraine c'est pire qu'avant.
Comment avez-vous lancé votre mouvement?
On ne s'est pas levée ainsi un matin à l'âge de 18 ans en décidant que nous deviendrions les Femen. Nous avons commencé dans plusieurs organisations à lutter pour des causes comme les enfants disparus, les droits des femmes. C’était difficile de se faire entendre. Nous avons pris le temps de développer un style de performances qui touche le plus grand nombre. Nous voulions faire plus que crier dans la rue, mais sans utiliser de violence.
Vous vous êtes définie de suite comme un mouvement féministe?
Non, nous nous sommes d'abord définies comme un mouvement de femmes, c'était bien trop honteux au regard de la société ukrainienne de se dire féministe. C'est un mauvais mot, une insulte, qui rend difficile d'attirer des activistes.
D'où vient cette idée de manifester sein nu?
C'est arrivé en 2010. Nous réfléchissions à la meilleure manière de dénoncer la prostitution. Nous voulions déstabiliser les oligarques au pouvoir. En tant que femme, que peut-on faire de plus que dire notre colère? Nous avons décidé de nous dénuder. Nous avons commencé à titre expérimental et peu à peu le groupe s'est formé. Certaines filles ne voulaient pas participer, elles nous ont quitté, d'autres voulaient se radicaliser encore plus. Notre action est la plus pacifique pour protester. Qu'est-ce qu'il y a de moins violent qu'une femme nue?
La police a été violente avec vous?
Oui. Je dois vous dire que la police belge est la plus violente que nous avons rencontrée en Europe. Chaque fois qu’ils nous ont arrêtées, ils nous ont pressé les bras jusqu’à ce que la peau devienne bleue et enfermées dans une prison atroce. Les prisons belges sont horribles, les plus horribles d'Europe. Croyez-moi, nous sommes venus dix fois. Ils ne vous battent pas, ils vous humilient.
Les phrases clés
"Nous sommes fières d’avoir créé une nouvelle manière de manifester, d’affronter ses ennemis en face en étant créatives et pacifiques."
"Je n’ai pas beaucoup d’espoir pour les vingt ans à venir. Mais les dirigeants comme Trump vont faire des erreurs."
Vous avez quitté l’activisme des Femen?
Nous avons développé le mouvement pendant six ans. Avec le temps, il s’est internationalisé. Il est devenu à la mode, avec la perte de sens que cela suppose. Et puis, physiquement, ce n’est plus possible, nous avons fait tellement durant ces années. Subi une telle répression. C'est difficile de poursuivre un mouvement de rébellion de cette manière. Six ans, c'est déjà long. Nous sommes fières d’avoir créé une nouvelle manière de manifester, d’affronter ses ennemis en face en étant créatives et pacifiques.
Quels sont vos projets?
Je suis une artiste. Je continue mon combat en utilisant l’art pour mobiliser et provoquer. Je peins des icônes, en cherchant à alimenter la réflexion sur le corps de la femme, sa liberté sexuelle. C'est un tout autre niveau. Je réalise aussi des icônes religieuses orthodoxes mais elles sont iconoclastes, je ne pense plus, comme quand j'étais enfant, avoir reçu un don de dieu.
Vous avez commencé votre lutte dans les anciens pays communistes. Parlons de l'Europe occidentale. Y a-t-i des choses à changer?
Bien sûr, il y a plein de choses à changer. Le problème le plus grave pour l'Europe, mais aussi dans le monde, c'est la montée des idées nationalistes. Les gens supportent de plus en plus les populistes et les nationalistes. Nous sommes en pleine régression. Prenez le droit à l'avortement, un droit de base pour les femmes. Il est remis en question en Pologne. Vous pensez que cela ne va pas arriver ici? Détrompez-vous. Les différences salariales entre hommes et femmes restent importantes, même ici, en France et en Belgique.
Quels sont vos espoirs ce 8 mars, lors de la journée internationale des droits des femmes? Comment voyez-vous la société évoluer?
Le 8 mars est la journée des droits des femmes, c’est très bien. Quand ont rencontre les Femen, on se dit "On va parler féminisme". Mais nous, nous ne voulons pas parler que des droits des femmes. Comme êtres humains, nous voulons parler des problèmes qui existent. Les féministes parlent de tous les problèmes. Il faut élargir le débat aux droits humains et aux problèmes de notre société. L’Europe court un grand danger à cause de la montée du nationalisme. Vous le voyez à travers la crise causée par le Brexit et les élections en France. Je suis inquiète que Le Pen ou Fillon président ce pays. Le danger est réel. C'est fou ce qui s'est passé aux Etats-Unis. Personne ne pensait que Trump gagnerait, mais il a gagné. Leur arrivée au pouvoir signifierait une régression des droits des femmes.
Je n’ai pas beaucoup d’espoir pour les vingt ans à venir. Mais les dirigeants comme Trump vont faire des erreurs. Les gens finiront par comprendre, ils voudront un vrai changement. Et ça, c’est positif.
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