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analyse

Pourquoi Chypre bloque les sanctions européennes contre la Biélorussie

Le Président de la République chypriote, Nikos Anastasiadis, est opposé aux sanctions européennes contre le régime de Loukachenko. ©Photo News

Les dirigeants européens ont prévu d'adopter cette semaine les sanctions contre le régime de Loukachenko, mais Chypre conditionne son accord à des sanctions contre la Turquie. Un veto qui sert indirectement les intérêts de la Russie.

Les dirigeants de l'Union européenne (UE) se pencheront lors du sommet des 1 et 2 octobre sur les sanctions contre le régime du Président biélorusse Alexandre Loukachenko. Le dictateur, dont la réélection n'est reconnue ni par l'Europe ni par les États-Unis, mène une répression féroce contre l'opposition et les dizaines de milliers de Biélorusses qui manifestent contre lui. En deux mois, 12.000 personnes ont été arrêtées et plus de 500 torturées selon Amnesty International. Quant aux rivaux de Loukachenko, ils sont en prison ou exilés.

La situation est surréaliste. Un seul État européen, Chypre, bloque l’adoption des sanctions dirigées contre 40 proches de Loukachenko. Les discussions s'annoncent difficiles.

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"Au-delà de la question turque, il faut voir dans ce veto un soutien indirect à la politique russe."

Un diplomate européen

Chypre, intraitable, conditionne son accord à l’adoption de sanctions contre la Turquie, dont les forages en Méditerranée ont provoqué des tensions cet été. Dans les milieux diplomatiques, cette stratégie est considérée comme contreproductive, car les tensions entre Ankara et Athènes se sont apaisées ces derniers jours. Un dialogue est en cours, qui serait torpillé par des sanctions. En outre, l’UE rechigne à sanctionner un allié de l’Otan, de surcroît candidat à l'adhésion.

Chypre dans l'orbite de Moscou

Le blocage de Chypre est en ligne avec les intérêts de la Russie, le seul allié de Loukachenko. Moscou, craignant de perdre la Biélorussie, considère ces sanctions comme une ingérence dans sa politique. "Au-delà de la question turque, il faut voir dans ce veto un soutien indirect à la politique russe", confie un diplomate européen, "l'influence de la Russie sur Chypre est importante".

Ce n’est pas la première fois que Nicosie adopte une position bénéficiant à la Russie. En 2016, le parlement chypriote avait adopté une résolution appelant à supprimer les sanctions européennes prises contre la Russie lors du conflit en Ukraine.

"Chypre s'est opposée officiellement aux sanctions contre le régime biélorusse au lendemain de la visite du ministre des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov."

Rasa Jukneviciene
Eurodéputée du PPE

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Chypre s’était aussi tournée vers Moscou en 2013, après la crise économique, pour obtenir de l’argent frais, provoquant la colère de la Chancelière allemande Angela Merkel, peu désireuse de voir un État européen s’installer dans l’orbite de la Russie.

Le blocage de Nicosie inquiète jusqu'au Parlement européen. "Chypre s'est opposée officiellement aux sanctions contre le régime biélorusse au lendemain de la visite du ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. Je trouve cela étrange", dit Rasa Jukneviciene, eurodéputée du PPE. "Les deux pays sont proches, il y a une grande communauté russe à Chypre."

Chypre, première destination de l’argent russe

Les relations entre Chypre et la Russie sont étroites, enracinées dans une religion commune. L’île est la deuxième destination touristique des Russes. C'est tout à fait louable, mais cela n'explique pas leur degré de proximité politique.

Chypre est la première destination étrangère de l’argent russe dans le monde. Fin 2012, Moody’s évaluait les capitaux russes à Chypre à environ 31 milliards de dollars, ce qui est supérieur au PIB du pays. Un tiers des avoirs est déposé dans les banques chypriotes. Les prêts transfrontaliers aux entreprises russes basées à Chypre étaient estimés entre 30 et 40 milliards de dollars.

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Fin 2012, Moody’s évaluait les capitaux russes à Chypre à environ 31 milliards de dollars, ce qui est supérieur au PIB du pays.

Cet argent repart le plus souvent vers la Russie, ce qui fait de Chypre le premier investisseur étranger en Russie.

Milliardaires et mafia russe

Chypre, et ses banques, attirent les milliardaires russes comme un aimant. Ces dernières années, cette attractivité s’est accrue, après la prise de sanctions contre Moscou suite à l’annexion de la Crimée.

De nombreuses personnalités, visées par les sanctions européennes et américaines, y ont envoyé leur argent. En 2014, la banque russe VTB faisait l’objet de sanctions européennes et américaines. Quatre ans plus tard, le gouvernement chypriote accordait la nationalité... à trois de ses dirigeants.

Cela va plus loin. Selon une enquête d'Al Jazeera, publiée en août dernier, plus de 1.000 Russes sont devenus chypriotes ces dernières années, suite à un "plan d’investissement" gouvernemental.

Plus de 1.400 documents obtenus par la chaîne qatarie dans le cadre des "Cyprus Papers" montrent comment des milliardaires et des membres de la mafia russe ont obtenu la nationalité chypriote et l’accès à l’UE après avoir payé leur "passeport doré" et promis des investissements substantiels.

Parmi ces "nouveaux Chypriotes", une trentaine, naturalisés entre 2017 et 2019, sont considérés comme "à haut risque". Tous sont connus ou poursuivis pour des affaires criminelles, qu'il s'agisse de blanchiment d'argent, de corruption ou de fraudes. Depuis ces révélations, Chypre a retiré 7 de ces "passeports" dorés.

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