Sur la piste de l'or belge: d'Ostende à Londres, via le Sahara et une mine de sel allemande
Mais où sont donc logées les réserves d'or de la Belgique que le gouvernement envisage de vendre en partie pour financer nos efforts de défense? Suivez le guide.
"The old lady of Threadneedle Street". Aucun panneau ne l'indique, mais ici, au cœur de la City de Londres, à dix minutes de marche de London Bridge, se trouve l'or de notre pays. Derrière la façade majestueuse de la Banque d'Angleterre, fondée en 1694 et surnommée "la vieille dame", est stockée la majeure partie des réserves belges de ce métal jaune, "relique barbare" (selon le célèbre économiste John Maynard Keynes) que nombre d'investisseurs très policés continuent à considérer comme l'ultime valeur refuge en temps de crise.
Le solde de nos stocks d'or est conservé à la Banque du Canada à Ottawa et à la Banque des règlements internationaux à Bâle, en Suisse. Les coffres de la Banque nationale à Bruxelles en renferment un peu également, mais une fraction seulement des 227,4 tonnes totales, soit 18.192 lingots standards de 12,5 kilos. Au cours actuel d'environ 90.000 euros par kilo, cet or vaut près de 20,5 milliards d'euros.
Périple improbable
La présence de ces lingots principalement à Londres est liée à la Seconde Guerre mondiale. "Avant, l'ensemble des réserves d'or belges était à la Banque nationale", explique le porte-parole Geert Sciot. Lors de la construction de la jonction Nord-Midi à Bruxelles, un quai de déchargement avait même été prévu sous la banque pour les transports d'or par chemin de fer. Mais face à la menace de guerre, les autorités ont décidé de transporter les réserves à l'étranger."
Ainsi, à la fin des années 1930, deux tiers de l'or belge, soit 600 tonnes à l'époque, ont été transférés aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Le reste, 198 tonnes réparties dans 4.944 caisses, a connu une odyssée improbable depuis le port d'Ostende via la France et le Sahara africain pour finir dans une mine de sel allemande.
En avril 1945, les troupes américaines ont retrouvé 130 tonnes de l'or belge dans une mine de sel allemande.
Ce périple s'explique par la décision des Français, à qui la Belgique avait confié l'or, de ne pas expédier les caisses comme convenu aux États-Unis, mais vers leurs colonies africaines. Là, elles ont atterri via Dakar à Kayes, à la lisière du Sahara.
Ensuite, sans l'accord des Belges, la France les a cédées aux nazis dans le cadre d'un échange de prisonniers de guerre. Après une longue bataille juridique, la Banque de France a indemnisé notre Banque nationale et en avril 1945, les troupes américaines ont retrouvé 130 tonnes de l'or belge dans une mine de sel allemande.
Coffres-forts souterrains
Depuis lors, le stock, qui a diminué au fil des ans, est donc principalement conservé à la Banque d'Angleterre. Les lingots d'or belges y sont en bonne compagnie, parmi un total de 400.000, appartenant au Royaume-Uni et aux banques centrales du monde entier. Cela fait du complexe de neuf coffres-forts sous Threadneedle Street, le plus grand au monde, après celui de la Réserve fédérale à New York. Les lingots y sont rangés par 80, parfois six de haut, avec généralement un poinçon indiquant le propriétaire.
La Banque d'Angleterre lâche un très british "no comment" en réponse à toute question sur les mesures de sécurité entourant cet or, sauf pour préciser qu'elle applique "les normes les plus élevées" en la matière. De fait, pas un gramme d'or n'a jamais été volé dans ses coffres, alors que leur contenu pèse pas moins de 450 milliards d'euros. Un plombier a bien découvert une ancienne entrée souterraine en 1836, ce qui lui a valu, en guise de remerciement pour son honnêteté, une récompense de 800 livres, soit pas moins de 92.000 euros aujourd'hui. Un geste à la hauteur du risque ainsi neutralisé.
"De temps en temps, un employé de notre Banque nationale va vérifier si notre or est conservé selon les conditions prescrites."
Sécurité oblige, les images des coffres-forts d'or sont rares. On a à peine pu les entrevoir quelques instants, lors d'une visite de la reine Elizabeth II en 2012. Un Belge y accède cependant régulièrement.
"De temps en temps, un employé de notre Banque nationale va vérifier", relève Geert Sciot. "Il dresse un inventaire et vérifie si notre or est conservé selon les conditions prescrites", ajoute-t-il sans vouloir donner plus de détails.
Protection en période de turbulences
Ces City trips se poursuivront-ils à l'avenir, alors que le gouvernement De Wever envisage de vendre une partie des réserves d'or pour doper le budget de la défense? La Banque nationale tient à faire savoir que seul son comité de direction peut décider de vendre. Mais ce ne serait pas la première vente d'or belge (voir l'encadré).
"L'or offre une protection contre les sanctions internationales via des services comme Euroclear ou Swift, qui gèlent les avoirs étrangers"
Les experts jugent qu'une nouvelle opération de vente serait malvenue. "Notre pays ferait le contraire du reste du monde", avertit Philippe Gijsels, stratégiste en chef chez BNP Paribas Fortis et expert du marché de l'or. Il cite la Russie, la Chine, l'Inde et la Turquie.
"Depuis l'invasion russe en Ukraine, les banques centrales achètent de l'or. Pourquoi? Cela protège contre les sanctions internationales via des services comme Euroclear ou Swift, qui gèlent les avoirs étrangers. Votre or, il est littéralement dans vos coffres. Si vous avez un endroit sûr pour le stocker. Il ne peut être gelé par des nations hostiles."
Ces derniers temps, on notera ainsi que la Pologne a augmenté ses réserves d'or, stockées en partie dans le pays, mais aussi à New York et à Londres. Rien qu'en 2024, elles ont été étoffées de près de 90 tonnes. Les experts estiment que le pays se prépare ainsi à affronter l'incertitude financière ou une crise économique en période instable. "L'or conserve sa valeur et offre une sécurité, surtout en temps de turbulences", souligne Philippe Gijsels.
C'est un héritage du rôle historique de l'or. "Autrefois, chaque unité de monnaie en circulation devait être couverte par une valeur équivalente en or, explique Gijsels. Cela empêchait la création incontrôlée de monnaie, mais dans les années 1970, ce lien a été abandonné. Pourtant, l'idée de l'or comme réserve stable persiste. Pourquoi l'or? En partie par hasard. Il ne peut être contrefait, ne se détériore pas, est joli à regarder... Mais surtout: il est universellement reconnu comme précieux et rare."
Rapatrier nos réserves en Belgique?
Et aujourd'hui, toujours pour la même raison (la sécurité), de nombreux pays occidentaux rapatrient leur or. En 2014, la banque centrale néerlandaise a transféré 122,5 tonnes d'or des États-Unis vers les Pays-Bas. Avant l'euro, la Bundesbank allemande conservait presque toutes ses réserves d'or à l'étranger, mais maintenant, la moitié est de retour à Francfort.
Les Pays-Bas ont montré comment cela se passe en pratique, il y a deux ans. En quatre semaines, ils ont transporté 14.166 lingots d'or (177 tonnes) avec quatre camions blindés et anonymisés sous escorte policière d'Amsterdam vers un nouveau centre de trésorerie à Zeist. L'opération a nécessité des mois de préparation par la police et l'armée.
"Nous ne voyons pas l'utilité d'une opération aussi lourde, complexe et coûteuse."
"Pour la Belgique, une vente ou un rapatriement de l'or n'est pas à l'ordre du jour, avance Geert Sciot. Nous ne voyons pas l'utilité d'une opération aussi lourde, complexe et coûteuse." Cependant, la conservation à Londres et ailleurs a aussi un coût. L'ancien ministre des Finances Johan Van Overtveldt (N-VA) a déclaré en 2015 que cela nous était facturé 250.000 euros par an.
Si notre pays changeait d'avis, il dispose déjà de l'infrastructure nécessaire. La Banque nationale possède un tout nouveau complexe de coffres ultra-sécurisés à Zellik.
"Ne jamais dire jamais, dit Geert Sciot. Le complexe de Zellik est conçu pour stocker de l'or en toute sécurité. Mais même si nous le faisions, nous ne révélerions jamais à l'avance un tel transfert."
Ce ne serait pas la première fois que la Belgique décide de vendre son or. Entre 1989 et 1998, à l'approche de l'adhésion à la zone euro, le pays a cédé en cinq étapes un total impressionnant de 1.006 tonnes d'or. Jacques van Ypersele de Strihou, alors chef de cabinet de Wilfried Martens, du roi Baudouin et du roi Albert II, a plus tard reconnu avoir suggéré cette idée à Fons Verplaetse, le gouverneur de la Banque nationale à l'époque.
Les bénéfices de ces ventes ont été utilisés pour réduire la dette publique élevée, dans le but de se conformer aux critères de Maastricht, qui imposent notamment une dette publique maximale de 60% du produit intérieur brut.
En 2005, soit plus de 15 ans plus tard, le Premier ministre Guy Verhofstadt a lui aussi utilisé ce tour de passe-passe. Alors que la décision de vendre revenait théoriquement à la Banque nationale, le gouvernement a vendu 30 tonnes d'or supplémentaires.
Aujourd'hui, la Belgique se classe 23e parmi les pays possédant les plus grandes réserves d'or. Les États-Unis dominent ce classement avec 8.133 tonnes, suivis par l'Allemagne avec 3.352 tonnes et l'Italie avec 2.452 tonnes.
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