Pourquoi le CRM, dossier clé de l'après-nucléaire belge, traîne
Complexe mais essentiel, le mécanisme de soutien aux capacités de production d'électricité (CRM) n'est pas prêt. Pourtant, le temps presse alors que la sortie du nucléaire est programmée pour 2025. État des lieux des divergences entre acteurs et d'un calendrier de plus en plus serré.
Parmi les dossiers relégués au second plan par le coronavirus, nul n'est sans doute plus brûlant et complexe que le CRM, ou "mécanisme de rémunération de la capacité".
Récapitulons. D'ici à 2025, la Belgique fermera ses sept réacteurs nucléaires. Le mix énergétique belge se trouvera amputé de sa principale source de production. Ce manque à gagner, il faudra le combler. Dans une logique de transition énergétique, il apparaît évident de donner la part belle aux sources renouvelables mais, dans les faits, l'intermittence de ces moyens de production obligera le pays à recourir également à des combustibles fossiles, le gaz en particulier, par définition émetteurs de CO2.
Le problème, c'est que bon nombre de ces centrales à gaz sont sous-utilisées, peu rentables et disposent d’installations dépassées. Elles sont également trop peu nombreuses pour pallier l'absence du nucléaire. Et c'est là qu'intervient le CRM. Ce mécanisme est censé permettre de rémunérer la capacité disponible mise à disposition par les centrales. Un objectif double est visé: l’assurance de la sécurité d’approvisionnement en électricité et le financement des centrales au gaz.
Financement
Où en sommes-nous? "Le cadre légal général du CRM a été approuvé par le Parlement en avril 2019", rappelle Marie Christine Marghem (MR), la ministre fédérale de l'Énergie. "Ce cadre a été communiqué à la Commission européenne, qui nous est revenue avec des questions techniques portant, notamment, sur le financement." C'est à la fin du mois de mars 2020 que la 'task force' CRM a apporté ses réponses à la Commission. Aujourd'hui, la balle est à nouveau dans le camp de l'Europe, la Commission devant se prononcer sur les réponses apportées, dans l'espoir que le dossier soit enfin jugé complet.
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"Nous ne comprenons pas ce qu'attend la ministre pour prendre les arrêtés."
La prochaine étape consiste en l'élaboration de six arrêtés royaux d'exécution déterminant la mise en place du CRM. Parmi eux, celui définissant le mode de financement pose question. Un point qui suscite, depuis plusieurs semaines, des questions à la Chambre. "Nous ne comprenons pas ce qu'attend la ministre pour prendre les arrêtés. Elle se cache derrière l'argument d'un gouvernement en affaires courantes et renvoie la balle au Parlement", se plaint le député fédéral Malik Ben Achour (PS). Ce à quoi la ministre Marghem rétorque: "Le gouvernement n'est pas en mesure de prendre une décision actuellement, mais cela ne veut pas dire que le Parlement est empêché d'agir!"
"Le gouvernement est sur sa voie et s'il est sollicité par le Parlement pour une méthode de financement, il suffira de la soumettre à l'Europe et puis c'est fait!"
Trois pistes sont à l'étude pour le financement. L'une, prévoyant la facturation des coûts à travers la redevance du gestionnaire du réseau de transport d'électricité Elia a fait l'objet d'une résolution proposée par le député Michel De Maegd, MR lui aussi. "Le gouvernement est sur sa voie et s'il est sollicité par le Parlement pour une méthode de financement, il suffira de la soumettre à l'Europe et puis c'est fait!", assure la ministre de l'Énergie.
La Creg, cavalier sans tête
Outre ce jeu de renvoi de la patate chaude, un autre problème est sous-jacent à la mise en place du CRM. La Creg, régulateur fédéral de l'énergie, apparaît de moins en moins encline au déploiement du CRM, à mesure que son impact financier se fait connaître. De plus, le régulateur juge une étude d'adéquation menée par Elia trop pessimiste et "surestimant les besoins de capacités".
"La Creg n’est certainement pas contre le principe de la mise en place d’un CRM. La Creg souhaite cependant que le coût d’un tel mécanisme ne soit pas plus élevé que nécessaire. Elle constate que le mécanisme, tel qu’introduit auprès de la Commission, pourrait s’avérer extrêmement coûteux", se justifie le régulateur par courrier, à défaut d'accepter une interview.
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"Il serait plus élégant de ne pas procéder à des nominations politiques en fin de gouvernement."
Il semble bon de rappeler que la Creg évolue sans président depuis des mois. En l'absence de capitaine, il semblerait que ce soit Andreas Tirez, l'un des membres du comité de direction, qui tienne les rênes de l'organisation, fort de son inimitié pour le principe de marché subsidié et prônant une approche plus libérale. Peut-être la nomination d'un président, et pourquoi pas parmi les trois candidats déjà retenus à l'issue de la procédure de sélection du Selor, permettra d'adoucir les tensions entre la Creg et Elia, ainsi que tous les autres acteurs du dossier.
Là, la balle est dans le camp de la ministre Marghem, mais pour elle, "il serait plus élégant de ne pas procéder à des nominations politiques en fin de gouvernement". Il faudra donc composer avec les vues d'Andreas Tirez et, surtout, s'armer (encore) de patience, en espérant que ce dossier ne finisse pas par mettre la sécurité d'approvisionnement en péril.
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