Entre Alibaba et la Wallonie, un marché de dupes?
Jonathan Holslag, professeur à la VUB, estime que l'activité de la société Alibaba à l'aéroport de Liège profite surtout aux Chinois. Ce que réfutent certains responsables wallons.
Les Chinois plus inventifs que les trafiquants de drogue? C'est ce qu'affirme Jonathan Holslag, professeur en relations internationales et spécialiste de la Chine à la VUB, dans une contribution d'une dizaine de pages sur l'activité de la société d'e-commerce Alibaba à l'aéroport de Liège.
Selon lui, l'État belge a été naïf en accueillant en 2019 Alibaba à Bierset. "La Belgique était terriblement mal préparée et nous nous sommes laissé berner par des promesses."
"Le gouvernement chinois écrit littéralement dans ses textes politiques qu'il veut court-circuiter nos entreprises avec des sociétés comme Alibaba (...)."
Ces affirmations ont fait réagir plusieurs responsables wallons que nous avons contactés. Reprenons les arguments des uns et des autres.
Un marché déséquilibré?
Jonathan Holslag affirme que le marché entre Wallons et Chinois est déséquilibré. "Ces trois dernières années, les exportations belges aériennes vers la Chine ont diminué de 60 millions d'euros, là où les exportations chinoises sur notre territoire ont augmenté de 600 millions d'euros."
Michel Kempeneers, directeur des affaires internationales de l'Awex (l'agence wallonne à l'exportation), se défend. "Les avions arrivent remplis à 100% et repartent chargés à 80% de produits européens."
Pour Jonathan Holslag, peu d'emplois directs ont été créés à Bierset. "L'arrivée d'Alibaba n'a même pas comblé les pertes liées au départ de FedEx pour la France", affirme-t-il.
Pour Michel Kempeneers au contraire, "la croissance de la filiale d'Alibaba en Belgique se déroule selon les plans avec déjà 300 emplois créés et 900 prévus dans les 4 à 5 prochaines années".
Pour les PME wallonnes, le hub de Bierset devait en principe faciliter l'accès au marché chinois. Or il n'en est rien, affirme le professeur Holslag. "Le gouvernement chinois écrit littéralement dans ses textes politiques qu'il veut court-circuiter nos entreprises avec des sociétés comme Alibaba."
Bernard Piette, directeur du pôle de compétences Logistics in Wallonia, basé à Liège, apporte un sérieux bémol: "Nous sortons de trois années de pandémie, marquées par une économie chinoise fermée."
Il admet nénamoins que l’accès au marché chinois n'a jamais été aisé. "Toutes les PME wallonnes ne sont pas forcément bien préparées. Il y a des questions de conformité et de formalités d’exportations notamment."
Enfin, pour le professeur Holslag, Alibaba ne profiterait pas à l'économie wallonne. "La Wallonie manque d'ambition industrielle et la présence d'Alibaba va compliquer davantage la hausse de production wallonne et la hausse de la valeur ajoutée en mettant sur le marché des produits qui n'ont pas les mêmes standards et qui échappent aux contrôles douaniers."
"Si on avait raté le dossier Alibaba, la Wallonie se serait fait incendier dans la presse, (...) deux mois seulement après l'échec du dossier Zalando."
Pour Bernard Piette au contraire, ce serait oublier le rôle de levier que la logistique remplit pour l’industrie. "Sans logistique, pas d’industrie." Et il contre-attaque: "Si on avait raté le dossier Alibaba, la Wallonie se serait une fois de plus fait incendier dans la presse. Ce dossier d’implantation a été signé deux mois seulement après l’échec du dossier Zalando. Alibaba avait de toute façon le projet de s’installer en Europe de l’Ouest. Si ce n’était pas en Wallonie, ils se seraient installés dans le sud des Pays-Bas ou dans l’ouest de l’Allemagne."
Michel Kempeneers précise du reste que si les pouvoirs publics wallons ont soutenu le développement de l’aéroport, "pas un euro d’aide directe n’a été accordé à Alibaba qui a financé lui-même son implantation à Liège".
Là où tous les intervenants se rejoignent, c'est sur l'insuffisance des contrôles douaniers. Malgré la récente augmentation des effectifs, il manquerait toujours au moins 1.000 douaniers pour effectuer des contrôles. "Moins il y a de contrôles, moins il y a de risque de droits d'importation supplémentaires", selon Holslag.
Michel Kempeneers confirme: "L’e-commerce représente 15% de l’activité de l’aéroport de Liège. Avec plus de 600 millions de colis par an, c’est un challenge. Mais c’est vrai pour toutes les douanes en Europe. Un pourcentage infime de la marchandise est vérifié. Mais ce n’est pas la faute de la Chine."
"On peut aimer ou ne pas aimer l’e-commerce, c’est d'abord la conséquence – et non la cause – de nos modes de consommation", ajoute Bernard Piette.
Espionnage
Reste la délicate question de l'espionnage présumé. C'est le point qui inquiète le plus Holslag.
"Alibaba est tenu par la loi de partager toutes les informations avec le gouvernement chinois."
"Alibaba recueille des informations sur les consommateurs qui lui achètent des produits. Amazon et bol.com aussi, mais la réglementation sur la sécurité des données est différente en Chine qu'aux États-Unis et ici: Alibaba - comme TikTok - est tenu par la loi de partager toutes les informations avec le gouvernement chinois."
L’an dernier, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld) avait déjà mis en garde contre le risque d’espionnage lié à la présence d’Alibaba à Liège. Il appuyait ses dires sur des informations fournies par la Sûreté de l’État.
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