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Revenir au bureau, oui, mais pour y faire quoi?

La fin du télétravail obligatoire signe le retour, progressif, au bureau. Comment accompagner ce mouvement, tout en évitant ses pièges? Plus que jamais, la question du sens est centrale.

Tel est le poids des mots. Un simple glissement d'adjectif qui déboule, sur le terrain, sur un changement de paradigme. Ainsi en décidait le Comité de concertation à la mi-novembre: foi de pandémie, le télétravail redevenait "obligatoire", à hauteur de quatre jours par semaine. Ainsi allégeait le même Codeco il y a une semaine: travailler à la maison n'est plus obligatoire, seulement "recommandé". Nuance.

La date pivot, c'était ce vendredi 18 février. Le lundi 21 marquera-t-il le début d'une grande transhumance? Back to the office? "Cela se fera de manière progressive, estime Joris Vandersteene, expert télétravail au sein de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). N'oublions pas que le télétravail demeure recommandé."

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"En deux ans, les gens ont changé."

Anouk van Oordt
Managing director d'OOO

Reste que les entreprises vont devoir accompagner ce retour au bureau, tout progressif soit-il. Comment procéder? Quels sont les pièges à éviter? Et peut-on vraiment prétendre repartir comme en 2019, comme s'il ne s'était rien passé? "En deux ans, les gens ont changé", assure Anouk van Oordt, fondatrice et managing director d'OOO, entreprise spécialisée en "change management" et en design.

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Télétravail: l'âge de pierre

Avant de se demander vers où l'on se dirige, un petit coup d'œil dans le rétroviseur. D'où vient-on? De pas très loin. "En matière de télétravail, la Belgique est très conservatrice, déplore Mario Santy, 'transformation manager' au sein de la société de conseil BDO. Il y a beaucoup de retard à rattraper." Ce qui fait sourire Anouk van Oordt. "Cela fait 25 ans que nous prônons le travail hybride."

"En matière de télétravail, la Belgique est très conservatrice. Il y a beaucoup de retard à rattraper."

Mario Santy
Transformation manager chez BDO

Au moins, la crise du covid aura-t-elle joué le rôle d'accélérateur. "Pas mal d'organisations ont posé des balises dès la fin du premier confinement, lors du printemps 2020, soulève Laurent Taskin, professeur en gestion des ressources humaines à la Louvain School of Management (UCLouvain). Le retour progressif au bureau avait déjà été envisagé; l'heure est donc à la réactivation de ces plans."

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Cela étant, si nombre de conventions collectives de travail ont été ajustées afin de tenir le cap de la pandémie, ce n'est pas le cas partout. "Certaines entreprises n'ont pas adapté leurs conventions", avertit Katleen Jacobs, experte télétravail au sein du secrétariat social SD Worx. Ce qui fait qu'une fois la recommandation officielle tombée, elles retomberont sur le régime de travail qui prévalait avant le coronavirus. Retour en arrière garanti.

Quels sont les pièges à éviter?

Il en reste donc, du chemin à parcourir. Et celui-ci n'est pas dénué de chausse-trapes. Dont le premier n'est autre que le déni. "Le piège serait de faire comme si ces deux ans n'avaient pas existé, insiste Laurent Taskin. Oui, l'opérationnel a fonctionné; ce qui n'est pas le cas pour tout ce qui fait que l'on est une entreprise, un groupe social. On a perdu de l'informel et de la convivialité au sein des équipes. Ces moments d'ajustement ont disparu des relations de travail, pour ne conserver que le 'transactionnel'."

"Le piège serait de faire comme si ces deux ans n'avaient pas existé. Oui, l'opérationnel a fonctionné; ce qui n'est pas le cas pour tout ce qui fait que l'on est une entreprise, un groupe social. On a perdu de l'informel et de la convivialité au sein des équipes. Ces moments d'ajustement ont disparu des relations de travail, pour ne conserver que le 'transactionnel'."

Laurent Taskin
Professeur en gestion des ressources humaines (UCLouvain)

À l'opposé, on trouve la précipitation. "C'est l'occasion de tester et d'explorer", avance Joris Vandersteene. Pourquoi se précipiter pour tout graver dans le marbre? Le tout en gardant à l'esprit que le télétravail ne constitue pas un objectif en soi. "Il ne constitue qu'un moyen", ajoute Laurent Taskin. Pouvant être combiné avec d'autres, comme les horaires flottants, glisse-t-on chez SD Worx.

Un moyen qui demande toutefois "une certaine maturité managériale", reprend le professeur de l'UCLouvain. Impliquant un management qui ne panique pas parce qu'il ne voit pas le personnel, approuve Mario Santy. "C'est effrayant le nombre de fois où l'on comprend que le management n'a pas confiance en ses équipes. Et croit à la recette 'old style', le 'management by walking around'." Proche de la surveillance, et nécessitant la présence physique de tous. Alors qu'il est urgent de basculer dans une vision centrée sur les objectifs et les résultats.

Un dernier pour la route; et non des moindres. Tous les experts consultés sont formels: la période du "one size fit all" est révolue. "Débarquer avec une politique établissant par exemple trois jours obligatoires au bureau pour tout le monde n'a pas de sens, poursuit Mario Santy. Parce que toutes les équipes ne travaillent pas de la même façon." Autre certitude: le 100% présentiel a vécu, pour de bon.

Comment faire, alors?

L'heure est au sur-mesure, indique-t-on à la FEB. "La solution universelle n'existe pas. Chaque société dispose de sa propre culture et, en son sein, de différents sites, équipes ou individus. L'idée est d'éviter de rédiger un cadre trop strict empêchant le sur-mesure." Cadre qui doit faire l'objet d'une communication claire quant aux intentions qui l'ont façonné, souligne Cécile Blaise, consultante RH chez Securex.

"Durant deux ans, le personnel a prouvé qu'on pouvait lui faire confiance. Il faut à tout prix éviter l'impression que la direction ne lui fait plus confiance et lui retire un avantage."

Cécile Blaise
Consultante RH chez Securex

Voilà l'idée maîtresse, enchaîne Laurent Taskin. Définir des balises générales à l'intérieur desquelles subsiste une marge de manœuvre. Marge qui permettra de s'adapter au vécu et aux besoins de la vie de l'équipe. "C'est important de créer un espace de dialogue au sein de chaque direction, service ou équipe. Tout d'abord parce qu'il existe des personnes qui n'ont plus mis le pied au bureau depuis deux ans! Et que chacun a vécu cette crise de manière différente. Dans l'angoisse? Dans le confort? Cela permet d'acter que tout le monde n'a pas vécu les événements de la même façon et mettre cela en commun est important."

Dans un second temps, cette parole permettra d'établir les besoins spécifiques de l'équipe en question, via la concertation et l'implication des personnes concernées. "Durant deux ans, le personnel a prouvé qu'on pouvait lui faire confiance, explique Cécile Blaise. Il faut à tout prix éviter l'impression que la direction ne lui fait plus confiance et lui retire un avantage."

Sans doute cela passe-t-il par l'abandon de certains trophées. Du genre "X jours fixes de présence par semaine". "Soyons créatifs, pousse Joris Vandersteene. Pourquoi ne pas définir un nombre minimum de jours, de demi-jours voire d'heures par mois, trimestre ou année?" En sachant que l'essentiel du débat n'est pas ici.

48%
De télétravail
Selon une enquête menée fin 2021 par Securex, en moyenne, les travailleuses et les travailleurs souhaitent prester à 48% en télétravail, soit un fifrelin moins de 2,5 jours par semaine. Par ailleurs, il apparaît que les personnes estimant ne pouvoir travailler depuis chez eux autant que désiré sont plus à risque (+44%) de faire un burn-out.

Parce que la question qui se pose, en filigrane, est celle-ci: pourquoi revenir au bureau? "Si c'est pour effectuer les mêmes tâches qu'à la maison, être dérangé par des collègues et revenir plus fatigué, cela n'en vaut pas la peine", schématise Cécile Blaise. La question du sens s'impose avec plus de force encore qu'avant la pandémie."Pourquoi revenir?, interroge Anouk van Oordt. Pour se connecter, donner du sens ensemble, ce qui nécessite de définir cette présence commune nécessaire."

"Avant le covid, on régulait l'absence individuelle, via des conventions de télétravail. Combien de temps telle personne pouvait-elle être absente? L'enjeu, à présent, est de réguler la présence collective."

Laurent Taskin
Professeur en gestion des ressources humaines (UCLouvain)

Le voilà, le basculement. "Avant le covid, ramasse Laurent Taskin, on régulait l'absence individuelle. Combien de temps telle personne pouvait-elle être absente? L'enjeu, à présent, est de réguler la présence collective." Quand revient-on en groupe, et pour faire quoi? "En somme, que veut-on conserver du télétravail et retrouver du bureau?"

Encore ne suffit-il pas de faire revenir les troupes au nom de la sainte cohésion. "Faire venir les gens ne suffit pas, prévient Cécile Blaise. Si c'est pour qu'ils restent derrière leur ordinateur, cela n'a pas de sens." En d'autres termes, la cohésion, si elle ne s'organise pas, peut se susciter. En stimulant l'informel, via des pauses ou des repas communs, des temps d'échanges, des événements, des rituels, des projets transversaux ou encore des banques de talents.

Quel impact sur l'agencement du bureau?

Cohésion, rassemblement et sens ne seront pas sans impact sur l'agencement même des bâtiments. Si vous en doutiez encore, les experts sont unanimes. L'open space est mort, et personne ne le regrettera. "Ces espaces stériles hors de l'échelle humaine où les bureaux s'alignent comme des sardines étaient déjà dépassés avant la pandémie", balaie Anouk van Oordt, dont le bureau OOO a accompagné, entre autres, UCB, Takeda, D'Ieteren Automotive ou Ores dans le réaménagement des leurs, de bureaux.

Et comme on le disait, ici aussi, le "one size fits all" a vécu. Ce qui plaide pour une diversité des espaces, alternant salles de réunion à même d'accueillir efficacement des réunions hybrides – sans que les personnes à distance se sentent exclues –, espaces "cosys", grandes tables de projets, "coffee corners" et autres lieux dédiés à la détente ou à la créativité. "Chez UCB, nous avons implanté des espaces dédiés à la connexion, à l'introversion ou encore à l'innovation, détaille Coline Lescot, co-fondatrice et 'head of design' chez OOO. Répondant à divers besoins et offrant des énergies et des niveaux de bruit différents."

Des pistes pour "donner sens" au retour au bureau, Anouk van Oordt n'en manque pas. Comme ouvrir celui-ci vers l'extérieur et le quartier. En y implantant, pourquoi pas, une cantine saine ouverte à toutes et tous. Offrir des services, allant de la mobilité partagée au nettoyage à sec, en passant par la coiffure, la banque, la livraison de colis ou encore la mise à disposition de salles de sport ou de yoga. "Il est important que ce ne soit pas un lieu statique, qu'il s'y passe quelque chose."

Le tout, avec des bureaux partagés, ce qui fait également l'unanimité. Avec une condition toutefois: que tous les étages soient logés à la même enseigne, direction comprise.

Reste la question des mètres carrés. C'est évident, la fin des bureaux attribués et le télétravail permettent de réduire les surfaces attribuées aux postes de travail. "En général, tranche Mario Santy, on peut se passer d'un tiers de la surface, et transformer les deux tiers restants."

Chez N-Side, on peut travailler depuis le monde entier

"Nous avons suivi les instructions du Codeco à la lettre!", précise d'emblée Maud Larochette, CFO et directrice des ressources humaines de N-Side. Implantée à Louvain-la-Neuve, cette spin-off de l'UCLouvain est spécialisée dans la création de logiciels d'optimisation. Dans le viseur, la gestion des essais cliniques et les échanges sur les réseaux énergétiques.

Il n'empêche: dès que cela a été possible, tout a été mis en œuvre afin de permettre le retour au bureau. "Tout notre espace a été repensé en vue d'offrir des moments de qualité." Ce qui passe notamment par quelques clichés ludiques du secteur: kicker, billard, fléchettes ou "gaming room".

Sans s'y limiter, bien évidemment, le retour devant être porteur de sens. À l'automne 2021, une politique de retour de deux jours par semaine est mise en place. "Un jour imposé par équipe et un autre libre, afin de recréer une dynamique en dehors des équipes, entre personnes qui ne se croiseraient plus sinon."

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Objectif cohésion. "Nous avons beaucoup de développeurs, qui peuvent très bien travailler depuis chez eux, concède Maud Larochette. L'idée était que le travail ne soit plus invisible. Si tout est décentralisé, le risque est que l'on ne finisse plus par voir que ceux qui optent pour le présentiel ou qui se vendent le mieux. Il a fallu convaincre certaines personnes mais finalement, tout le monde était content de revenir, même les plus introvertis."

Minimum deux jours, et cinq pour qui veut: la politique va être relancée chez N-Side. "Et réévaluée si nécessaire, il faut être humble." Même si, pour être honnête, Maud Larochette s'attend à un "boom" de fréquentation.

Ce n'est pas tout. À côté d'un programme d'événements assez chargé, N-Side a également lancé une "work from anywhere policy". "Nous comptons environ trente nationalités différentes. Et durant deux ans, certains employés n'ont pas pu rentrer chez eux pour voir leur famille. On permet donc à tous de travailler depuis n'importe où dans le monde, jusqu'à trois semaines par an."

Axa abandonne le fétiche des jours fixes

Le télétravail, voilà qui ressemble déjà à une vieille habitude, chez Axa. Le déclencheur a été le déménagement, en 2017, dans un bâtiment plus petit, au cœur de Bruxelles. "D'une superficie de 1, nous sommes passés à 0,6", rappelle Els Jans, à la tête des ressources humaines. Se met alors en place une politique permettant à presque tout le monde de travailler depuis la maison deux jours par semaine.

"Ce qui fait que quand le covid est arrivé, nous avons pu basculer assez rapidement." N'empêche que la compagnie d'assurances n'a pas voulu en rester là, tenant à conserver une longueur d'avance. La réflexion démarre à l'aube de 2021 et son résultat va entrer en application au mois d'avril. Le résultat? "Nous allons abandonner le fétiche de deux jours fixes par semaine."

Le télétravail devient la règle de base. "Et on vient au bureau quand cela fait sens, pour le travail d'équipe, la cohésion, les relations informelles ou parce qu'on en a envie." Avec une exigence, tout de même: pointer le bout de son nez au moins quatre jours par mois. "Nous pensons que les gens vont venir, en moyenne, entre deux et trois jours par semaine", explique Els Jans. Une règle générale qui pourra être adaptée en fonction des besoins spécifiques des départements.

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En revanche, aucun changement spectaculaire n'est à attendre dans le bâtiment, déjà taillé pour le travail hybride. "Nous allons quand même prévoir davantage de grandes salles de réunion, modulaires et adaptées pour les réunions hybrides, qu'il faut organiser de façon à inclure tout le monde. Elles remplaceront en partie les petites salles prévues pour s'isoler, puisque ce genre de tâches peuvent être effectuées depuis la maison."

Une expérience qui permet à la directrice des ressources humaines de donner les clefs essentielles pour la réussite de pareille transition. "Faire confiance aux équipes, impliquer les groupes-cibles dans la réflexion, et montrer l'exemple. Si les bureaux sont partagés, le comité de direction ne peut disposer de bureaux à part. L'exemple doit venir d'en haut."

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