"Aujourd'hui, il faut être suicidaire pour faire de la restauration"
"Entre le fisc qui s’acharne et l’Afsca dont les contrôles deviennent délirants", les restaurateurs se disent pris à la gorge. "Marre", disent Albert Michiels (Restauration nouvelle) et Thierry Van Damme (Ambiance Brasserie), qui demandent une réaction des autorités.
Albert Michiels (Restauration nouvelle) et Thierry Van Damme (Ambiance Brasserie) règnent sur la brasserie à Bruxelles et en Brabant wallon. À eux deux, ils font tourner 26 brasseries et emploient 430 personnes. Ils ont fait grandir leur affaire respective ces dernières années mais, là, ils ont décidé l’un et l’autre de pousser sur "stop".
"C’est fini, je n’investirai plus dans ce métier, lâche Albert Michiels (Brasseries du prince d’Orange, Étangs Mellaerts, RN Waterloo, RN Louvain-la-Neuve, etc.). Je termine avec le dernier investissement, à Genappe, et puis j’arrête de grandir. Cela ne sert à rien, on investit pour rien."
"Aujourd’hui, le fonds de commerce d’un restaurant, cela vaut 0 euro, 0 centime."
Point de rupture
Un coup de déprime, Monsieur Michiels? "Marre, marre, marre. J’adore mon métier, je suis dedans tous les jours, du matin au soir mais là, on dirait qu’on veut assassiner la restauration. Entre le fisc qui s’acharne et l’Afsca (l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire, NDLR) dont les contrôles deviennent délirants, entre le mois sans alcool et le mois sans viande, entre la suite des attentats et la black box, on est arrivés à un point de rupture."
Ils ont fait leurs calculs, lui et Thierry Van Damme (Brasserie du Lac à Genval, Les Six Colonnes à Waterloo, la Patinoire au bois de la Cambre, l’Alliance à Braine-l’Alleud, Chez Eddy à Rhode-Saint-Genèse, etc.). Aujourd’hui, les coûts de personnel atteignent 43 à 48% des charges. "Quand j’ai commencé, on en était à 33%", regrette Albert Michiels.
"Aujourd’hui, il faut être suicidaire pour faire de la restauration", prolonge Thierry Van Damme en évoquant un de ses établissements: près de 3,4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2016, pour un bénéfice brut de… 40.000 euros. "Pourtant, nous sommes un des rares secteurs à engager encore beaucoup de personnel peu voire pas qualifié, 60% de nos effectifs sont dans ce cas, souligne-t-il. Nous sommes des formateurs perpétuels, nous jouons un rôle à mon avis important pour l’intégration de beaucoup de personnes. Mais tout cela ne compte pas, apparemment."
"Les Armes de Bruxelles pour un euro"
Ils en sont convaincus, si rien ne bouge les fermetures vont se multiplier: 20 à 30% dans les deux ans. "Y compris des adresses bien connues vous verrez, lance Albert Michiels. On en connaît pas mal qui ne vont pas bien. On nous propose tout le temps d’en racheter l’une ou l’autre. Tenez par exemple, on m’a proposé de reprendre Les Armes de Bruxelles pour un euro symbolique, à condition de reprendre le personnel. Aujourd’hui, c’est simple: le fonds de commerce d’un restaurant, cela vaut 0 euro, 0 centime."
Et eux, vont-ils tenir? "Il faudra serrer la vis, sans doute réduire le personnel, augmenter les prix de la carte aussi, estime Thierry Van Damme. Prenez le tartare: on le vend 18 euros mais son vrai prix, c’est 27 euros!" Pour éviter cela, les rois de la brasserie ont quatre demandes envers les autorités.
Un: augmenter les heures supplémentaires non taxées à 500 heures par an par personne au lien de 300 actuellement. Deux: porter à 100% la déductibilité des frais de restaurant, contre 69% actuellement. Trois: baisser la TVA sur les boissons non alcoolisées, actuellement de 21%. Enfin quatre: une baisse des charges pour le secteur.
Cela ne ferait pas un peu beaucoup? Il faut savoir ce que l’on veut, répondent les deux restaurateurs. Aux conditions actuelles, il devient, selon eux, impossible aujourd’hui de proposer un service toute la journée comme on le fait en brasserie. "Veut-on garder un peu de vie dans cette ville?, insiste Albert Michiels. Bruxelles n’est déjà pas la capitale de la joie. Enlevez les brasseries et il restera quoi?"
Produits tout faits
Et puis, il y a autre chose, ajoute Thierry Van Damme. "Nous faisons tout nous-mêmes. Mais on va commencer à acheter des produits tout faits, sous vide. Ça coûtera moins cher mais, au passage, c’est la qualité, l’artisanat, le métier qui se perdra." Car si cela continue, selon eux, les gagnants seront les fast-foods.
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